Les membres de l’exécutif de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines (AFESH-UQAM) ont démissionné en bloc le 6 mars 2018 pour dénoncer l’organisation actuelle de la gauche au sein de leur faculté. L’essentiel de la lettre de démission critique le rapport à l’association facultaire entretenu par les groupes étudiants de différentes tendances, amalgamés confusément sous l’appellation de* groupes affinitaires*. Plus encore, elle enjoint ces derniers à plutôt s’investir dans le comité de mobilisation de l’AFESH. Directement concernées par le texte et évidemment en désaccord avec le propos, des militantes du CUTE UQAM ont cru important d’y répondre.
La gauche étudiante telle que nous la connaissons depuis une vingtaine d’années tend à se dissiper. Elle laisse place à un renouveau des formes organisationnelles, plus flexibles et moins hégémoniques, qui ne sont pas étrangères au mouvement étudiant des années 1970 et 1990. Ainsi, plusieurs tendances s’organisent en groupes partisans, comme le Mouvement étudiant révolutionnaire, les Étudiant.e.s socialistes et la Riposte socialiste étudiante; en groupes d’affinités comme Temps libre et le BASH UQAM; ou en comités autonomes comme les FRUeS, le Comité féministe en travail social, le CDDT et bien sûr le CUTE UQAM. On observait déjà ce type de collectifs dans le décor de l’UQAM auparavant, mais ce qu’il y a de nouveau, en plus de leur foisonnement, c’est leur degré d’autonomie par rapport aux associations étudiantes.
Jusqu’à récemment, on retrouvait des éléments de certaines tendances occuper des fonctions exécutives, pour qui voulait exercer une influence sur les positions et orientations stratégiques de l’organisation, tant sur le campus que dans l’association nationale. On peut penser au noyautage de l’ANEEQ par le Groupe d’action socialiste au début des années 1990, à celui opéré par les jeunes péquistes au sein des associations membres des fédérations étudiantes dans les années 2000 ou encore par le Front d’action socialiste à l’ASSÉ de 2012 à 2015. Or, les groupes semblent désormais privilégier l’assemblée générale pour promouvoir et légitimer leur campagne et aller chercher du financement pour la rendre effective. Les instances et mécanismes de représentation sont, à l’inverse, désertés par la plupart.
Lorsque les signataires du texte avancent que leur association est monopolisée et instrumentalisée par les groupes, tant du point de vue financier que logistique, on pourrait croire à du noyautage, or, il n’en est rien. On ne peut pas parler d’entrisme dans le cas qui nous concerne puisque l’instrumentalisation présumée ne s’opère pas en vase clos au sein d’un exécutif, mais bien en assemblée générale, une instance ouverte à l’ensemble des membres disposant du droit de parole, de vote et de proposition.
Il appert que c’est plutôt la propension à l’autonomie et à la décentralisation qui irrite les exécutifs successifs de l’AFESH dans les deux dernières années. En effet, les critiques formulées tiennent au fait qu’en AG, “chaque groupe s’empresse d’amener ses propositions ou ses amendements qui deviennent une liste d’épicerie sans se soucier de la cohérence des revendications et la manière de les mettre en applications auprès des membres.” Ce passage est révélateur d’une friction entre deux modes d’organisations. Au-delà du fait que l’exécutif démissionnaire pose, d’un côté, l’implication au sein de l’exécutif de l’AFESH et de son comité mob comme la norme et, d’un autre côté, l’implication dans les tendances organisées comme une déviance, les mandats proposés et débattus en AG par différents pôles sont effectivement difficiles à exécuter par un comité central. Contrairement à une culture associative où la plupart des propositions sont formulées par l’exécutif avant d’être amendées et avalisées en AG, il est vrai qu’il peut être ardu de dégager une cohérence entre les différentes résolutions rédigées par différents pôles, orientées par différents objectifs. Il s’agit là d’une manifestation concrète de la contradiction entre la centralisation et la décentralisation, entre l’hégémonie et l’autonomie.
Dans ce débat, nous prenons parti. L’adoption de mandats, aussi nombreux et variés soient-ils, n’a rien à voir avec une instrumentalisation quelconque de l’association. Tout comme il n’appartient pas à un exécutif de définir une campagne annuelle, par exemple, le travail de mobilisation ne doit pas reposer exclusivement sur l’exécutif. Ce sont aux membres des groupes qui proposent des mandats de les mettre en application. S’en remettre à des représentant.es, à un exécutif, est une déresponsabilisation nuisible et ineffective; un renoncement au pouvoir de participation à la politique étudiante. La combinaison de cette renonciation et de la volonté d’hégémonie et de centralisation est la cause de l’apathie ambiante dans le mouvement étudiant, décriée par plusieurs, notamment par l’exécutif démissionnaire.
Il est, par ailleurs, particulièrement surprenant de constater que l’exécutif démissionnaire considère qu’aucun travail de mobilisation n’est effectué au sein de la Faculté des sciences humaines. En ce qui concerne la campagne actuelle pour la reconnaissance et la rémunération du travail de l’ensemble des stagiaires, la mobilisation se fait principalement auprès des étudiantes en travail social, en psychologie et en sexologie. Le silence sur cette mobilisation laisse sous-entendre qu’en fait, ces membres, qui ne font pas partie de la gauche étudiante traditionnelle, ne sont pas considérées comme des sujets politiques. N’est-ce pas pourtant la réponse la plus viable et la plus subversive aux campagnes en faveur de la dissolution de l’AFESH que de construire une campagne à partir des foyers où s’organise généralement la réaction?
Il importe de rappeler au passage que la politique étudiante à l’Université du Québec à Montréal n’a pas toujours été organisée par faculté; cela n’existe pas avant 2001. De son côté, la disparition du comité Mob UQAM au profit des comités de mobilisation facultaires et modulaires date d’environ six ans. Pourquoi ne serait-il pas ainsi plus logique et efficace de réorganiser une campagne sur la base de l’ensemble du campus, comme le fait le Comité unitaire sur le travail étudiant, et de formuler des propositions pour les assemblées des différentes associations modulaires et facultaires, plutôt que de soumettre ses ressources à l’application de mandats d’une seule asso, dans le comité de mobilisation de l’AFESH, par exemple?
L’existence de divers groupes qui initient différentes luttes, organisent des événements, produisent et diffusent du matériel est tout à fait souhaitable. Le rôle de l’exécutif est de faciliter le travail de ces groupes et ainsi d’encourager la vie politique sur le campus plutôt que de chercher à la contrôler et la neutraliser. Aussi tabou que cela puisse être pour certaines personnes, il s’agit d’abord de faire profiter des importantes ressources financières de l’association, peu importe, en vérité, que les sommes proviennent de subventions, de dons, ou du budget du comité de mobilisation.
Considérant la décentralisation et l’autonomie des nombreux groupes organisés sur le campus et le sentiment de dépassement exprimé par les exécutifs vis-à-vis cette situation, il semble que la solution ne réside pas dans une énième tentative de rendre les postes attrayants ni dans l’invention de toute pièce d’une campagne qui aurait la prétention de plaire à tout le monde. Au contraire, le moment semble opportun pour repenser les modes d’implication au sein de l’association à partir des formes d’organisation des groupes qui la composent. Si ce sont les tâches administratives qui rebutent les gens à se présenter sur l’exécutif, celles-ci pourraient être divisées de manière concertée entre les groupes afin d’assurer minimalement le fonctionnement de l’AFESH. Chaque groupe pourrait, par exemple, avoir la responsabilité de déléguer une personne pour voir à l’administration transparente de base des ressources de l’asso. C’est un compromis que nous serions prêtes à discuter et à faire.
Des militantes du Comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE UQAM)
Amélie Poirier
Mathilde Laforge
Isabelle Cheng
Sandrine Belley
Sandrine Boisjoli
Anne-Sophie Hamel
Camille Marcoux
Valérie Simard
Jeanne Bilodeau
Emmanuelle Boisvert
Annabelle Berthiaume
Adam Pétrin
Etienne Simard
*La photo représente une action du CUTE UQAM pour la rémunération des stages à l’École de travail social de l’UQAM, le 10 novembre 2017.