Analyse de la participation du programme de psychoéducation durant la mobilisation étudiante pour la rémunération des stages
Texte rédigé par: Sandra Gilbert
Révisé et corrigé par: Stéphanie Gilbert

Depuis 2017, les moyens de pressions organisés par les étudiant.es de divers programmes du domaine social pour revendiquer la reconnaissance de leur travail ont été en constante évolution, jusqu’à se rendre à la grève générale (GG) en mars 2019. Selon les régions et les programmes concernés par la cause, il a été dénoté différentes actions et manières de réagir face à la perspective d’une grève. Ayant été une témoin participante depuis 2018 des moyens de pression, voici ce que j’ai retenu de mon expérience en tant qu’étudiante au baccalauréat en psychoéducation et présidente de mon association étudiante durant l’année scolaire 2018-2019.

Le fait que le programme du baccalauréat en psychoéducation à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) du campus de Gatineau et de St-Jérôme, en plus du programme de maîtrise à Gatineau, ait participé aux grèves en automne 2018 et en hiver 2019 était en soi un événement. En effet, l’Outaouais n’étant pas reconnu habituellement pour être une région très mobilisatrice et comptant peu d’étudiant.es inscrit.es à cette université dans ce programme en comparaison avec d’autres (environ 100 étudiant.es inscrit.es  en psychoéducation au bac et environ 40 à la maîtrise à Gatineau), tous.tes les militant.es furent agréablement surpris.es par l’engagement de ces futur.es psychoéducateur.rices au sein de la lutte. Il faut souligner également le fait que les étudiant.es à la maîtrise n’avaient pas d’association étudiante pour les représenter  au moment où les événements se sont produits, ce qui est toujours le cas à ce jour.

Il est à préciser cependant que l’on parle spécifiquement de la place prise de cette région lors de mobilisations étudiante. En effet, bien que ces mouvements soient à certains égards méconnus, d’autres revendications ont été menées de front par la région de l’Outaouais. Il est à souligner par exemple les mouvements dénonçant l’expropriation, l’accès à un logement ou bien le courant des entendeurs de voix en santé mentale. La mobilisation sociale peut donc être au coeur des mouvements sociaux si certaines conditions particulières se réunissent. Ces conditions favorables au sein de la mobilisation étudiante seront élaborées plus tard dans le texte.

Considérant les éléments nommés plus tôt, il peut paraître étonnant que les étudiant.es de la région de l’Outaouais se soient impliqué.es dans le mouvement de la rémunération des stages qui était en pleine expansion à ce moment-là. Ainsi, surtout lors de la grève en mars 2019, un questionnement s’imposait: où se trouvait les autres étudiant.es militant.es de psychoéducation à travers le Québec? D’ailleurs, je n’étais pas la seule à me poser la question. Lorsque j’ai aidé une étudiante de l’Université de Montréal (UdeM) à trouver des idées pour continuer ses démarches et rassembler les étudiant.es à la cause de la rémunération des stages, elle non plus ne comprenait pas pourquoi il était aussi difficile de mobiliser les principaux.les concerné.es, qui étaient pourtant touché.es par des conditions de stage aussi pénibles que celles en éducation et en travail social, par exemple.

Certes, il ne faut pas confondre le sentiment de démobilisation qui peut atteindre tous.tes les militant.es à certains moments et ce qui s’est produit dans les faits en termes de mandat de grève et des moyens de pression exercés. Le sentiment de démobilisation dû à la charge mentale et les incertitudes engendré par la situation de grève est difficile à vivre pour tout le monde dans tous les programmes. Il reste que toutefois, un constat se dessinait clairement; les seules associations étudiantes de psychoéducation ayant été en grève connues à ce jour étaient à l’UQO et à l’UdeM! Et le mandat de grève a duré une semaine seulement lors de la GG à l’UQO et trois jours à l’UdeM! Pour finir, seules les associations étudiantes de l’UQO en psychoéducation avaient participé à la grève de l’automne 2018!

Mais qu’est-ce qui peut expliquer un tel phénomène? Pourtant, les étudiant.es en psychoéducation étaient et sont encore exposé.es à des conditions de stage très difficiles, voire dangereuses pour leur santé mentale et physique. Comment expliquer le fait que, par exemple, certains programmes d’éducation et de travail social aient fait la grève pendant plus de deux semaines et pas en psychoéducation? Plusieurs hypothèses pourraient être élaborées. Il va être tenté une explication selon les connaissances de divers programmes, notamment en ce qui a trait à l’historique de celui-ci, les racines ayant contribué à sa création et les valeurs préconisées. Dans le cadre de ce texte, ce sera les programmes de psychoéducation, d’éducation et de travail social qui seront plus élaborés, par contre le même processus peut s’appliquer à d’autres programmes du domaine social.

La psychoéducation est un programme qui a été créé avec la collaboration de Gilles Gendreau, qui œuvrait alors comme éducateur spécialisé, Jeanine Guindon en psychologie et Euchariste Paulhus, comme enseignant pour jeunes en difficulté d’adaptation durant les années 1960-1970. L’objectif était de concilier le travail terrain et l’analyse clinique en vue d’avoir des résultats plus significatifs quant à l’aide apportée aux personnes en besoin. La psychoéducation est basée sur le fait d’aider la personne à s’adapter à son environnement en exerçant un accompagnement soutenu en la rejoignant dans l’environnement auquel elle vit. Cela exige donc que le.la psychoéducateur.rice fasse preuve de souplesse et de flexibilité dans ses interventions pour créer un lien avec la personne, en plus d’être présent.e sur une période de temps qui peut être longue selon les interventions à mettre en place. Cela fait en sorte aussi que les changements d’intervenant.es, surtout s’ils sont fréquents, peuvent perturber cet accompagnement vers un fonctionnement adaptatif concordant avec l’environnement  auquel la personne est exposée.

Ce faisant, bien que les cours enseignent clairement le fait qu’en tant qu’intervenant.e, nous ne sommes pas les sauveurs.ses des personnes en besoin, plusieurs étudiant.es  sont malaisé.es ou préoccupé.es de délaisser les besoins des personnes avec lesquelles illes travaillent pour se mobiliser à une cause étudiante. Illes se disent pour plusieurs : « Si moi je ne suis pas avec cette personne, comment pourra-t-elle cheminer sans que je sois là? ».

Là vient également le concept de s’oublier pour répondre aux besoins criant des personnes recevant des services psychosociaux, donc d’accepter le fait que les besoins des autres soient comblés au détriment de nos propres besoins. Si l’on suit cette méthode de penser et d’agir, cela veut dire qu’il y a beaucoup plus de chance d’adopter une attitude plus réticente face à l’idée de revendiquer une juste rémunération de leur travail. Par conséquent, les étudiant.es tendent vers l’option de simplement passer à travers les stages en acceptant ses modalités et en se disant qu’après ce sera terminé.

En comparaison avec des programmes tels qu’éducation ou travail social, les valeurs de la psychoéducation sont, selon ce qui a été présenté comme analyse, plus portées vers l’altruisme et la diplomatie. Ce qui veut dire aussi que les personnes étudiant dans ce domaine n’aiment habituellement pas être en conflit avec une quelconque forme d’autorité et vont essayer d’appliquer le même principe que lorsqu’elles sont en contact avec les personnes en besoin, soit de trouver une façon de faire baisser la tension, quitte à mettre de côté leurs valeurs personnelles.

Si l’on regarde selon la perspective historique de programmes comme en éducation ou en travail social, des différences s’imposent, malgré le fait que cela revienne du domaine social. Par exemple,  dans le programme en éducation, il y a un historique de mobilisation syndicale  important pouvant expliquer une mobilisation étudiante plus grande. Cela veut dire entre autres qu’il y a une expérience plus grande en termes de négociations et moins de peur face aux menaces extérieures pouvant provenir de diverses formes d’autorité. Il y a aussi moins l’aspect de vouloir plaire à tout prix à tout le monde et à maintenir un certaine harmonie dans les rapports hiérarchiques, pour revendiquer haut et fort des insatisfactions engendrées par des conditions de vie considérées inacceptables.

Pour ce qui est du travail social, les racines de ce programme au Québec viennent des organisations communautaires et comités de citoyen.nes qui revendiquaient à l’époque des conditions de travail et de vie plus justes et équitables, notamment durant les années 1960-1970. Bien que le premier programme francophone de travail social ait été créé à l’université de Montréal (UdeM) en 1939, c’est durant les années de la Révolution tranquille que le travail social a pris une ampleur importante et qu’il y a eu une professionnalisation des pratiques, ce qui implique une politisation de la profession. Celle-ci a cessé par cette politisation d’être vue comme une pratique cléricale destinée aux personnes religieuses se dévouant coeur et âme aux plus démuni.es. Ce programme comporte donc un volet où l’intervention collective militant pour la justice sociale est présente, ce qui peut expliquer également une plus grande mobilisation.

Les enseignements amenés dans les cours des programmes d’éducation et de travail social sont alors nécessairement teintés de ces aspects et influencent indirectement la manière d’aborder l’idée de participer à une mobilisation étudiante.

Mais alors, qu’est-ce qui peut expliquer une plus grande participation de la part des associations étudiantes en psychoéducation de l’UQO et de l’UdeM par rapport à d’autres universités? Je pense que la création d’opportunités de discuter de l’enjeu de la rémunération des stages et la prise en charge de l’organisation d’assemblées étudiantes à ce sujet ont été des clés importantes pour sensibiliser et motiver les étudiant.es à se joindre au mouvement. L’aide du CRIS-UQO a été aussi bénéfique pour l’apport d’informations pertinentes et constituait le lien de communication avec les autres régions. Aussi, le soutien entre autres des professeur.es de l’UQO à Gatineau a été un atout considérable durant l’année scolaire 2018-2019 en ce qui concerne leur adaptation face aux situations de grève et aux conférences données lors des cours en lien avec le sujet. De plus, le fait que certaines personnes aient vécu une expérience de grève dans le passé, notamment celle qui a eu lieu en 2012 concernant la hausse des frais de scolarité, a pu contribuer au partage des connaissances acquises lors de cette expérience. Par exemple, en tant que présidente d’assemblées étudiantes, je pouvais expliquer les modalités, le fonctionnement et les options possibles aux inexpérimenté.es lorsque la possibilité d’une grève se manifeste. Je pense que cela a contribué à réduire les inquiétudes liées à l’inconnu et à passer à l’action.

Dans les faits, cette mobilisation  n’était qu’un petit bourgeon à travers la forêt. Par contre, je pense que l’on détient certains éléments clés susceptibles de faire naître un sentiment de solidarité pour effectuer des actions concrètes si l’opportunité d’exercer des moyens de pression en venait à se présenter à nouveau.

En somme, bien que cette analyse ne puisse pas expliquer en totalité le phénomène d’une minorité d’étudiant.es ayant joint le mouvement pour la rémunération des stages, celle-ci offre  des pistes d’explication intéressante à explorer. Une fois que ce phénomène pourra être expliqué plus en profondeur, des actions pourront être effectuées pour initier les étudiant.es à la mobilisation étudiante. Ce sera, entre autres, de les encourager à revendiquer leurs insatisfactions concernant, notamment, la difficulté à répondre aux exigences académiques, en plus de leurs travails et stages respectifs en plus des responsabilités familiales pour certain.es en n’étant pas rémunérés pour leurs stages.

Surtout, il sera important d’enseigner l’importance de persévérer lors des moyens de pression en vue d’obtenir les gains souhaités. Bien que ceux-ci soient pour l’instant très petits (mentionnons, par exemple, l’accès à certaines bourses à la maîtrise et l’écriture d’un code de fonctionnement concernant les droits des stagiaires œuvrant en milieu de travail), il reste qu’en continuant la mobilisation et le travail d’équipe en ce sens, la cause va aboutir éventuellement à l’obtention des droits qui sont dus aux étudiant.es depuis la création des programmes d’études dans le domaine social avec stages.


Références
ENCYCLOPÉDIE CANADIENNE (2013). Travail social. Repéré dans: https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/travail-social (Page consultée le 2 septembre 2019).

Foisy, D. (2013). De l’aide à l’engagement civique, modèle de trajectoires de participation citoyenne : le cas des maisons de quartier de l’Outaouais. Thèse de doctorat présenté à l’École de science politique de l’Université d’Ottawa, Ottawa. Extrait p.32-69.

Meunier, A. & Piché, J. (2012). De l’idée à l’action: une histoire du syndicalisme enseignant. Québec. Presses de l’Université du Québec.
Renou, M. (2005). Psychoéducation: une conception, une méthode. Montréal. Éditions Béliveau.

UNIPSED (2012). Historique (psychoéducation). Repéré dans: https://www.unipsed.net/ressource/c-historique-psychoeducation/ (Page consultée le 3 septembre 2019).