Le gouvernement procèdera prochainement à une révision des normes du travail. La ministre responsable du Travail en a fait l’annonce en février dernier à l’issue du Rendez-vous national sur la main-d’œuvre. Pour l’occasion, les bureaucraties syndicales et patronales préparent, chacune de leur côté, une série de revendications visant à influencer le processus. On se doute par contre que l’adaptation des normes à la réalité des stages ne sera pas à l’ordre du jour, à moins que les associations étudiantes, comités de mobilisation et groupes d’affinité arrivent à s’organiser de manière suffisamment combative pour l’imposer. Mais, que pouvons-nous réellement gagner? Voyons cela de plus près.
Dans sa version actuelle, la Loi sur les normes du travail[1] (ci-après «LNT») et les règlements qui en découlent divisent les stagiaires en deux catégories. Les stagiaires de chacune des catégories bénéficient de protections bien différentes. On peut lire les deux dispositions responsables de cette division comme suit :
Article 3 de la LNT:
« [Application de la loi] La présente loi ne s’applique pas : […]
5º à un étudiant qui travaille au cours de l’année scolaire dans un établissement choisi par un établissement d’enseignement et en vertu d’un programme d’initiation au travail approuvé par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport ou par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie »
Article 2 du Règlement sur les normes du travail: [2]
« Le salaire minimum établi à la présente section ne s’applique pas aux salariés suivants : […]
2º le stagiaire dans un cadre de formation professionnelle reconnu par une loi».
De manière générale, la première disposition a pour effet d’exclure de l’application de la LNT les personnes effectuant un stage dans le cadre de leur programme académique. Elle vise l’ensemble des stagiaires en cours de formation dans un programme d’études universitaires, collégiales ou professionnelles. La deuxième disposition vise plutôt les personnes effectuant un stage en vue d’accéder à un ordre professionnel, par exemple les stagiaires du Barreau ou les stagiaires en ingénierie, et prévoit uniquement une dérogation à l’imposition du salaire minimum. Ces stagiaires, lorsque salarié.es, pourraient donc exiger le respect des autres conditions prévues par la LNT, comme le paiement d’heures supplémentaires ou encore pourraient s’adresser à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST) pour forcer le versement du salaire convenu avec leur employeur, sans toutefois pouvoir exiger le versement du salaire minimum fixé par le gouvernement.
Le 3 juin 2017 se tenait à l’Université du Québec à Montréal la première assemblée de la Coalition montréalaise pour la rémunération des stages. En vue de la refonte de la LNT, la coalition adoptait comme revendication « l’abrogation des exceptions au Règlement sur les normes du travail qui font en sorte que les stages sont exclus»[3]. Cette revendication avait évidemment pour principal objectif d’assurer une rémunération pour tous les stagiaires et de déposséder les «offreurs» de stage du choix de rémunérer ou non les stagiaires.
Mais quel serait le réel impact d’une telle abrogation? Il y a lieu de rappeler ce que prévoit exactement la LNT. Elle stipule des conditions de travail minimales à respecter lorsqu’une personne (1) effectue un travail, (2) fait ce travail sous le contrôle et la supervision d’un employeur et (3) a droit à une rémunération pour ce travail[4] . Ces trois conditions sont nécessaires pour se prévaloir des protections prévues.
La LNT ne prévoit donc pas, a priori, l’obligation de verser un salaire pour tout travail, mais plutôt, lorsqu’un salaire [5] est versé ou prévu, l’encadrement et les modalités qui doivent être respectés dans la relation de travail. C’est plutôt l’entente (ou le contrat de travail) convenue entre la ou le stagiaire et son employeur qui stipulera d’un «droit au salaire» [6] et non la LNT elle-même.
On comprend donc pourquoi on ne qualifie pas d’illégaux les stages non rémunérés effectués par les stagiaires accomplissant un stage dans le cadre d’une formation professionnelle, et ce, malgré qu’ils soient reconnus comme salarié.es par l’exception de l’article 2 (2º) du RNT. Si la loi prévoyait effectivement un «droit au salaire», ces stagiaires devraient alors toutes et tous être rémunéré.es (même si en deçà du salaire minimum), mais tel n’est pas le cas [7]. En simple, c’est le fait qu’un travail soit rémunéré qui permet d’accéder aux protections de la loi et non les protections de cette loi qui permettent d’être rémunéré pour tout travail.
Pour d’autres, la LNT prévoit une certaine obligation de verser un salaire. Cette obligation prendrait forme lorsque la personne le réclamant prouve qu’elle effectue un travail salarié non rémunéré qui se distingue du travail bénévole. Pour ce faire, les stagiaires devront faire la démonstration notamment d’un lien de subordination, d’un contrôle sur leur travail et sur la façon de l’exécuter et d’une disponibilité au travail. Alors que cet exercice est tout à fait réalisable [8], on peut aussi facilement penser à des contextes de stages qui se distingueront du travail salarié usuel. À première vue, l’implication des établissements scolaires dans la supervision et la disponibilité restreinte des stagiaires en raison de l’occurrence simultanée de leurs cours académiques ne sont que quelques-uns des éléments qui pourraient soulever des questions ou obstacles à la reconnaissance du statut de salarié.
D’autre part, dans les cas où un stagiaire accepte d’accomplir son travail gratuitement, et que sa relation avec l’employeur se limite à l’exécution de ce stage, il pourrait être difficile de concilier un «droit au salaire» et le droit des obligations prévu par le Code civil du Québec [9]. En effet, les conditions initialement convenues et acceptées par les parties à une entente ou contrat, ici l’employeur et la ou le stagiaire, ne devraient pas se modifier unilatéralement, c’est-à-dire selon la volonté d’une seule de ces parties, et en cours d’exécution du contrat [10].
En résumé, ce sont les stagiaires qui accomplissent un stage assimilable juridiquement au travail salarié et en considération des éléments mentionnés précédemment qui actuellement sont privés de la possibilité de réclamer à la CNESST le versement d’un salaire en raison de l’exception prévue à la LNT. Cela dit, en supposant l’abrogation de cette exception, on se permet d’énoncer quelques problématiques anticipées : l’individualisation de la lutte par une analyse ponctuelle et individuelle des milieux de stage, la division (encore!) des conditions de travail des stagiaires, une accessibilité à l’information variable, les longs délais judiciaires, l’interprétation et l’application du droit sont inconstantes et les réclamations peuvent échouer, etc.
Finalement, en considérant la précarité des étudiant.es, il est certain que certaines personnes continueront d’accepter de travailler à des conditions moindres dans le but de compléter leur parcours scolaire le plus rapidement possible et atteindre le marché du travail. Car, utile de le rappeler, un droit à la rémunération impose au stagiaire de réclamer son «dû» à son employeur ou, si nécessaire, de s’adresser au forum approprié sans, pour autant, bannir ou interdire les stages non rémunérés.
L’abrogation de l’une et l’autre de ces dispositions/exceptions n’aurait donc pas nécessairement l’effet immédiat recherché, c’est-à-dire la rémunération de tous les stages. Il demeurera nécessaire de faire reconnaître le travail des stagiaires d’aujourd’hui comme du travail nécessitant rémunération et le dissocier de son ancienne définition qui veut qu’« un stagiaire n’est pas un salarié tout simplement parce qu’on ne compte pas sur ses services mais qu’il est là plutôt pour apprendre » [11].
Des étudiantes au baccalauréat en droit à l’UQAM [12] proposent aussi d’analyser les situations de stages en rapport à des principes généraux de droit tels que l’interdiction de s’enrichir sans justification au détriment d’autrui [13] ou encore le droit à la dignité [14] et aux protections contre la discrimination [15], dans ce cas-ci envers les jeunes, les étudiant.es, les inexpérimenté.es, les précaires. Ces protections légales pourraient permettre la reconnaissance du travail accompli en situation de stage et pourraient déboucher sur une modification globale de la législation en place ou encore à son remplacement pour corriger le flou voire l’absence de cadre juridique pour les stages.
Il va sans dire qu’une solution à ces exceptions demeure la prise en charge par les établissements scolaires et les ordres professionnels de l’encadrement des stages qu’ils exigent en prévoyant notamment l’obligation de rémunérer tout le travail effectué durant l’entièreté des stages. Ils ont le pouvoir et l’opportunité, certain.es diront le devoir, de proscrire des stages non rémunérés. En ce sens, la non-reconnaissance des stages effectués sans rémunération serait un premier pas vers la proscription de tels stages. Inutile de mentionner que le gouvernement a tout autant ce pouvoir par son encadrement des programmes d’études et des ordres professionnels.
Il est ainsi souhaitable de ne pas s’enfermer dans une lutte juridique. La reconnaissance du travail des stagiaires nécessite inévitablement une lutte politique combative, qui exerce une pression suffisante pour que le gouvernement flanche. Mais elle implique également une lutte idéologique pour que les mentalités changent. Dans un contexte où ce travail est largement reconnu comme tel et où la pression est suffisamment importante sur le pouvoir, la législation est bien davantage susceptible de changer en notre faveur.
Camille Marcoux
* * *
Cet article a été publié dans le numéro de l’automne 2017 du CUTE Magazine.
Pour te tenir informé.e sur la lutte pour la pleine reconnaissance du travail étudiant, pour en discuter ou pour y contribuer, tu peux nous contacter via la page CUTE Campagne sur le travail étudiant.
R.L.R.Q., c. N-1.1 ↩︎
R.L.R.Q., c. N-1.1, r. 3 (ci-après «RNT») ↩︎
*Résumé des mandats *– Assemblée de fondation d’une coalition montréalaise pour la rémunération des stages: https://drive.google.com/drive/folders/0B-Oz-ZmW4TVNVHRfRXZ5Nk5PS2s ↩︎
L’article 2 de la LNT prévoit à qui s’applique la loi et, ce faisant, réfère à la notion de salarié.es, notion qui est définie par l’article 1 (10º) de la LNT. Ces conditions furent largement reprises par la jurisprudence et les autorités en la matière. À titre d’exemple, vous pouvez vous référer à la décision Venti-DeMoulin et Lamothe (Auberge Beaux Rêves et Spa), 2017 QCTAT 3710, par. 79 et ss. ↩︎
La notion de salaire est définie à l’article 1 (9º) de la LNT et est interprétée largement par la jurisprudence. ↩︎
De plus, la mention d’un «droit au salaire» se retrouve à l’article 1 (9º) de la LNT, article qui dispose uniquement de définitions. Ces définitions n’établissent pas de normes minimales de travail, mais servent plutôt d’outils d’interprétation. À cet effet, voir notamment Québec (Commission des normes du travail) c.* Desjardins Sécurité Financière, Cie d’assurance vie*, 2004 CanLII 49021 (QC CQ), par. 39 à 41. ↩︎
Dans une brochure informative à l’intention des futur.es stagiaires du Barreau, Me Jean-Yves Brière discute des conséquences légales découlant de la rémunération ou non de son stage. Il présente la rémunération comme un choix et non une obligation. Voir Jean-Yves BRIÈRE, « Le stagiaire du barreau et les lois du travail», École du Barreau du Québec, juillet 2012, en ligne: http://www.ecoledubarreau.qc.ca/media/cms_page_media/27/stagiaire-et-lois-travail_1.pdf ↩︎
Surtout lorsque la personne effectuant un stage devient salarié.e à la suite de la complétion de son stage sans grande variation dans ses tâches de travail et sa relation de travail. Une revue de la jurisprudence permet de constater que ce sont d’ailleurs ce type de situations, où on retrouve une combinaison entre travail salarié et travail non-salarié, qui est à l’origine d’une grande proportion des plaintes déposées auprès de la CNESST afin de réclamer rémunération pour un travail exécuté. ↩︎
R.L.R.Q., c. CCQ-1991 (ci-après «C.c.Q.») ↩︎
*Commission des normes du travail *c. Bourgade inc. (La), 2006 QCCQ 3370 ↩︎
Beaudin et Ville de Brossard, Me Andrée St-Georges, commissaire, c,t. CM9510S131, 1996-02-05 ↩︎
Isabelle Choquette, Jessica Pizzoli et Julie Verrette, dans le cadre du cours Droit des rapports individuels de travail, ont présenté un travail intitulé «Proposition de réforme» (décembre 2016) ↩︎
Voir C.c.Q., art.1493 ↩︎
Droit prévu à la Charte des droits et libertés de la personne, R.L.R.Q., c. C-12, art. 4 ↩︎
Id., art. 10 et 16 ↩︎