Être sage-femme est un don de soi, un travail à la fois remplissant et vidant. La satisfaction d’un travail bien accompli, d’une naissance heureuse, d’un moment privilégié et partagé: un labeur… une vocation. Voilà, le mot est écrit, nommé: vocation. À la fois une bénédiction et une calamité, qualificatif au travail effectué, à ces heures que l’on ne semble pas compter et aux sacrifices qui s’accumulent. Suivi prénatal, prescriptions, références, présence à l’accouchement, suivi du nouveau-né et de la mère durant la période postnatale: il est possible d’en tirer énormément de satisfaction, mais les enjeux des étudiantes et étudiants sages-femmes et de leur diplomation au Québec impliquent désormais une discussion bien anticipée sur la rémunération et la compensation des stages obligatoires.
Depuis 20 ans, les sages-femmes ont pu réémerger au Québec et s’intégrer au système de santé afin de recevoir rémunération par la voie des fonds publics. En effet, aujourd’hui, les services des sages-femmes sont couverts par l’assurance maladie du Québec, nul besoin de débourser pour accoucher avec une sage-femme. Cette révolution a cours après une période de mobilisation houleuse et transformatrice de la part d’acteurs et d’actrices du monde de la périnatalité, du communautaire et du politique, culminant par la légalisation de la pratique en 1999, main dans la main avec les femmes et les familles qui réclamaient ces services.[1]
Au Québec, la maison de naissance est le principal lieu de travail des sages-femmes. Les sages-femmes en formation en sont un maillon important. Elles représentent également le futur de la pratique sage-femme au Québec. Toute personne qui désire un suivi sage-femme et qui y est admissible devrait pouvoir y accéder dans la province. Malheureusement, le taux de diplomation des sages-femmes est plus bas que les cibles prévues par la Politique de périnatalité du Québec, arrivant à échéance l’an prochain, en 2018. Ce plan, sur 10 ans, visait à permettre aux sages-femmes d’être présentes à 10% des accouchements au Québec en 2018. Or, en 2015-2016, les sages-femmes ont été présentes pour 3 400 naissances, c’est-à-dire 3.9 % des accouchements dans la province. Ces chiffres démontrent qu’il existe un manque à gagner, niché dans la formation de nouvelles sages-femmes, les calculs du ministère trop optimistes pour le taux réel de diplomation possible. L’AÉSFQ[2] propose depuis longtemps des solutions à ce défi. La rémunération se pose comme solution claire aux problèmes d’attrition des étudiantes et étudiants sages-femmes, le poids financier supplémentaire des études à temps plein représentant un stress de taille pour les personnes engagées dans ce programme d’étude. Nous reconnaissons la nécessité de pallier aux lourdes exigences des stages non rémunérés en rémunérant chaque personne qui effectue un stage, puisqu’elle effectue un travail.
Les sages-femmes aujourd’hui gagnent à se faire connaître, leur formation étant peu connue du public. Les gens m’offrent souvent un regard ébahi quand je leur mentionne que j’étudie à l’université pour devenir sage-femme, et que, de surcroît, le baccalauréat compte neuf trimestres en tout. Si on calcule, ça fait quatre ans et demi passés sur les bancs d’école et dans les milieux de stages. Et quand on pense à tout ce temps passé aux côtés des femmes et familles sans recevoir le moindre salaire, c’est là que ça se gâte. Les exigences logistiques du baccalauréat ne se règlent pas avec une pincée de toute la passion et l’amour que l’on peut posséder pour la profession. Exigences allant de posséder une automobile[3] jusqu’à débourser pour les frais de stationnement, de kilométrage, de voyagement à Trois-Rivières pour les cours intensifs obligatoires et les examens, en plus de l’ordinateur portable, le cellulaire, la connexion internet fiable pour les cours en ligne, le logement supplémentaire quand on part en stage de 15 semaines dans une autre région que la sienne et les frais de scolarité. Ouf, quelle énumération! C’est pourtant une liste familière pour plusieurs étudiant.es englué.es dans la réalité des stages non rémunérés, quel que soit le domaine d’études. L’AÉSFQ estime que près de 17 000$ sont nécessaires pour couvrir les dépenses obligatoires liées aux stages effectués durant la formation en pratique sage-femme, auxquels s’ajoutent les frais de scolarité, de manuels scolaires, de subsistance et de garderie ou gardiennage. En effet, les dépenses liées aux enfants et à la famille touchent environ 50 % des étudiantes sages-femmes qui sont parents ou le deviennent durant leurs études. Actuellement, aucune dépense obligatoire à la formation n’est indemnisée pour les étudiantes sages-femmes du Québec.
La réalité de la formation sage-femme dans les stages en milieu clinique exige que les étudiantes soient en tout temps disponibles afin d’effectuer la garde, pilier de la pratique. Il s’agit d’une disponibilité établie pour les femmes et familles enceintes, accouchant et accouchées. La plupart des étudiantes n’occupent pas d’emploi rémunéré durant leurs stages, soit pendant les deux tiers de leur formation. Si certaines le font, à l’instar de plusieurs collègues en stage d’autres professions, cela s’accompagne d’un agenda rempli à craquer et d’un sommeil souvent hypothéqué. De plus, la dernière année de formation est constituée d’un internat durant lequel l’étudiante sage-femme effectue 100% des tâches d’une sage-femme en plus de ses obligations académiques. Nombre de ces tâches sont identiques à celles des médecins résident.es qui, de leur côté, obtiennent une rémunération en plus de plusieurs compensations telles que le paiement de leurs repas durant leurs gardes.Les étudiantes effectuent des visites prénatales et postnatales en plus d’assister à des accouchements à domicile, à la maison de naissance ou au centre hospitalier, à toute heure du jour et cela, dans un rayon allant parfois jusqu’à 100 km de la maison de naissance pour certaines régions rurales.
À l’instar de nombreux programmes avec stages obligatoires non rémunérés, il est difficile de s’organiser de manière à exercer une pression suffisante pour obtenir gain de cause, en raison de la surcharge de travail des étudiantes. Afin d’éviter la stagnation, il importe désormais que les étudiantes sages-femmes se solidarisent avec les luttes organisées dans les autres domaines d’études, en réclamant la rémunération de tous les stages.
Je suis étudiante sage-femme et je te frotterai le dos quand la contraction viendra, je recevrai tes appels, je te donnerai mes meilleurs conseils face à tes maux de grossesse, je ferai les tests nécessaires à ta santé et celle de ton nouveau-né, que j’accueillerai au creux de mes mains: on se fait confiance. Je t’accompagnerai dans ta nuit sans sommeil, je ne dormirai pas encore cette nuit parce que je crois au plus profond de moi que ce travail est nécessaire, même si ma santé physique et mentale en paye parfois le prix. Malgré l’adjectif étudiante, je travaille. Nous réclamons rémunération pour ce travail effectué. Pour nous, pour nos collègues du futur, ainsi que toutes les étudiantes et étudiants qui travaillent, dans leurs stages, attelé.es à des tâches pour lesquelles ils et elles devraient recevoir rétribution, s’impliquant et s’appliquant quotidiennement. Que cesse la discrimination et la hiérarchisation des stages méritant rémunération.[4]
Gabrielle Filiou-Chénier et Élisabeth Lamarre
*Cet article a été publié dans le numéro de l’automne 2017 du CUTE Magazine.
*Pour te tenir informé.e sur la lutte pour la pleine reconnaissance du travail étudiant, pour en discuter ou pour y contribuer, tu peux nous contacter via la page CUTE Campagne sur le travail étudiant.
Pour approfondir ce sujet, je vous invite à poursuivre votre lecture avec Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne de l’historienne Andrée Rivard, elle-même militante de première ligne dans cette inspirante lutte. ↩︎
Association des étudiantes sages-femmes du Québec ↩︎
Il est demandé à l’étudiante d’avoir son propre véhicule afin de se déplacer aux accouchements à domicile qui ont lieu à toutes heures du jour et de la nuit. Cette dépense majeure n’est pas compensée par l’établissement accueillant l’étudiant.e (même l’essence lors d’une visite effectuée seul.e par l’étudiant.e n’est pas remboursée). Il existe bien une clause spéciale pour la location d’un véhicule à travers les prêts et bourses du Québec, mais les critères d’accès sont difficilement atteignables. ↩︎
Sachez que ce texte est librement inspiré du mémoire État des conditions financières des étudiantes en pratique sage-femme et pistes de solutions pour augmenter le taux de diplomation des étudiantes, écrit en 2012 et mis à jour en 2015 par l’Association des étudiantes sages-femmes du Québec. Merci à toutes les étudiantes et sages-femmes qui ont pu y laisser leur trace, leurs réflexions, leurs solutions, et ce, gratuitement. ↩︎