Critique de l’évaluation

Ces derniers temps, plusieurs étudiant.es se sont attardé.es à analyser le rapport qui existe entre les stagiaires et le travail accompli dans le cadre de leurs formations pratiques. Beaucoup arrivent à la conclusion qu’ils et elles vivent une situation d’exploitation due à la non-reconnaissance de la valeur de leur force de travail, ce qui accroît leur précarité. Le stage est souvent dépeint comme une simple formation menant inévitablement à un emploi rémunéré, justifiant ainsi l’absence de salaire. Toutefois, la question de la rémunération ne reste pourtant qu’une facette du problème. L’évaluation des stages en éducation engendre elle aussi bien des conséquences notamment liées sa dimension arbitraire et injuste. Ainsi, en plus de revendiquer la rémunération des stages, il est de notre responsabilité de remettre en question le processus actuel d’évaluation dans le but de mettre en place des solutions qui permettraient d’améliorer les conditions dans lesquelles se déroulent les stages.

Une évaluation subjective

Comment évaluer équitablement deux étudiant.es qui accomplissent des stages dans des milieux complètement différents? En enseignement, par exemple, il est évident qu’un stage au premier cycle dans une école privée et un autre au deuxième cycle dans un programme régulier au sein d’un quartier défavorisé ne représentent pas les mêmes défis. De plus, les personnes responsables de l’évaluation ne sont pas les mêmes pour l’ensemble des stagiaires puisque chaque étudiant.e est guidé.e par un.e enseignant.e associé.e différent.e. Cette personne a pour fonction d’accueillir le ou la stagiaire dans sa classe et de l’accompagner durant son séjour en lui fournissant une rétroaction régulière dans le but de favoriser son développement professionnel. Celui-ci ou celle-ci est souvent la seule référence pour le ou la superviseur.e de stage, représentant le lien entre l’université et le milieu de stage, puisqu’il ou elle voit le ou la stagiaire seulement pour quelques heures tout au long de l’expérience pratique. Bref, c’est le ou la superviseur.e qui est chargé.e d’émettre la note finale auprès du département d’éducation, mais c’est l’enseignant.e associé.e qui, en réalité, détient considérablement plus de poids dans l’évaluation. Ce pouvoir important influence grandement l’expérience de stage de l’étudiant.e. Par exemple, il pourrait devenir difficile, voire risqué pour le ou la stagiaire de rester intègre devant un.e enseignant.e associé.e exerçant des pratiques pédagogiques et éducatives différentes des siennes. Pourtant, le stage devrait être une occasion de mettre en application les stratégies apprises pendant la formation universitaire et de les actualiser. C’est du moins le discours que tiennent les universités lorsqu’elles présentent les stages, alors que la réalité est parfois tout autre. Ce rapport de subordination favorise l’émergence de situations d’abus rapportées par certain.es collègues. Plutôt que de s’en remettre à la bonne foi et à la gentillesse des évaluateur.trices, il faudrait mettre en place des mécanismes qui préviennent la survenance de telles situations.

Les révisions de notes, réellement efficaces?

Si l’étudiant.e. souhaite demander une révision de notes, la situation ne fait qu’empirer, car le dénouement du processus ne semble avoir aucun impact sur les évaluations antérieures. À l’UQO, la procédure se résume à une première réévaluation par la même personne ayant accordé la note finale du stage, suivi de la formation d’un comité se penchant à nouveau sur la question si l’étudiant.e porte en appel la décision. Toutefois, ce comité ne possède pas les ressources nécessaires pour réviser justement l’évaluation du stage puisqu’il n’était pas présent durant sa réalisation. Le tout représente une charge financière de 80 $ pour l’étudiant.e, ce qui équivaut presque à une journée de huit heures de travail au salaire minimum! De plus, compte tenu du fait que le département ne crie pas sur tous les toits l’existence du programme de révision des notes, peu d’étudiant.es connaissent son existence et y ont recours afin de contester les jugements des évaluateurs et évaluatrices.

Les mauvaises lettres causent des maux

Des évaluations injustes et des situations de stage difficiles peuvent manifestement avoir une influence sur le développement professionnel et le bien-être des étudiant.es. En fait, selon une enquête réalisée par le CRIS-UQO, 38,4% des répondant.es affirmaient qu’ils et elles ont eu recours ou auraient dû avoir recours à un soutien psychologique en raison de leur stage. Selon nous, le poids que représente une évaluation pourrait être l’une de ces causes. Ainsi, ces divers scénarios engendrent des répercussions néfastes sur ces dernier.ères telles que des troubles de santé mentale et physique (anxiété, dépression, perte de poids, baisse de l’estime de soi, etc.) et des remises en question sur le choix professionnel. Ainsi, en plus de représenter des barrières en ce qui a trait aux apprentissages réalisés dans le cadre du stage et à l’admission à la maîtrise, l’évaluation peut engendrer sur l’étudiant.es des répercussions graves qui influencent son enseignement et son évaluation, engendrant ainsi un cercle vicieux lourd de conséquences.

Réorganisons l’évaluation pour plus d’autonomie!

Pour remédier à ces problématiques, remplacer les notations littérales (de A+ à E), qui correspondent à des valeurs numériques utilisées pour calculer la moyenne générale, par la mention de succès et échec permettrait de s’attaquer à quelques injustices mentionnées plus haut. Cela devrait également être accompagné de commentaires constructifs qui viennent miser sur les forces et les défis de l’étudiant.e comme cela se fait présentement à l’UQO. Généralement, ces commentaires sont utiles aux étudiant.es pour consolider leurs apprentissages en milieu de stage. En articulant de cette façon les réflexions concernant les pratiques des stagiaires, l’étudiant.e serait plus facilement en mesure de prendre et de mettre de côté les critiques qu’il ou elle juge (im)pertinentes selon sa vision de l’éducation. Inclure la vision des élèves lors du processus d’évaluation serait également bénéfique considérant qu’ils et elles sont les principaux acteur.trice.s concerné.e.s par l’enseignement des stagiaires. Cela ferait en sorte qu’un plus grand nombre de personnes serait impliqué dans l’évaluation permettant, par le fait même, de limiter le pouvoir de l’enseignant.e associé.e. Ensuite, pourquoi ne pas intégrer au processus de placement des stages une discussion entre les étudiant.es et les futur.es enseignant.es associé.es de manière à ce qu’ils et elles puissent se choisir mutuellement? Ainsi, il serait possible d’éviter d’éventuels conflits idéologiques et de permettre aux stagiaires de choisir le ou la mentor.e avec lequel ils et elles souhaitent poursuivre leur développement professionnel et personnel.

Toutes ces propositions visent également à octroyer davantage d’autonomie professionnelle aux stagiaires qui sont présentement soumis.es, d’une part, à l’autorité de l’enseignant.e associé.e, et d’autre part, à l’évaluation universitaire qui est principalement basée sur les perceptions de ce.tte premier.ère. Depuis des décennies, l’autonomie professionnelle est jugée indispensable et ardemment défendue par les syndicats et les syndiqué.e.s de l’enseignement. Alors, pourquoi les stagiaires n’y auraient-ils pas droit eux et elles aussi? Avoir la possibilité de prendre ses propres décisions constitue un acte formateur en soi. Dans le cas des stagiaires, ce pouvoir d’agir leur permettrait de se construire intellectuellement en plus d’apprendre à gérer les différentes responsabilités professionnelles qui leur reviendront et de favoriser une prise de conscience aux rapports d’exploitation auxquels ils et elles sont soumis.es.

La rémunération des stages pour un renouveau de l’évaluation des stages?

Somme toute, l’évaluation des stages en milieu professionnel devrait sans aucun doute être réévaluée puisque sa dimension inéquitable, arbitraire et contraignante constitue un obstacle au développement personnel et professionnel des stagiaires, de même qu’à l’accès aux professions choisies. Non seulement ils et elles doivent se conformer aux attentes des évaluateur.trices, mais également aux impératifs ministériels. En effet, on impose aux enseignant.e.s et aux élèves des examens ministériels obligatoires. En théorie, le corps enseignant est libre de prodiguer l’enseignement et l’évaluation comme bon lui semble tant que les objectifs fixés par le gouvernement soient respectés. En pratique, il conditionne plutôt ses élèves à la réussite de cesdits examens nécessaires à l’obtention du diplôme d’études secondaires. Cela nous amène donc à revendiquer un changement des pratiques actuellement en place pour l’évaluation des apprentissages dans l’ensemble du système scolaire.

Les processus évaluatifs, qui découlent de la logique marchande du système capitaliste, favorisent la compétition, l’obéissance et la stratification sociale. Ils contribuent au modèle industriel de l’école (école-usine) qui reproduit une main-d’oeuvre docile ainsi que les hiérarchies sociales existantes au sein de la société. Dans cet ordre d’idées, en rémunérant les stages et en modifiant le processus d’évaluation, on améliore les conditions matérielles et juridiques des stagiaires. Toutefois, les stages ne sont que la partie la plus apparente du travail gratuit qui est réalisé par les étudiant.es. En exigeant la reconnaissance du travail et des compétences des étudiant.es, on reconnaît qu’étudier est un travail intellectuel qui mérite autre chose que le mépris, la misère et le remboursement de ses emprunts. Le salaire étudiant constituerait un moyen de lutter contre les rapports d’exploitation qui régissent actuellement l’ordre scolaire et qui traverse également l’ensemble des institutions sociales. C’est pourquoi lutter pour une rémunération des études est une étape primordiale afin de combattre la précarité étudiante et les rapports sociaux de pouvoir pour tenter de les rendre plus égalitaires.

Nicholas Bourdon
avec la collaboration de Mircea Adamoiu