Des étudiantes et étudiants en éducation à l’Université du Québec en Outaouais s’organisent pour que progresse, au cours de la prochaine année, la lutte pour la rémunération des stages. Celle-ci risque de prendre un nouveau virage depuis la victoire, quoique partielle, de la grève des stages et internats en psychologie, qui a mené à la mise en place d’une compensation financière pour les internes. Du côté de la CRAIES (Campagne de revendications et d’actions interuniversitaires pour les étudiants et étudiantes d’éducation en stage), de récentes restructurations auront une incidence non négligeable sur les dynamiques et orientations de la campagne. Enfin, autre élément à prendre en compte: les directions scolaires en négociation quant à leurs conditions de travail ont menacé le gouvernement du Québec de n’accueillir aucun.e stagiaire dans les écoles primaires et secondaires au cours de la session d’hiver… moyen de pression qui a mené à la signature d’une entente en l’espace d’une semaine.

Nicholas Bourdon et Stéphanie Gilbert, l’un et l’autre aux études en enseignement secondaire à l’UQO, nous partagent leurs réflexions sur cette campagne et ses perspectives d’avenir.

Sur la rémunération des stages
Il existe deux positions principales qui sont défendues au sein de la CRAIES, soit la compensation financière et la rémunération des stages. La première est légèrement majoritaire et adoptée par la CRAIES afin d’être défendue par sa permanence, alors que la seconde est plutôt minoritaire, mais toujours présente et importante. Nous croyons que cette différence d’approche réside principalement dans leur vision sur la façon de revendiquer auprès du gouvernement. Certain.es, adoptant la première position, croient qu’il faut adopter une stratégie plus « modérée » pour démontrer une certaine acceptabilité sociale et une volonté de négocier de bonne foi, en plus d’être plus simple sur le plan administratif et légal.

Pour notre part, nous affirmons qu’il faudrait plutôt revendiquer la rémunération, car elle permet d’avoir une meilleure marge de manœuvre lors des négociations. Nous croyons également que cette mesure serait plus profitable pour les étudiant.es en situation de stage, car elle leur permettrait d’être reconnu.es en tant que travailleurs.euses à part entière. Cela représente une étape de plus vers la reconnaissance que les étudiant.e.s sont bel et bien des travailleurs.euses qui bénéficient à la société, ce qui légitime davantage le salariat étudiant. Il s’agit aussi d’une notion d’équité dans la mesure où plusieurs stages sont déjà payés au-dessus du salaire minimum. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous croyons que la rémunération est une revendication plus cohérente. Somme toute, il existe de multiples tendances au sein du mouvement, mais il reste que tout le monde s’entend sur la question de fond, soit de recevoir une somme d’argent dans une situation de stage pour sortir de la précarité et arrêter d’offrir sa force de travail gratuitement au gouvernement québécois.

Sur les mécanismes décisionnels de la campagne
La CRAIES a été créée afin de regrouper l’ensemble des associations étudiantes en éducation à l’échelle provinciale pour mettre de l’avant des revendications plus uniformes et claires auprès du gouvernement québécois. Elle a également pour objectif de coordonner les activités de mobilisation entre les différents campus afin de développer un sentiment d’appartenance et de construire un rapport de force.

Au départ, nous éprouvions un malaise par rapport à la structure décisionnelle de la CRAIES, car certaines universités avaient un plus grand nombre d’associations, donc plus d’un vote. Ce faisant, cela leur donnait un poids politique plus important. La métropole se retrouvait ainsi avec un plus grand pouvoir alors que les régions étaient désavantagées. À la base, la volonté de la CRAIES était justement de créer un mouvement provincial qui soit inclusif pour les régions, qui sont souvent mises en minorité par les initiatives centralisatrices.

En décembre dernier, la CRAIES a donc modifié sa structure décisionnelle de manière à ce qu’un vote soit accordé à « chaque association comprenant le plus grand bassin d’accréditation représentant des membres en enseignement par établissement d’enseignement supérieur ». De plus, les propositions sont désormais admissibles seulement si deux tiers des associations présentes sont en faveur. Toutefois, un autre problème subsiste quant à la représentativité des rencontres tenues, car ce ne sont pas toutes les universités ayant un département d’éducation qui font partie de ce regroupement et parce qu’aucun quorum n’est établi pour les assemblées.

Sur l’organisation actuelle de la lutte
Depuis la création de la CRAIES, il y a deux ans, il serait difficile de constater des progrès dans la lutte pour la rémunération du stage 4. La stagnation de cette campagne peut s’expliquer par la présence de désaccords quant à la revendication principale, soient la rémunération contre la compensation. La prise de décision s’en trouve ralentie en raison des nombreux retours sur des débats qui ont eu lieu antérieurement. De plus, il ne faut pas oublier que la plupart des étudiant.es qui militent sont excessivement occupé.es par leurs nombreuses responsabilités. Il y a donc eu peu de réalisations concrètes au sein de la CRAIES. L’épuisement militant est une réalité que nous ne pouvons pas laisser de côté, sans oublier que nous sommes des universitaires dans une situation de précarité avec des emplois, en plus des stages et de nos cours à temps plein.

Cependant, en discutant avec plusieurs étudiant.e.s en éducation et d’autres programmes avec stages obligatoires, on peut remarquer que pour eux et elles, il s’agit d’une campagne qui vaut la peine d’être menée. Cela représente une source de motivation pour continuer la lutte vers la rémunération des stages. La volonté est là, il suffit simplement d’aller la chercher et d’inciter les étudiantes et étudiants à passer à l’action.

Sur l’autonomie de la campagne
En octobre dernier, les associations présentes au congrès de la CRAIES ont convenu de la mise en place d’un Comité de travail spécifique (CTS) qui serait chapeauté par l’Union étudiante du Québec (UEQ), qui fournit également un budget de 14 000$ à cette fin. L’UEQ a par la suite procédé à l’embauche d’une permanence à titre de gestionnaire de projet pour la campagne de la CRAIES.

Nous croyons que cette initiative représente un risque de contrôle indirect de la CRAIES par l’UEQ. Cependant, nous pensons que le rôle de la permanence peut être pertinent pour tenter de mettre fin à la stagnation de la campagne. Si un travail militant entièrement bénévole peut être avantageux pour la motivation et les idées formulées par des militant.es, un employé d’une organisation permet un investissement à part entière sur le dossier. Toutefois, il faut s’assurer que ce dernier suit les mandats qui lui sont accordés par la constituante de la CRAIES, afin d’éviter un accaparement des revendications par un groupe fermé de gens, voire une récupération politique de la part de l’UEQ. Ce n’est pas gagné puisque cette dernière accorde un budget pour la campagne, créant un lien de dépendance financière qui risque de faire plier les membres aux exigences de cette association étudiante provinciale. Une contribution proportionnelle au budget de chacune des associations membres aurait été une meilleure option pour salarier la permanence, puisqu’elle permettrait d’offrir plus d’indépendance au regroupement.

Qui plus est, le gestionnaire de projet n’a pas été élu par l’assemblée de la CRAIES, ce qui fait en sorte qu’il n’est pas redevable à ce comité: il est d’abord un employé de l’UEQ. Nous questionnons également grandement le processus d’embauche. Bien qu’il y avait quelques candidatures, les personnes responsables des entrevues ont affirmé qu’une seule d’entre elles était valable et ont procédé rapidement à son embauche. Théoriquement, la mission de la permanence devrait être dictée par la CRAIES, qui est désormais ni plus ni moins qu’un CTS de l’UEQ. Pour nous en assurer, nous comptons amener le point de la représentativité du prétendu porte-parole de la campagne, selon l’offre d’emploi pour le poste de gestionnaire de projet, qui n’a jamais été élu, ni n’a reçu de mandat de la CRAIES. Il serait également préférable, voire nécessaire, de s’assurer de mettre en place un mécanisme de redevabilité du gestionnaire de projet devant le CTS plutôt que devant l’UEQ, car, pour le moment, sa promesse de représenter fidèlement le CTS repose entièrement sur sa bonne foi.

Sur l’organisation à privilégier
À la lumière de ces critiques, il serait simple de dire que nous devrions travailler seulement avec des groupes tenant les mêmes discours et stratégies que les nôtres. Cependant, nous privilégions davantage l’argumentation et l’échange d’idées afin de rallier les parties. Bien que le consensus soit difficilement atteignable, il faut tout de même viser le rassemblement des forces afin d’avoir un poids plus important face à nos opposant.es. Il est donc justifiable de continuer à tenir des discours plus « radicaux » afin de faire avancer la lutte vers une conclusion victorieuse et bénéfique pour les étudiant.es. Il faut faire attention aux discours infantilisants et hautains, à l’égard des plus modérés, car cela est contradictoire avec l’horizontalité et l’ouverture d’esprit que nous défendons avec cœur et âme. En fait, la plupart des militant.es sont toutes et tous passé.es par une phase moins radicale. C’est pour cette raison précise qu’il faut travailler à la coopération avec ces groupes pour présenter nos thèses. Somme toute, il faudrait viser à expliquer les raisons stratégiques d’aspirer à des gains plus importants plutôt que de se réjouir de petites victoires progressives qui ne répondent pas entièrement aux besoins des étudiant.es et qui finissent justement par créer un épuisement chez les militant.es.

En Outaouais, nous avons fait circuler, au début de la session d’automne, une pétition afin de tâter le pouls des étudiant.es de l’UQO et avons distribué des t-shirts avec le logo de la CRAIES, que plusieurs portent librement et fièrement. Nous avons constaté un intérêt accru, même chez les étudiant.es des autres programmes. Cependant, les principales personnes mobilisées étaient occupées à d’autres projets, leurs stages notamment. Nous avons donc, nous aussi, stagné ces derniers temps en ce qui concerne la rémunération des stages. Nous comptons redoubler d’efforts en cette matière lors de la prochaine session en hiver 2017, étant donné que nous ne sommes plus en situation de stage épuisante et impayée.

Pour le moment, aucun comité de mobilisation n’est opérationnel à l’UQO, la dernière tentative ayant échoué. Pour la suite, notre plan consiste à contacter toutes les associations qui ont des stages non rémunérés et co-construire une structure qui répond aux besoins des personnes ayant répondu positivement à l’appel. Bien évidemment, nous visons un mode d’organisation qui soit horizontal et inclusif pour tous et toutes. Nous travaillerons à la création dudit comité au courant de la session à venir.

Par souci de solidarité, nous croyons qu’il ne faut pas être exclusifs et sectaires, mais qu’il faut plutôt rassembler nos points communs pour faire de cette campagne une lutte sociale historique. Nous pensons que le nombre fait la force et qu’inclure d’autres acteurs à la lutte serait avantageux pour combattre l’épuisement des militant.es et de la faire avancer. L’idée de collaborer entre les différents programmes de l’UQO semble d’ailleurs plaire aux personnes que nous avons consultées. Ceci étant dit, nous ne connaissons pas la réalité des stagiaires des autres programmes, alors il nous serait difficile d’organiser la mobilisation à leur place.

Sur la grève des stages
La grève est toujours un moyen intéressant pour créer un rapport de force envers la partie patronale et pour l’obliger à donner des concessions dans le but d’améliorer les conditions de travail. Donc, la grève sera probablement l’ultime recours utilisé par le mouvement afin de faire valoir les positions défendues par les stagiaires.

Mais avant la grève (et bien sûr pendant), il est possible de mettre en place plusieurs actions qui contribuent à mobiliser les personnes concernées et à la construction d’un rapport de force. Surtout, pendant la grève, il y a moyen d’utiliser le temps supplémentaire dont les étudiant.es disposent pour organiser des actions concrètes, telles que des perturbations économiques, des créations artistiques engagées, des actions dérangeantes à l’université, des occupations de bureaux, des manifestations, des perturbations des sorties publiques de représentants gouvernementaux, des actions de sensibilisation à la cause et des sorties dans les médias. Nous ne savons pas encore si les gens sont prêts à une grève à l’UQO, car nous n’avons pas commencé une réelle escalade des moyens de pression, ni consulté les étudiant.es quant à un tel recours. Un début de mouvement dans d’autres milieux universitaires ou domaines professionnels pourrait certainement venir donner un coup de pouce à stimuler un désir de grève.

Ceci étant dit, nous savons que certain.es ont peur de l’échec, de la violence, des représailles, des confrontations que risquent d’engendrer ces actions. Nous pensons que si les stagiaires coopèrent et sentent qu’ils en retireront un gain, ils seront prêt.es à prendre de tels risques. Pour ce faire, il faut s’assurer de ne pas se retrouver avec un groupe fermé de militant.es qui s’occupe de l’ensemble de l’organisation du mouvement et plutôt encourager la prise en charge de responsabilités par toutes et tous, même ceux et celles qui n’ont pas d’expérience dans le domaine, afin de favoriser l’appropriation du mouvement par tout le monde. Nous croyons réellement en la force du nombre, sans laquelle la lutte risque toujours l’essoufflement.

Nicholas Bourdon

Stéphanie Gilbert

Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2017 du CUTE Magazine.
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