Pour devenir infirmière.ier, deux types de formations s’offrent aux étudiant.es: l’obtention d’un diplôme d’études collégiales du secteur technique en soins infirmiers, ou le baccalauréat en sciences infirmières à l’université. Les deux options comportent des stages d’une durée équivalente, prescrite par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), que l’étudiant.e doit compléter dans différents milieux durant sa formation. Ainsi, les stagiaires en soins infirmiers font face à des difficultés diverses tout au long de leur parcours académique, en plus de faire partie du lot des stagiaires dont le travail n’est pas rémunéré. Avec des horaires souvent atypiques et rigides, les étudiant.es doivent effectuer des stages totalisant un minimum, exigé par l’Ordre, de 1 035 heures. Il s’agit d’un nombre d’heures important quand on le compare à la plupart des autres formations techniques en santé. À partir d’expériences d’étudiant.es ayant fait la technique en soins infirmiers au CÉGEP, nous tenterons de mettre en lumière les réalités et les obstacles vécus par ceux.celles-ci.

Dans un stage typique, les stagiaires travaillent deux jours par semaine à l’hôpital la première année et jusqu’à quatre jours par semaine durant la dernière année. On les prépare au travail qu’ils et elles auront à effectuer en augmentant graduellement leurs responsabilités, et ce, rappelons-le, sans rémunération. On apprend le métier aux stagiaires en se voyant confier des tâches réelles, effectuées sous la surveillance serrée du superviseur.e de stage ou de l’infirmier.ère en charge. Une grande pression est exercée sur les stagiaires puisque la formation en soins infirmiers n’échappe pas aux hautes exigences du domaine de la santé. Mais la rigueur et la performance de la stagiaire ne garantissent pas la réussite: il faut aussi bien paraître auprès des superviseur.es qui pourraient imposer leur veto afin d’attribuer une mention d’échec. En soins infirmiers comme dans les autres formations, les stagiaires n’ont aucun droit qui les protège des différents abus. Ousmane Thiam, infirmier depuis six ans ayant complété sa formation au cégep du Vieux-Montréal, affirme que « si t’as un professeur qui t’aime pas la face, t’as moins de chance de passer ton stage  ».

Une cohorte en soins infirmiers est généralement composée, d’une part, d’étudiant.es fraîchement sorti.es du secondaire et, d’autre part, de personnes âgées de plus de 30 ans, majoritairement des personnes racisées, ayant complété une formation antérieure. Ainsi, plusieurs étudiant.es ont des enfants et la conciliation famille-études s’avère difficile. Maryse Brunet, étudiante de deuxième année en technique de soins infirmiers au cégep du Vieux-Montréal, constate: « Les parents étudiants rushent, y’en a qui s’adaptent mieux que d’autres, mais y’en a qui rushent. [Certain.es] ont dû lâcher quelques cours parce que c’était trop. » Les personnes interviewées sont unanimes sur la question: il n’y a pas d’accommodement possible pour les étudiant.es qui ont des responsabilités familiales. Ousmane relate que plusieurs personnes travaillent pendant leur stage: « Ceux et celles qui le font souffrent énormément. Il s’agit d’une obligation, pas d’un choix ». L’infirmier ajoute: « [Ces personnes] vont à l’école pendant la semaine et travaillent pendant le weekend. Ça fait des semaines complètes ». Les heures de travail salariées cumulées aux heures de travail gratuites représentent un stress de plus pour les stagiaires qui doivent performer autant que celles et ceux qui n’ont aucune personne à charge et le privilège de ne pas travailler.

Les stagiaires subissent donc beaucoup de pression, surtout celles et ceux qui ont tout misé sur leur technique pour obtenir rapidement du travail. Il n’existe aucun autre choix que d’endurer car « échouer une année de stage signifie manquer une année de travail », nous dit Ousmane. C’est souvent le cas pour de nombreuses personnes racisées et immigrantes, dont les diplômes ne sont pas reconnus au pays, et qui, par conséquent, choisissent la formation technique qui permet d’accéder à un emploi stable plus rapidement qu’une formation universitaire. Cet accès leur permet aussi de supporter leur famille, qu’elle soit au Québec ou à l’extérieur. Cela explique la forte proportion de personnes racisées dans ce programme. Le racisme présent dans la société québécoise est, sans surprise, aussi vécu durant les stages. Ainsi, en plus de la pression de bien performer, les personnes racisées doivent vivre avec « des commentaires, des regards », nous dit Ousmane. Certain.es patient.es refusent même leurs soins sous prétexte qu’ils ou elles n’ont pas confiance, aimeraient mieux être soigné.es par une autre personne, etc. « À cause de ça, ça crée une certaine situation de clans », ajoute-t-il. Les infirmière.iers racisé.es s’entraident pour mieux gérer la discrimination qu’ils et elles subissent.

Une des variables importantes dans le choix d’une technique est la possibilité de se trouver un travail une fois le diplôme empoché. Or, une technique en soins infirmiers garantit pratiquement un poste. « Certain.es sont prêt.es à s’endetter, car un emploi les attend après leurs études », explique Ousmane. Le stage a le mérite de préparer les étudiant.es à la réalité qu’ils et elles vivront, « car il n’y a pas grande différence entre un.e stagiaire et un.e infirmier.ère qui débute: les deux sont au bas de l’échelle et les deux le sentent ». « Sur le plancher, la hiérarchie est oppressante », continue-t-il. Comme durant la formation, tous les gestes posés sont scrutés à la loupe et la moindre erreur est rapportée aux supérieurs. « Des fois, il y a des traîtrises et des vengeances. C’est comme une microsociété avec ses propres codes », dénonce l’infirmier.De plus, le racisme systémique continue de se faire sentir. Les personnes racisées ont, en règle générale, des postes moins importants et moins d’opportunités de promotions. De plus, les nouvelles infirmier.ères de couleur blanche, souvent plus jeunes d’après nos sources, reproduisent les comportements qui maintiennent ce racisme. « Chaque clan recrute les nouvellement venu.es et leur explique comment ça se passe et ce qu’il faut faire pour garder sa place », ajoute Ousmane.

Les soins infirmiers n’échappent pas aux exigences liées au domaine de la santé. Une grande pression est portée aux stagiaires, du fait de l’exigence de la profession elle-même. « On prend [le] patient d’une infirmière pis on s’en occupe. C’est sur un vrai patient que notre job se fait. On fait “legit” ce que l’infirmière devrait faire, c’est sûr qu’elle passe derrière nous, mais on signe nos noms et faisons des notes aux dossiers. On devient l’infirmière étudiante du patient », indique Maryse. Pourquoi ne considérons-nous pas cela comme un travail qui mérite une rémunération? En fait, c’est que nous avons affaire à un domaine historiquement féminin, où le don de soi et la capacité de soin sont généralement associés aux qualités intrinsèques de celles qui choisissent cette profession. Camouflé sous le nom de vocation, cela contribue à l’invisibilisation du travail accompli, qui corrobore du même coup la non-rémunération des stages et des conditions de travail précaires. Voilà tout l’intérêt et le défi d’une lutte pour une reconnaissance réelle du travail accompli par les stagiaires, celui de se faire payer pour un travail qui sert concrètement la société au quotidien. Même si le domaine de la santé impose un rythme effréné et subit des changements structurels impromptus, les infirmières et infirmiers en stage s’avèrent être de fort.es allié.es en vue d’une lutte pour la rémunération de tous les stages. Connaissant les difficultés inhérentes à leur profession, une lutte élargie et solidaire par tous les domaines permettra de réaffirmer la valeur du travail de tout.es les stagiaires peu importe la profession.

Félix Dumas-Lavoie

Youri Jones Vilmay

Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2017 du CUTE Magazine.
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