Le 10 novembre dernier, près de vingt mille étudiant.es en travail social, en éducation, en enseignement des arts, en soins infirmiers, en commercialisation de la mode, en éducation spécialisée ont répondu à l’appel des CUTE[1] et ont débrayé de leurs cours et leur stage dans le cadre de la journée internationale des stagiaires. Les actions étaient multiples: manifestations, drops de bannière, ateliers d’éducation populaire, visibilité dans la ville…

Les stages rémunérés, c’est bon pour tout le monde !

Ce faisant, les étudiant.es de Sherbrooke, Gatineau, Rimouski, Montréal et Moncton au Nouveau-Brunswick ont joint leur voix aux stagiaires de Bruxelles, Madrid, Paris, Belgrade, Genève et de plusieurs villes du Maroc. Le même jour, près de soixante-dix organisations signataires au Mexique, aux États-Unis et au Canada ont lancé la déclaration « Assez de l’exploitation des stagiaires! » pour témoigner de leur appui à la campagne pour la rémunération de tous les stages[2]. Il n’en fallu pas plus pour que même la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, revienne sur ses propos du printemps dernier : alors qu’en mai dernier elle s’opposait catégoriquement à la rémunération des stages[3], trois jours après la grève du 10 novembre, elle annonce qu’elle allait « regarder la question »[4]. En réponse à quoi, des étudiant.es de Sherbrooke, Trois-Rivières, Montréal et Gatineau ont bien fait de lui rappeler – ainsi qu’à tous les autres partis politiques qui songent à ne compenser qu’un seul stage en éducation : si un jour de grève suffit à faire changer d’idée la ministre, nous n’hésiterons pas à en faire d’autres.[5]

Les stagiaires en éducation ne sont pas les seul.es à avoir de nombreuses heures de stages non rémunérées. Plusieurs autres programmes en font tout autant à l’université comme au collégial. Par exemple, au Cégep du Vieux-Montréal, les stagiaires en technique de travail social ont pour 800 heures de stage :

On est du cheap labor!! On nous épuise et nous fragilise au “burn out” avant même qu’on ait quitté les bancs d’école. Les mesures d’austérité qui affectent les services et les milieux du care ont un impact direct sur le travailleuses et travailleurs, mais aussi sur les stagiaires.[6]

En soins infirmiers au Collège de Maisonneuve, les six stages totalisent 1035 heures de travail bénévole :

On me demande d’être responsable des soins que je donne, on me dit que je suis responsable de mes patients, légalement responsable, au même titre qu’une infirmière. On me dit également que je dois faire ça par vocation, que je dois être bénévole, parce que je ne suis pas infirmière, je suis étudiante…[7]

En même temps, bien des stages obligatoires dans des programmes collégiaux et universitaires traditionnellement masculins sont payés, et ils sont nombreux à dépasser les 15$ de l’heure. Personne ne doit être laissé de côté !

Pour y arriver, il faut s’organiser !

La lutte des stagiaires va bon train. Lors de la dernière session, des coalitions régionales regroupant des associations étudiantes, groupes politiques, comités locaux et syndicats, en faveur de la rémunération de tous les stages se sont rencontrées à Sherbrooke et à Montréal. Des activités dans d’autres régions sont déjà annoncées pour la session d’hiver 2018. Les coalitions travailleront notamment pour visibiliser l’enjeu de la rémunération des stages le mardi 20 février prochain à l’occasion de la Global Intern Strike, un appel mondial à la mobilisation des stagiaires. Contactez votre coalition régionale ou votre CUTE local pour plus d’infos !

Pour les CUTE, la rémunération de tous les stages représente une première victoire pour la reconnaissance et la pleine rémunération du travail étudiant. En effet, les stages sont la partie la plus visible du travail étudiant, mais il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer que l’ensemble des étudiant.es soient rémunéré.es et obtienne des conditions d’études convenables.


Quelles conditions de travail pour les « emplois d’avenir »?

Les 8 et 9 juin prochains, les villes de Québec et de La Malbaie seront les hôtes d’une rencontre importante entre les dirigeant.es de sept des plus grandes puissances économiques. Les chefs d’État des États-Unis, du Japon, de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni, de l’Italie et du Canada se réuniront pour discuter de leurs préoccupations en matière d’économie et de «sécurité ». Parmi les cinq thèmes annoncés, l’un d’eux cible directement les revendications des CUTE: « Se préparer aux emplois de l’avenir »[8], emplois qui n’ont rien de reluisant. Nous nous retrouvons devant un marché du travail qui s’est flexibilisé, précarisé, mondialisé et où la quantité de travail gratuit ne fait qu’augmenter. Et les pays du G7 en sont responsables : ils ont activement structuré la libéralisation des marchés dans les années 1990, ce qui a eu pour effet de mettre en compétition les travailleur.euses d’ici avec celles et ceux du Mexique et de l’Asie. Cette mise en compétition a permis aux grandes entreprises d’engranger des profits records en délocalisant une partie de leur production ou en utilisant des sous-traitants situés dans des pays où les normes du travail et les normes environnementales sont moins rigoureuses et où les salaires moins élevés.

Lorsque les emplois se font rares, les gens retournent plus fréquemment à l’école, dans l’espoir d’améliorer leurs conditions. Par exemple, la crise de 2007 a permis à l’Université de Montréal d’augmenter ses inscriptions de près de 10% entre l’automne 2006 et l’automne 2009. Et pour le gouvernement, les stages non rémunérés sont devenus un moyen de réduire en partie les dépenses en éducation en obtenant une main d’œuvre de remplacement dans les institutions publiques. Mais encore, en ajoutant des stages dans un cursus scolaire établi, comme c’est le cas avec les programmes coop (alternance études-travail), il devient désormais possible de structurer le chômage endémique. On sépare alors les chômeur.euses en sous-catégories : stagiaire non rémunéré.e, personne à la recherche d’un emploi, personne sur l’aide financière de dernier recours, cachant les sans-emplois dans des programmes de formation allongés et banalisant les formes de travail atypique.

Les impacts de cette mise en compétition internationale des travailleur.euses a eu des conséquences bien plus grandes pour les pays du Sud: guerres, pillages des ressources, extractivisme, esclavage et mise en place de régimes autoritaires. Ainsi, des femmes et des hommes, espérant obtenir une sécurité et des revenus suffisants pour vivre migrent vers les pays du Nord, de plus en plus à travers des programmes formels de l’État de travail temporaire: travailleuses domestiques, travailleur.euses agricoles, travailleur.euses de chaînes de restauration rapide dans les régions éloignées des grands centres urbains. Elles et ils sont alors plusieurs à occuper des emplois particulièrement précaires – et à vivre au quotidien l’expérience du racisme et de la discrimination dans la recherche d’un emploi, d’un logement, d’un centre de la petite enfance, etc. D’ailleurs, plusieurs accepteront finalement des emplois nécessitant moins de qualifications que ce qu’ils ou elles ont obtenus dans leur pays d’origine ou encore retourneront sur les bancs d’école, dans l’attente de faire reconnaître leurs compétences ou dans l’espoir d’acquérir des compétences nouvelles dans le cadre d’une formation. C’est le cas de plusieurs femmes, notamment, dans les programmes techniques et professionnels comportant des stages obligatoires non rémunérés, tels que les soins de santé ou l’éducation à l’enfance.[9]

À l’assaut du G7!

L’explosion du travail non rémunéré est une conséquence moins visible, mais tout aussi directe des politiques de compétitivité économique. Même si les gouvernements ont eux-mêmes mis en place les traités de libre-échange facilitant les investissements étrangers, ils utilisent désormais le discours de compétitivité économique à l’échelle internationale pour justifier d’importantes mesures d’aides aux entreprises. Au Québec, ceci se traduit notamment par la mise en oeuvre de politiques pour « garder les emplois ici »: main-d’oeuvre qualifiée à bon marché, subventions publiques, stages non rémunérés et formations adaptées à des emplois spécifiques. Et ce n’est pas seulement les pays, mais les provinces, villes, écoles et arrondissements qui s’y soumettent en offrant toujours plus pour les employeurs.

Ainsi, sous prétexte de manque de budget dans les institutions publiques, comme la santé ou l’éducation, ou de diminution des coûts de production dans le secteur privé, de nombreuses personnes sont contraintes d’accepter de travailler gratuitement ou à faible salaire afin d’accumuler l’expérience nécessaire pour espérer être embauchées ou pour grimper les échelons. Mais, ces offres, comme les stages, conduisent rarement à des emplois bien payés. Elles sont plutôt devenues une forme de travail atypique, de plus en plus répandue.

La résistance contre le sommet du G7 est une opportunité à saisir pour protester contre la croissance des inégalités, ici comme ailleurs, et de se faire entendre dans le monde entier. Les discussions qui s’y tiendront entre élites économiques auront des conséquences à long terme. Que l’on soit étudiant.e en stage à l’école ou travailleur.euse salarié.e, on essaie de nous convaincre que chaque contrat est une « opportunité » d’*investir *sur soi-même, au grand bénéfice de nos professeurs, employeurs et des administrations pour lesquelles on travaille. Les luttes du mouvement étudiant comme celles des groupes de femmes, syndicats et groupes populaires ont tout intérêt à s’attaquer aux structures qui reproduisent la discrimination et l’exclusion sociale, qui fournissent aux employeurs de tout acabit de la main-d’oeuvre bon marché et facile à exploiter… C’est pourquoi il semble essentiel de prendre du recul pour constater le rôle que l’on a comme individu dans l’ordre économique mondial. Sautons sur ce tremplin pour établir de nouvelles solidarités et prendre conscience des étapes de lutte à venir ! Profitons du G7 pour appeler à une grève mondiale des stagiaires.

Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2018 du CUTE Magazine.
Pour te tenir informé.e sur la lutte pour la pleine reconnaissance du travail étudiant, pour en discuter ou pour y contribuer, tu peux nous contacter via la page CUTE Campagne sur le travail étudiant.


  1. Les comités unitaires sur le travail étudiant, dont vous tenez présentement la revue. ↩︎

  2. Depuis, d’autres organisations ont signé la déclaration. Il n’est pas trop tard pour inviter votre groupe, syndicat ou association étudiante à joindre le mouvement : http://www.globalinternsday.org/fr/la-declaration Vous pouvez également la lire à la dernière page du présent numéro du CUTE magazine, ↩︎

  3. Cloutier, Patricia. (4 mai 2017). « David ferme la porte aux stages rémunérés », Le Soleil. ↩︎

  4. Bellerose, Patrick. (14 novembre 2017). « Futurs enseignants: Québec étudie la possibilité de stages rémunérés », Journal de Québec, ↩︎

  5. Texte collectif. (16 novembre 2017). « L’effet d’un jour de grève des stagiaires », HuffPost Québec. ↩︎

  6. Discours de Kim Chauvette, étudiante et stagiaire en techniques de travail social, lors du rassemblement pour la rémunération des stages à Montréal, dans le cadre de la journée internationale des stagiaires. ↩︎

  7. Discours de Kaella Stapels, étudiante et stagiaire en techniques de soins infirmiers, lors du rassemblement pour la rémunération des stages à Montréal, dans le cadre de la journée internationale des stagiai ↩︎

  8. Gouvernement du Canada (14 décembre 2017). En route vers le Sommet du G7 de 2018 dans Charlevoix. ↩︎

  9. Belley, Bourdon et Simard. « L’école qui te remet à ta place », CUTE Magazine, no.2 (automne 2017). ↩︎