Le 18 juin dernier, la vidéo[1] d’une femme ontarienne refusant que son fils se fasse soigner par une personne de couleur devenait virale sur les réseaux sociaux. Cette scène nous rappelait que le racisme existe toujours en dévoilant la forme particulière qu’il prend dans le système de santé lorsque des patient.es refusent le contact avec des soignant.es racisé.es. Cette vidéo illustre le rôle particulier que le soin et l’intimité corporelle peuvent jouer dans l’expression des représentations racistes des individus et de l’imaginaire raciste propre à la société canadienne contemporaine.

Cette vulnérabilité du corps malade et l’intimité de l’acte de soins ont été dans les différentes périodes de l’histoire québécoise et canadienne un espace d’expression des imaginaires racistes agitant alors la société. Nous reviendrons dans ce texte sur trois moments d’expression du racisme dans les hôpitaux montréalais afin de réfléchir aux implications contemporaines de la peur de l’ « Autre » sur le racisme structurel dans le système de santé québécois. Nous nous pencherons plus spécifiquement sur le cas d’étudiants en médecine qui, en raison de leur origine, réelle ou non, ont été exclus de leurs stages pratiques, bloquant de ce fait leur accession à la profession médicale.

L’ « Autre » Irlandais (1852)

Entre 1816 et 1860, le Canada connait une importante vague migratoire d’Irlandaises et d’Irlandais fuyant alors la misère et les famines. L’arrivée de ce groupe au Québec a entrainé des tensions interethniques qui se sont répercutées dans le système de santé. En 1852, un événement aux allures anecdotiques nous semble pourtant emblématique du racisme présent dans la société canadienne à l’égard de la communauté irlandaise et de ses répercussions spécifique dans les cliniques et hôpitaux. Dans une plainte écrite à l’évêque de Montréal Mgr. Ignace Bourget, un étudiant irlandais nommé Mckeon, qui effectuait alors un stage pratique chez les hospitalières de Saint-Joseph, se plaignait qu’on lui interdise, en raison de ses origines irlandaises, de soigner les femmes canadiennes-françaises.[2] Cette plainte individuelle ne fait pas système, mais rend néanmoins compte de la représentation négative des Irlandais dans la société québécoise et de l’implication de ces représentations sur l’exclusion des Irlandais de la profession médicale.

Ségrégation raciale au Montreal Maternity Hospital (1917)

Ce ne sont pas seulement les étudiants irlandais qui connaîtront une forme de discrimination dans le système de santé, les « étudiants de couleur » aussi se sont vus refuser le droit d’accomplir leurs stages dans certaines institutions. Un article paru en 1917 dans le Montreal Herald[3] est, à ce titre, révélateur du racisme présente dans le système de santé. Cet article nous apprend que le Montreal Maternity Hospital fermera ses portes à tous les étudiants de couleurs. Le médecin W. Chipman, responsable des stages au Montreal Maternity Hospital, déclarait au journal que:

« We are not debarring the colored students from any assistance that we can give them, but the number of colored patients is very small, and of course the white patients object to receiving treatment from them. »

La franchise avec laquelle Chipman affirme que les patients blancs refusent « bien sûr » d’être traités par des personnes de couleur, met en lumière le biais raciste de la société canadienne du début du XXe siècle.. Les étudiants refusés au Maternity Hospital sont donc contraints de compléter leur stage en maternité à New-York, où les hôpitaux, contrairement aux institutions montréalaises, acceptent les étudiants de couleur. La logique ségrégationniste, où les blancs soignent les blancs et où les personnes de couleurs soignent les personnes de couleur, explique ainsi le transfert de ces étudiants dans un hôpital new-yorkais, où la population afro-descendante est beaucoup plus nombreuse qu’à Montréal.

Grève des stages et antisémitisme à l’hôpital Notre-Dame (1934)

Au cours des années 1930, un antisémitisme virulent afflige, sous plusieurs aspects, les sociétés québécoise et canadienne. Un des cas les plus emblématiques de ce climat s’est déroulée en 1934 lorsqu’une grève des stages a été déclenchée à l’hôpital Notre-Dame. Cette grève des stagiaires en médecine, la première au Canada dans le secteur médical, revendiquait que le stagiaire sénior d’origine juive récemment nominé, Sam Rabinovitch, soit démis de son poste et remplacé par un Canadien français. La trame de fonds du discours des grévistes était qu’un juif ne pouvait travailler dans un hôpital catholique. La grève des internes de l’hôpital Notre-Dame s’est étendue à quatre autres hôpitaux montréalais alors que les infirmières de ces hôpitaux menaçaient, elles aussi, de se joindre au mouvement. Après quatre jours de grève, Rabinovitch a démissionné de son poste en raison des pressions antisémites à son endroit.

À l’intersection entre les institutions universitaires et les institutions hospitalières, cette grève des stagiaires a participé à la formalisation d’un racisme systémique à l’égard des juifs dans ces institutions au cours des décennies 1930 et 1940. En effet, à la suite de la grève, l’hôpital Notre-Dame a décidé de ne plus engager de juifs. L’Université de Montréal comme l’Université McGill  également mis en place durant cette même époque des mesures de sélection restreignant l’accès des juifs à l’institution universitaire. Les quotas d’entrée à l’Université McGill étaient à ce titre révélateur du racisme systémique à l’œuvre dans l’institution universitaire. En effet, la moyenne exigée pour qu’un juif soit accepté à la Faculté des arts était de 75%, alors qu’elle était de 60% pour les autres, en plus d’un quota maximal de 10% d’étudiants juifs appliqué dans les facultés de droit et de médecine.

Et ça continue…

Ces trois cas, qui pourrait-on croire appartiennent désormais au passé de la société québécoise, ne se révèlent pourtant pas exempts d’une continuité dans le temps jusqu’à nos jours. Le racisme à l’égard du personnel soignant, qu’il soit étudiant ou salarié, est encore extrêmement courant dans le système de santé et n’est pas sans conséquence sur la santé mentale des travailleur.euses racisé.es.[4] Qu’il soit le fait de politiques étatiques, comme la défunte « Charte des valeurs québécoises » du Parti Québécois ou le résultat du biais raciste des patient.es ou des employé.es, cette discrimination participe à l’exclusion des personnes racisées de la société québécoise, au sens plus large.  Au cours des derniers mois, les discussions sur le racisme systémique se sont trop souvent arrêtées à la seule question de la reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger. L’histoire que nous avons explorée et l’expérience de plusieurs travailleur.ses et stagiaires racisé.es[5] nous rappellent pourtant que le biais raciste au sein de la formation contribue fortement aux difficultés d’obtention d’un diplôme chez ces personnes et de participation plus générale dans la société. Le combat des stagiaires ne peut ainsi se limiter à réclamer un salaire : il est indissociable d’une lutte générale contre le racisme, qui contribue à dévaluer le travail des personnes immigrantes et racisées et à justifier le travail gratuit dans le réseau de la santé comme dans tous les services directs à la population.

Jaouad Laaroussi et Claudia Thibault

Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2018 du CUTE Magazine.
Pour te tenir informé.e sur la lutte pour la pleine reconnaissance du travail étudiant, pour en discuter ou pour y contribuer, tu peux nous contacter via la page CUTE Campagne sur le travail étudiant.


  1. https://youtu.be/Zl5JKDIlsbU ↩︎

  2. Mc Mckeon; Montréal, Plainte d’un étudiant contre les Srs pour racisme, Dossier des Hospitalières de Saint-Joseph, Archives de la Chancellerie, No. 525.102, 852-39, 1852-10-13. ↩︎

  3. « Le Maternity Hospital ferme ses portes à tous les étudiants de couleur », Montreal Herald (1917-04-30). ↩︎

  4. Ousman Thiam, ‘You don’t want to be in a french hospital’, Condition critique : http://www.comitestat.org/2014/09/you-dont-want-to-be-in-a-french-hospital/ ; Nancy Beaulieu, Du racisme dans les CHSLD, TVA Nouvelles :  http://www.tvanouvelles.ca/2013/10/03/du-racisme-dans-les-chsld ; Félix Dumas-Lavoie et Youri Jones Vilmay, Exploitation des femmes et racisme dans la santé: une pilule difficile à avaler pour les stagiaires, CUTE magazine no. 1: https://dissident.es/exploitation-des-femmes-et-racisme-dans-la-sante-une-pilule-difficile-a-avaler-pour-les-stagiaires/ ↩︎

  5. Sandrine Belley, Nicholas Bourdon et Valérie Simard, L’école qui te remet à ta place, CUTE magazine no. 2 : https://dissident.es/lecole-qui-te-remet-a-ta-place/ ↩︎