Comme semble loin la Charte de Grenoble, qui a constitué l’acte de naissance du syndicalisme étudiant en 1946, cette époque de croissance économique d’après-guerre où on voulait arrimer les luttes étudiantes aux luttes ouvrières, auxquelles l’État répondait par des mesures keynésiennes pour neutraliser les élans révolutionnaires et repousser la crise à l’infini. À l’UNEF¹ (France) comme à l’UGEQ² (Québec), on affirmait le statut de « travailleur intellectuel » des étudiant.es et on réclamait le salaire aux études, qu’on nommait « allocation d’études »³ ou « pré-salaire »⁴, en s’inspirant des pays dits socialistes. Mais la crise est tout de même advenue, marquée par le choc pétrolier de 1973. Depuis ce temps, les gouvernements capitalistes n’ont fait que paupériser les conditions de vie de la population en arrachant les droits gagnés par la classe ouvrière. Au Québec, en 1976, on se rappellera également que le Parti québécois est élu avec un programme qui promet la gratuité scolaire et le pré-salaire. C’est dire combien le mouvement avait une influence au parti, le statut de travailleur.euse étudiant.e étant alors encore défendu au sein de l’ANEQ⁵. Cela n’a évidemment pas empêché le gouvernement nationaliste de briser sa promesse en n’instaurant ni la gratuité scolaire ni le salariat étudiant une fois au pouvoir, origine de la grève étudiante de 1978.
Malgré tout, le mal était fait : l’idéologie néolibérale qui justifiait le démantèlement de l’État keynésien ainsi que le nationalisme omniprésent dans les mouvements sociaux, qui étouffait les conflits avec le PQ, ont eu pour effet de tirer vers la droite même les organisations plus à gauche. Les organisations syndicales ont éliminé la lutte des classes de leur vocabulaire et le mouvement étudiant a éliminé celui de travail étudiant. Avec l’arrivée de l’ASSÉ au début des années 2000, la revendication du salariat étudiant avait déjà complètement disparu. On se bat alors pour que la gratuité scolaire redevienne une position hégémonique au sein d’un mouvement qui considère désormais les études comme un service.
C’est ce qui est advenu avec la grève du printemps 2012. Quoique ce mouvement de masse ait eu le vent dans les voiles, il s’est éteint pour plusieurs raisons dont l’opportunisme des dirigeant.es et militant.es de partis politiques qui ont utilisé le mouvement à des fins électoralistes. Depuis cette défaite, l’organisation qui rassemblait le plus de membres (ASSÉ) tourne en rond avec des revendications et des actions qui ne dérangent pas l’hégémonie capitaliste. Cela s’est observé lors du printemps 2015 et plus récemment avec la (non-)campagne « Tanné-e-s d’être pauvres ». Ceci a eu pour conséquence de pousser des associations étudiantes à quitter l’organisation. Du coup, l’ASSÉ se retrouve disloquée, ayant perdu deux de ses associations les plus combatives (des cégeps Saint-Laurent et Marie-Victorin). C’est pour cette raison que l’idée des Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) est née, ce modèle d’organisation ayant pour but de proposer, par-delà les guerres de clocher fédératives habituelles, la reconnaissance des études comme travail méritant salaire, en solidarité avec d’autres secteurs de travail (re)productif qui ne sont pas reconnus comme tels. La contribution des CUTE vise ainsi à réparer cette erreur historique du mouvement étudiant.
David Jules
- Union nationale des étudiants de France (1907-1971, réunification en 2001)
- Union générale des étudiants du Québec (1963-1969)
- UNEF. Bourses, allocation d’études : le point, 1970 : http://www.institut-tribune-socialiste.fr/1970/04/05/bourses-allocation-detudes-le-point/
- Alexandre Leduc. UGEQ: Centrale syndicale étudiante : http://www.archipel.uqam.ca/3539/1/M11563.pdf
- Association nationale des étudiants du Québec (1975-1993). Le Québec étudiant, vol. 1, no. 1. «Le salaire étudiant est-il souhaitable?» : http://archives-etudiantes.blogspot.ca/2008/03/le-salaire-tudiant-est-il-souhaitable.html
Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2017 du CUTE Magazine.
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