En Outaouais, depuis les rentrées collégiale et universitaire, la mobilisation des comités pour la rémunération des internats et des stages (CRIS) est féconde. Les CRIS se montrent particulièrement résilients devant les aléas de la rentrée et les difficultés qu’impliquent le départ d’une cohorte d’étudiant.e.s et l’arrivée d’une autre. Cette force mobilisatrice n’est pas sans rapport au mode d’organisation de la campagne pour la rémunération des stages. En effet, l’ancrage local et autonome de la lutte et son contrôle direct par les militant.e.s contribuent à la vitalité politique que l’on ressent et vit sur les campus depuis l’amorce de la campagne. Consolidée par la collaboration et la coopération qui se réalisent au sein de la coalition régionale pour la rémunération des stages, la force des CRIS de l’UQO et du Cégep de l’Outaouais se développe et commence à peine à se manifester.  

C’est donc avec un mélange de surprise, d’interrogation et d’inconfort que les militant.e.s de la région ont perçu la volonté  des conseils exécutifs des associations facultaires étudiantes des sciences humaines et de science politique et droit (AFESH et AFESPED) de l’UQAM de provoquer la mise en place d’une structure de coordination nationale pour chapeauter l’organisation de la campagne. Plus qu’une simple proposition stratégique mise de l’avant à fins de débat au sein du mouvement, elle précisait ceci: « que dans l’optique d’un refus de la part des groupes de la Coalition Montréalaise et de d’autre coalition d’organiser une coordination commune formelle pour la campagne, que l’AFESH cesse de participer à la Coalition Montréalaise pour la Rémunération des stages et s’affaire à créer des liens avec d’autres associations étudiantes ayant des mandats pour la rémunération de tous les stages pour co-ordonner la lutte pour la rémunération des stages avec ces associations étudiantes »[1]. Bien qu’à l’AG de l’AFESH ce passage a été amendé avant la mise en dépôt de la proposition par abstention majoritaire, il est fort probable que la structure nationale refasse surface lors d’une prochaine AG. Que penser de la mise de l’avant d’une telle stratégie par l’exécutif de l’une des premières associations étudiantes à avoir adopté le plan d’action et l’ultimatum vers la GGI des stages, et ce, à quelques mois du potentiel déclenchement de cette grève? Voici une brève réflexion outaouaise sur le mode d’organisation de la campagne pour la rémunération des stages et une réponse à ses critiques.  

Quels besoins?
Au fond, il est peu surprenant que la volonté de provoquer la mise en place d’une structure nationale soit provenue de militant.e.s montréalais.e.s. Non seulement « national » a-t-il toujours rimé avec « Montréal » au sein du mouvement étudiant, mais cette tendance centralisante, et donc nationalisante en ce qui concerne la campagne dans son ensemble, s’y manifeste depuis quelques temps et particulièrement depuis le début de la session. Déjà, à la fin du mois d’août, avec le call d’un lancement « officiel » de l’ultimatum pour la rémunération de tous les stages par une conférence de presse et des actions, à Montréal, par Montréal, sans discussion ni consultation des comités des autres régions, qui étaient encore loin d’avoir adopté ledit ultimatum et qui se préparaient encore à leurs rentrées respectives. Puis, le 18 septembre dernier, par ladite proposition d’une structure nationale, qui visait à répondre aux « besoins » de la campagne pour la rémunération des stages. Donc, non seulement y connaît-on les besoins d’un mouvement qui se développe depuis plus de deux ans, partout au Québec, par une base qui est tout sauf la gauche étudiante traditionnelle, mais on y connaît aussi le moyen de  combler ces besoins: une structure nationale pour (co)ordonner le tout.

C’est d’ailleurs au nom de cette (co)ordination, qui serait actuellement minée par des « relations difficiles » entre les coalitions régionales, qu’agirait la structure nationale. On reconnaîtra ici une référence à la critique amenée par une militante du CRIS-UQO quant à d’importantes décisions stratégiques ayant été prises à la coalition montréalaise. En effet, les régions ayant été exclues de ces prises de décision et de ces discussions stratégiques, nous avons été placé à la remorque de Montréal alors que la campagne s’organise, depuis le début, sur des bases décentralisées, notamment pour éviter le montréalocentrisme. En réponse à ces événements, les militant.e.s de l’Outaouais recommandaient alors la multiplication des lieux et des canaux réunissant l’ensemble des coalitions pour favoriser la communication, la collaboration et la concertation interrégionales. Or, loin de là la volonté de créer une structure nationale. La solution proposée était plutôt de multiplier et de fluidifier davantage les canaux déjà effectifs afin que toutes et tous aient accès à l’information. Il s’agissait aussi de préserver notre autonomie et notre contrôle sur la lutte en Outaouais.

L’autre besoin soulevé par certains exécutants montréalais est la formation d’un mouvement de masse afin de récolter les fruits des efforts de mobilisation mis en place depuis deux ans. Or, il va de soi qu’un important mouvement social et collectif sera impératif pour que les revendications portées par notre lutte se réalisent. Donc, en rappelant un tel « besoin », on cherche moins à reconnaître la campagne qui se développe depuis plus de deux ans comme un mouvement social à part entière, au sein duquel il est possible de mettre la main à la pâte pour consolider ses forces et travailler sur ses faiblesses, qu’à faire bifurquer cette campagne vers les structures traditionnelles du mouvement étudiant ou une version édulcorée de celles-ci. Or, il ne faut pas remonter bien loin en arrière pour constater que la logique corporative a toujours été synonyme d’une dépendance inégale et involontaire de la périphérie envers le centre. Il suffit de peu de temps pour que le « national » éclipse ce qui se passe dans les régions, et ce, tant aux plans du savoir-faire, des stratégies, des décisions que de la représentation médiatique et de la présence au sein de  l’espace public.

Toutefois, il peut encore sembler tentant et surtout facilitant d’ériger une telle structure centrale pour représenter l’ensemble du mouvement et coordonner les informations, les actions et les décisions. Or, non seulement la campagne actuelle démontre-t-elle la possibilité de s’organiser autrement, mais cette culture organisationnelle autonome et décentralisée est directement liée à la rémunération et à la grève des stages. D’une part, bien que les stages soient un phénomène généralisé, tant à l’université qu’au CÉGEP, il existe de nombreuses particularités régionales et locales en ce qui concerne leur composition, leur application et leur (non) rémunération, ce qui rend difficile, voire impossible, l’organisation de la lutte des stagiaires par une logique corporatiste et représentative. D’autre part, si le débrayage politique des stages sera certainement un mouvement collectif, il aura la particularité de reposer directement sur les stagiaires, traditionnellement exclues des grèves étudiantes, qui devront individuellement prendre la décision de ne pas entrer en stage et la responsabilité d’affronter leurs milieux et leurs superviseurs de stage. Il est difficile d’imaginer la mise en acte d’un tel moyen de pression sans une réelle autonomie locale et régionale des militant.e.s organisé.e.s. L’organisation des stagiaires fondée sur le rapport direct entre elles et eux peut efficacement briser l’isolement des grévistes et assurer une solidarisation face aux sanctions à venir. De toute façon, la pluralité des situations qui émergeront en contexte de grève rendra probablement le rôle de délégué.e ou de représentant.e caduc. Puis, une mobilisation centralisée servirait probablement à homogénéiser et à simplifier la campagne auprès des médias, des politiques et des administrations, ce qui reviendrait à rompre avec la complexité de la lutte et à invisibiliser le travail acharné de celles et ceux qui l’auront mené jusqu’à la grève générale illimitée. Il faut toujours faire attention de ne pas s’organiser à la manière que les médias voudrait qu’on le soit, c’est-à-dire à la manière dont l’État et les corporations sont structurées. Loin d’être romantique ou idéal, le mode d’organisation autonome et décentralisé a donc une valeur stratégique en ce qui concerne les objectifs de la campagne pour la rémunération des stages. En effet, l’autonomie et le contrôle réel de la lutte sur les campus et dans les régions, ainsi que la solidarité qui en résulte, seront des facteurs essentiels à la réussite de la GGI des stages. Loin de limiter la collaboration entre les régions et les campus, cette culture organisationnelle permet une entraide proactive et un échange continuel de ressources entre les coalitions, les comités et les associations, et ce, tout en évitant une centralisation de la lutte dans une région ou sa récupération par une entité nationale. C’est sur ces bases que la campagne s’est construite et développée avec succès, alors pourquoi provoquer une bifurcation à l’approche de son point culminant?

Visibiliser notre travail
Si le climax de la lutte approche effectivement à grande vitesse, il reste énormément de travail à faire. En Outaouais, les efforts commencent à porter fruit avec l’adoption d’un plan d’action par l’association générale du Cégep et deux associations étudiantes de l’UQO, mais il y a encore beaucoup de temps et d’énergie à donner afin que les prochaines assemblées générales sur le plan d’action et sur la grève aboutissent à un ultimatum large vers la GGI des stages et les jours de débrayage en novembre. Loin de redouter cette tâche, les militant.e.s des CRIS savent que tout le temps investi dans la campagne portera fruit et que les périodes de grève marqueront à la fois l’aboutissement et la réussite du mouvement, c’est-à-dire l’obtention d’un salaire pour les stagiaires. Or, ce travail de mobilisation est celui d’une poignée de militant.e.s qui, jour après jour, sont sur leur campus, animent des ateliers, discutent avec et entre stagiaires, préparent les AG, écrivent des tracts et les distribuent, impriment et affichent les événements sur les babillards, explicitent l’argumentaire aux nouveaux et aux nouvelles et ripostent calmement aux critiques qui se limitent  trop souvent à l’individualisme et au cynisme. C’est ce travail trop souvent invisible qui a permis au mouvement de se rendre jusqu’ici, à quelques mois d’une grève générale illimitée combative, qui dépassera une strict critique de la marchandisation de l’école en démontrant, par la grève des stages, l’importance du travail effectué par les étudiant.e.s. Briser le montréalocentrisme implique d’inverser les structures qui donnent le pouvoir aux gens de la métropole. C’est d’ailleurs pour cette raison que le mouvement s’organise sur des bases autonomes et décentralisées depuis le tout début: visibiliser le travail que représente militer, faire de cette implication le point central de l’organisation locale et large de la campagne et conserver l’autonomie des militant.e.s et leur contrôle sur la lutte par le refus des logiques représentative et corporatiste. C’est cette culture organisationnelle qui a porté fruit et qui fait de la campagne un mouvement fort et autonome. À ceux et à celles qui voient en une structure nationale la condition sine qua non d’un mouvement de grève réussi, nous souhaitons rappeler que celui-ci se construit sur la preuve du contraire et que, pendant ce temps, en Outaouais, nous continuons de développer notre autonomie afin de rester ingouvernables.

Les militantes du CRISCO et du CRIS UQO


[1] Voici la transcription de la proposition amenée en assemblée générale par le conseil exécutif de l’AFESH, qui n’a pas été publiée dans le cahier de propositions en ligne et qui n’est pas disponible au procès-verbal, car un huis clos a été voté.

Considérant le besoin criant de coordination inter-régional ;  
Considérant le besoin de former un mouvement de masse pour que les efforts de mobilisation mis en place depuis deux ans portent fruits ;  
Considérant la structure informelle actuelle de la Coalition Régional Montréalaise et ses relations difficiles avec les autres Coalitions ;
 
L’AFESH propose d’effectuer une rencontre Inter-Régional d’une fin de semaine à l’extérieur de Montréal.  
Que le comité organisationnel de cette rencontre soit composé de militants militantes de chacune des coalitions régionales, ou à défaut d’une structure régional, de militants militantes pour la rémunération des stages organisé sur leur campus ;  
Que cette rencontre invite l’ensemble des groupes ayant comme objectif la rémunération de tous les stages ;  
Que cette rencontre ait comme but principal de mettre en place les bases d’une structure de coordination nationale pour permettre la communication directe entre les structures régionales, leurs militants et militantes, ainsi que la planification d’un plan d’action national vers la grève générale illimitée pour la rémunération de tous les stages ;  
Qu’un autre objectif de cette rencontre soit de mettre en commun l’organisation de structures régionales pour arriver un meilleur mode de fonctionnement commun dans chacune des coalitions régionales ;  
Que lors de cette rencontre la modalité de vote soit la suivante : une personne, un vote à concurrence de 3 votes par même groupe d’affinité, représentant d’une même association ou d’une même organisation.  
Que cette rencontre est lieu durant l’une des deux dernières fins de semaine de novembre.  
Que dans l’optique d’un refus de la part des groupes de la coalition Montréalaise et de d’autre coalition d’organiser une coordination commune formelle pour la campagne, que l’AFESH cesse de participer à la Coalition Montréalaise pour la Rémunération des stages et s’affaire à créer des liens avec d’autres associations étudiantes ayant des mandats pour la rémunération de tous les stages pour co-ordonner la lutte pour la rémunération des stages avec ces associations étudiantes.