La ministre de l’Enseignement supérieur a pris les devants dans le débat sur la rémunération des stages. À la CRAIES[1] qui demande par voie de pétition une compensation financière pour le quatrième stage en enseignement, et à la FECQ[2] qui demande des stages collégiaux rémunérés dans les programmes majoritairement féminins, elle répond par une question de fond: «Pourquoi, quand t’es assis dans une salle de classe, t’es pas payé, et quand tu vas faire un premier apprentissage de formation en milieu de travail, il faudrait que tu sois payé?».[3] Bien qu’il s’agisse là d’ironie employée par Hélène David pour jeter le discrédit sur la CRAIES tout en se moquant de la campagne sur le travail étudiant des CUTE[4], qui revendiquent le salaire étudiant, sa réplique, comme tous les mots d’esprit, en dit beaucoup plus long que la ministre le voudrait, révélant dans ce cas-ci des indications stratégiques à ne pas négliger.

D’abord, il y a la question de l’organisation. Cela fait plus de dix ans que la lutte pour la rémunération des stages est segmentée par programmes ou domaines d’études. Il y a les étudiantes sages-femmes d’un côté, celles en psychologie sur leur bord, celles en enseignement dans leur coin… Chacune de leurs revendications est traitée comme un dossier sophistiqué qui n’a que très peu de liens avec les autres. Pire, elles sont même souvent mises en compétition: «les internes en psycho font plus de travail sans supervision que les stagiaires en enseignement»; «la charge des stagiaires en enseignement représente plus d’heures par semaine que celle des stages de travail social»; «les dépenses obligatoires sont beaucoup plus élevées pour les étudiantes sages-femmes», etc.[5] Or ces campagnes sont visiblement arrivées au bout de leurs capacités et stagnent depuis un bon moment. La division des mouvements et les revendications tatillonnes ne permettent pas de mobiliser de masse critique susceptible de rencontrer la pleine satisfaction quant aux objectifs fixés. Même la FIDEP[6], après trois mois de grève des stages et des internats en psychologie, s’est résignée à accepter la première offre du gouvernement, sachant que le mouvement ne se poursuivrait pas au-delà d’une session.

C’est probablement ce que la ministre a en tête lorsque, spontanément, elle ramène le tout à une question générale. Malgré son intention de mettre dos à dos les différentes campagnes, de les opposer les unes aux autres, au bout du compte elle les met toutes dans le même panier, exposant ainsi une solution propre à relancer ces luttes: en faire une bataille générale en adoptant une position incluant l’ensemble des stages, de tous les programmes et de tous les niveaux d’études. Il importe de s’organiser de manière à supprimer la compétition et la hiérarchie entre disciplines, qui renforcent la différence entre les stages rémunérés et ceux qui ne le sont pas plutôt que de l’abolir.

Ensuite, il y a le choix des moyens de pression. En fermant la porte à la logique même de la rémunération des stages, la ministre indique que l’enjeu ne se règlera pas à l’amiable autour d’une table à café, bref sans qu’un mouvement ne l’y contraigne. Forcer la note est l’un des pas les plus difficiles à franchir à l’heure actuelle. Après le dépôt au ministère de la Santé et des Services sociaux d’un mémoire sur les conditions financières des étudiantes sages-femmes, l’AÉSFQ[7] n’a pas su mobiliser ses membres, trop accaparées par leurs stages et trop dispersées à travers la province. Même chose pour la CRAIES, qui avait pourtant donné un nouveau souffle à la lutte pour la rémunération du stage 4; mais depuis le dépôt de sa pétition à l’Assemblée nationale ce printemps, l’horizon de cette campagne est incertain.[8]

Étant donné que l’an dernier, trois mois de grève ont été nécessaires pour que la ministre concède l’octroi d’une bourse aux internes en psychologie, on peut être assuré.es que la menace de débrayage se devra d’être réelle avant que le mouvement ne soit pris au sérieux par l’État. Si une telle aventure est déjà envisageable dans certains programmes comme l’éducation ou le travail social, il faut s’appuyer sur ces dynamiques pour embarquer les étudiant.es du plus grand nombre de programmes possibles, principalement ceux avec des stages obligatoires non rémunérés. Cela implique de se donner la peine de discuter avec les étudiant.es des techniques au collégial, comme l’éducation spécialisée, l’éducation à l’enfance, les soins de santé, la documentation… La grève des stages comme nouveau moyen de pression pour le mouvement étudiant peut libérer des forces incroyables et s’avérer très efficace. On a d’ailleurs observé à l’international une multiplication des appels à la grève des stages au cours de la dernière année, qu’on pense par exemple aux enseignant.es stagiaires à Grenoble et au Maroc[9] ou encore à la grève globale des stagiaires (Global Intern Strike) le 20 février dernier.[10]

Enfin il y a la cible, et c’est l’élément le plus important parmi ce que nous révèle la ministre. Cette dernière avance un argument d’apparence logique, du gros bon sens réconfortant pour son auditoire, qui pourtant dissimule une importante faute de raisonnement: la plupart des stages dans les domaines majoritairement masculins sont déjà rémunérés. Ainsi la supposée séparation entre travail et formation qu’elle oppose à la revendication n’existe, dans les faits, tout simplement pas! Hélène David est, bien entendu, au courant de la sous-valorisation du travail féminin et de son effet sur la non-rémunération des stages, sa compréhension des enjeux féministes est un fait bien connu. Mais si la façade de son mot d’esprit vise à nous embrouiller, le propos n’en est pas pour autant mensonger.

En choisissant de se montrer déterminée à ne pas reconnaître les stages comme un travail méritant salaire, au même titre que l’ensemble des études, elle tente de pelleter le dossier dans la cour du voisin: le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Car c’est bien aux normes du travail auxquelles elle pense, normes qui ne sont pas tenues d’être respectées vis-à-vis d’un «étudiant qui travaille au cours de l’année scolaire dans un établissement choisi par un établissement d’enseignement et en vertu d’un programme d’initiation au travail approuvé par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur».[11] Cette disposition exempte un patron de donner le salaire minimum aux stagiaires. Or, à l’issue de son Rendez-vous national sur la main-d’œuvre l’hiver dernier, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il procéderait à une révision des normes du travail «le plus rapidement possible», la première en 15 ans.[12] En voilà une cible de choix!

Il importe de poser dès maintenant les bases organisationnelles de la lutte en prévision des prochains mois, car celle-ci risque de s’avérer corsée! Pour profiter des bons conseils involontaires de la ministre, les CUTE ont entrepris, avec le concours d’exécutifs d’associations étudiantes, de comités de parents étudiants, de comités femmes et de groupes politiques étudiants de mettre sur pied des coalitions régionales pour la rémunération des stages. En effet, pour assurer que les différents groupes puissent prendre en charge les coalitions sans que celles-ci ne se détachent de leurs efforts et en viennent à les invisibiliser, il semble préférable de privilégier la coordination entre groupes sur une base régionale. Cela offre davantage de flexibilité structurelle selon les associations et comités en présence dans chaque région, et empêche qu’une clique de Montréal s’érige en «national», comme ce fut très souvent le cas au cours des dernières décennies dans le mouvement étudiant.

Ainsi, nous encourageons la mise sur pied de coalitions, semblables ou différentes, dans toutes les régions du Québec (et même ailleurs!) ainsi que l’entraide et l’échange d’informations et de ressources entre elles. La diversité des structures et le contrôle réel et concret de la lutte par une base mobilisée permettront une plus grande efficacité du mouvement et un meilleur ancrage sur les campus et dans les communautés.

En mettant nos efforts en commun, faisons en sorte que l’année prochaine soit celle où nous gagnerons la rémunération de tous les stages! D’ici là, continuons à faire réagir les ministres, ça peut toujours être utile.

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Cet article a été publié dans le numéro de l’automne 2017 du CUTE Magazine.
Pour te tenir informé.e sur la lutte pour la pleine reconnaissance du travail étudiant, pour en discuter ou pour y contribuer, tu peux nous contacter via la page CUTE Campagne sur le travail étudiant.


  1. Campagne de revendications et d’actions interuniversitaires pour les étudiants et étudiantes d’éducation en stage, présentement chapeautée par l’Union étudiante du Québec (UEQ). ↩︎

  2. Fédération étudiante collégiale du Québec ↩︎

  3. «David ferme la porte aux stages rémunérés», Le Soleil, 3 mai 2017. http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201705/03/01-5094528-david-ferme-la-porte-aux-stages-remuneres.php ↩︎

  4. Comités unitaires sur le travail étudiant, qui publient le magazine que vous tenez entre vos mains. ↩︎

  5. Et c’est sans compter les programmes où la lutte reste au point mort. En travail social par exemple, on peine à réclamer un salaire puisque les milieux de stages dans les organismes communautaires et dans les services sociaux souffrent déjà de sous-financement. ↩︎

  6. Fédération interuniversitaire des doctorant.e.s en psychologie ↩︎

  7. Association des étudiantes sages-femmes du Québec ↩︎

  8. La stratégie de la CRAIES-UEQ de miser sur l’élection du Parti québécois pour obtenir gain de cause mène la campagne dans un cul-de-sac, d’autant plus que le PQ a peu de chances d’être élu majoritaire l’an prochain. ↩︎

  9. Sur le mouvement de Grenoble: http://www.lemonde.fr/education/article/2017/04/13/la-greve-d-enseignants-stagiaires-se-poursuit-a-grenoble_5110682_1473685.html ; sur le mouvement au Maroc: http://fr.le360.ma/societe/les-enseignants-stagiaires-menacent-de-descendre-a-nouveau-dans-la-rue-125491 ↩︎

  10. Pour plus d’information: http://interncoalition.org/strike/ ↩︎

  11. Loi sur les normes du travail, chapitre II, article 3. http://www.cnt.gouv.qc.ca/guide-interpretation-et-jurisprudence/partie-i/la-loi-sur-les-normes-du-travail/le-champ-dapplication-art-2-a-31/3/index.html ↩︎

  12. «La Loi sur les normes du travail sera revue», La Presse, 17 février 2017. http://affaires.lapresse.ca/economie/quebec/201702/17/01-5070530-la-loi-sur-les-normes-du-travail-sera-revue.php ↩︎