« J’ai l’impression que cette offre est une insulte ». C’est ainsi que Raphaëlle, étudiante au doctorat en psychologie de l’Université de Sherbrooke, qualifie l’entente survenue entre le gouvernement du Québec et les doctorant.es en psychologie. Pour la doctorante qui doit effectuer son internat sur deux ans, pratique qui a cours à l’université qu’elle fréquente, la nouvelle bourse représentera une rémunération d’environ 12 500$ par année, à peine mieux que ce qu’elle pourrait obtenir avec l’Aide financière aux études. Un soutien dont elle ne pourra d’ailleurs plus bénéficier puisque la bourse est prise en compte dans le calcul de ses revenus.

On est donc encore loin de la reconnaissance du travail accompli par l’intermédiaire d’un salaire. Pourtant, et c’était le principal argument de la FIDEP (Fédération interuniversitaire des doctorant.es en psychologie) durant sa campagne qui s’est déroulée sur une année, les psychologues qui complètent leur internat contribuent au désengorgement du système public. Grâce aux 1600 heures de travail en clinique des internes, c’est quelque 12 000 patient.es qui sont sorti.es des listes d’attente chaque année. Une contribution si nécessaire que l’octroi de la nouvelle bourse se fera en contrepartie d’un engagement à travailler dans le secteur public pour une période de deux ans après les études. Cette condition fait elle aussi grincer les dents de certain.es internes qui y voient une extension du principe du workfare¹ en milieu étudiant, une logique qui, rappelons-le, n’est pas appliquée en médecine. « Nous offrons un service qui mérite qu’on reçoive rémunération en contrepartie. Nous ne devrions pas avoir à donner autre chose en plus du service que nous offrons déjà, » souligne la future psychologue.

Or, si l’État reconnait d’une part l’importance de la main-d’œuvre nécessaire que représentent les doctorant.es en psychologie, il tient d’autre part à s’assurer qu’on ne confonde pas la personne en formation avec la personne employée. Une mise en garde soulevée par Luc Granger dans son rapport publié en novembre²:

« Rien ne dit que si les internes deviennent des « employées » d’un organisme, il n’y aura pas de tentative de syndicalisation. Étant donné que le Code du travail au Québec n’est pas le même que dans les autres provinces canadiennes et est souvent vu comme étant plus favorable à la syndicalisation, il serait passionnant pour les juristes de débattre devant le Commissaire du travail à savoir si nous avons affaire à des étudiantes ou à des employées. Une personne peut-elle être une employée syndiquée dans un travail qui est en fait un cours universitaire pour lequel elle reçoit aussi des crédits académiques³? »

Bien entendu, en ne reconnaissant pas pleinement le statut de travailleurs et de travailleuses des internes, on se prémunit contre le potentiel d’organisation sur cette base tout en renforçant le statut passif d’étudiant.es bénéficiaires. Par exemple, l’absence de salaire officiel permet de justifier la non-application des lois régissant le travail, situation ne leur offrant aucune protection en cas d’accident ou d’abus de la part des enseignant.es ou superviseur.es. La proposition du gouvernement assure aussi le maintien de la hiérarchisation entre les différentes disciplines. Comme son nom l’indique, la bourse est octroyée afin de soutenir les étudiant.es qui doivent accomplir de « longues études ». Exit les heures de stages réalisées à la technique, au baccalauréat ou même à la maîtrise: seul.es les doctorant.es s’échineraient suffisamment longtemps pour pouvoir réclamer un soutien supplémentaire! La FIDEP n’a d’ailleurs jamais hésité à souligner les particularités de la formation en psychologie pour appuyer sa revendication et convaincre le gouvernement qu’une concession faite pour les doctorant.es en psychologie n’ouvrirait pas la porte à la rémunération des autres stages, en éducation notamment.

La conclusion d’une entente avec le gouvernement arrive à point nommé pour la FIDEP, les rumeurs de scission se faisaient de plus en plus persistantes en son sein. L’organisation a pu bénéficier du peu d’expérience en mobilisation des associations de psychologie et du désintérêt des associations étudiantes en sciences humaines et des associations provinciales parmi les plus militantes pour mener sa campagne sans trop de contestations. L’entente laissera toutefois un goût amer chez plusieurs, le désenchantement trop souvent vécu par la base des mouvements impuissante quant à ce qui se discute aux tables de négociation.

De la grève des internes en psychologie il faudra retenir au moins deux choses. D’abord, il n’est plus question d’exclure les stagiaires des mobilisations du mouvement étudiant. En trois mois de grève, les futur.es psychologues ont réussi à obtenir un gain réel alors que l’histoire du mouvement étudiant depuis quelques décennies est faite de “grandes victoires” autoproclamées et de blocages plus ou moins complets de mesures régressives. Ensuite, si l’on veut obtenir plus que des réformes à la pièce et la reconnaissance concrète du travail accompli en stage, il faudra arrimer les luttes des différents programmes concernés. Déjà, à l’UQAM, les stagiaires de travail social ont convoqué leurs collègues des autres départements et établissements en vue d’organiser une lutte unitaire pour la rémunération des stages. Le Rendez-vous national sur la main-d’œuvre qui aura lieu en février sera l’occasion de faire connaître ces revendications et une nouvelle tendance au sein du mouvement étudiant, en rupture avec le corporatisme des associations provinciales.

Valérie Simard

  1. CUTE, Internat en psychologie: la grève fait ses preuves. https://dissident.es/internat-en-psychologie-la-greve-des-stages-fait-ses-preuves/
  2. CUTE, Un salaire sans les droits: réaction au rapport Granger. https://dissident.es/un-salaire-sans-les-droits/
  3. Luc Granger, Rapport d’expertise sur la rémunération de l’internat en psychologie, p.16-17. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/Ens_Sup/Universite/Internat_psychologie/Rapport_internat_psychologie.pdf

Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2017 du CUTE Magazine.
Pour te tenir informé.e sur la lutte pour la pleine reconnaissance du travail étudiant, pour en discuter ou pour y contribuer, tu peux nous contacter via la page CUTE Campagne sur le travail étudiant.

Et pour venir à la manifestation du 16 février à Québec, en marge du Rendez-vous national sur la main-d’œuvre, l’information sur trouve sur l’évènement Facebook.