Il y a environ deux ans, dans le cadre de consultations en vue de la restructuration de leur programme d’études, des étudiant.es en techniques de documentation du Collège de Maisonneuve ont formulé une liste de revendications, dont celle de la mise en place d’un programme à alternance entre les stages et les études. Cette demande visait, d’une part, à alléger la dernière session intensive de stages et, d’autre part, à obtenir un salaire pour les heures travaillées. S’ils et elles ont pensé en ces termes, c’est que les stages rémunérés, dans les programmes de gestion ou de génie par exemple, s’inscrivent souvent dans des programmes dits coopératifs. L’Université de Sherbrooke en fait d’ailleurs son chou gras lorsqu’on la prend en exemple au sujet des stagiaires rémunérés¹. Si la formule semble convenable à première vue, l’est-elle pour tout le monde?

Les programmes coopératifs (coop) existent tant au secondaire, au cégep, qu’à l’université. Dans le cas des études secondaires, le travail accompli dans le cadre d’un tel programme n’est pas rémunéré puisqu’il est considéré comme une expérience de travail qui permet aux étudiantes de connaître différentes professions. Dans les programmes coop de niveau postsecondaire, offerts un peu partout au Canada, tous les stages sont rémunérés. Ces programmes sont promus par le gouvernement et les administrations scolaires comme une nouvelle façon d’étudier. La formule consiste à alterner session d’études et session de stage rémunéré dans des entreprises afin d’appliquer concrètement et rapidement les apprentissages acquis, en même temps que d’explorer les réalités du marché du travail. L’objectif est d’obtenir un contact direct avec les employeurs, en plus d’acquérir une expérience de travail qui permettra de dénicher un emploi plus facilement après les études, et de donner, en bonus, des crédits d’études. L’option semble attrayante, mais quel est le prix à payer?

D’abord, les critères d’admission sont très restrictifs². Les participant.es doivent être aux études à temps plein, avoir et maintenir une moyenne académique élevée et, pour les personnes immigrantes, détenir le statut de résident.e permanent.e³ est obligatoire. Ce type d’études demande aussi beaucoup de disponibilité, car le stage est sous forme d’emploi. Cela implique que l’étudiant.e doit trouver un lieu de travail, ce qui comprend une recherche active, une préparation, des entrevues, en plus de faire simultanément une session avec travaux et examens. Et puisqu’il y a alternance entre les stages et les études, il faut avoir la flexibilité de prendre plus de temps pour compléter ses études, le cursus s’étalant souvent sur une année de plus. Finalement, en plus des droits de scolarité, des frais supplémentaires sont facturés pour l’inscription aux programmes coop, ce qui constitue une autre barrière à l’admission.
Toutes ces conditions réduisent considérablement le nombre de personnes admissibles à cette alternative aux études plus traditionnelles. Les parents monoparentaux, majoritairement des femmes, sont confronté.es à une dure réalité qui, pour la plupart, ne leur permet pas de débourser des frais supplémentaires, ni d’allonger leurs études. Il est déjà pratiquement impossible dans une telle situation de libérer plus de temps dans son horaire. Entre la course pour se trouver un stage dans une entreprise, une session à temps plein et les tâches qu’exige une personne à charge, c’est mission impossible. Il faut aussi prendre en compte que, dû à l’alternance entre les études et les stages, une rémunération n’est pas assurée durant la période où l’étudiant.e est à l’école à temps plein. Celui-ci ou celle-ci se retrouve alors forcé.e à trouver un travail externe salarié qui permet d’avoir des disponibilités qui varient d’une session à l’autre. La difficulté de se libérer du temps s’applique aussi pour les personnes avec un trouble psychologique, pour qui étudier à temps plein est déjà une tâche ardue. Rappelons également que les programmes qui offrent cette alternative correspondent à des professions traditionnellement masculines. Si des femmes se sont fait une place dans quelques domaines, notamment en droit et en médecine, d’autres sont encore composés à forte majorité par des hommes (voir le tableau)⁴. La question se pose donc: à qui s’adressent réellement ces programmes coop? Aux jeunes hommes sans enfant avec des dispositions financières, psychologiques et physiques leur permettant de se consacrer uniquement à leur formation.

Stat tableau stages rémunérés

Alice Brassard

  1. C’est le cas notamment de Denis-Robert Elias, directeur général du Service des stages et placement à l’Université de Sherbrooke, à l’émission Médium large en 2014: http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2011-2012/chronique.asp?idChronique=331244
  2. Les conditions peuvent varier selon les établissements scolaires.
  3. Pour l’UQAM, c’est d’avoir et maintenir une moyenne cumulative supérieure à 2.5: https://stagecoop.uqam.ca/etudiants/information.html
  4. Les programmes coop à l’Université de Sherbrooke sont entre autre génie, droit, médecine et sciences de la santé, sciences, sciences de l’activité physique, administration… https://www.usherbrooke.ca/ssp/fileadmin/sites/ssp/documents/recruter_stagiaire/Salaires_2015-2016_F.pdf . Pour l’UQAM on parle de programmes comme informatique et génie logiciel qui sont aussi majoritairement masculins. https://stagecoop.uqam.ca/etudiants/information.html
  5. Ces données ont été recueillies sur les sites des différentes universités au Québec. À l’exception du Barreau et de la résidence en médecine, les programmes sont de type coopératif. La liste des programmes n’est pas exhaustive.
  6. En 2015, 9,3% des stages du Barreau n’étaient pas rémunérés. http://www.ecoledubarreau.qc.ca/media/cms_page_media/185/remuneration-stagiaires.pdf
  7. La proportion de femmes et d’hommes en stage pour le Barreau n’a pas été trouvée. Ces chiffres sont ceux des membres déjà inscrit.es au Barreau.

Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2017 du CUTE Magazine.
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