«Je ne comprends pas comment on en est arrivé là.»

Le 22 avril dernier, dix-sept exemplaires d’un zine intitulé (Comment) destituer le CUTE[1] étaient déposés à l’UQAM et à la Coop des récoltes. On pouvait y voir des extraits de procès-verbaux, des messages privés qui nous ont été envoyés, des interventions et des photos diffusées sur Facebook, des passages de zines produits par les Ingouvernables et quelques collants de la grande collection de l’AFESH. À l’exception du montage et d’une page sur l’inclusivité des espaces, le contenu n’avait rien d’original. Le soir même, une exécutante de l’AFESH condamnait les pratiques non sécuritaires des autrices dans un groupe Facebook de plus de 1000 personnes. Les réactions qui ont suivi étaient presque unanimes, nous étions allées trop loin. Le lendemain, une personne nous informait, pour le compte de centaines d’autres, que nous n’étions dorénavant plus bienvenues dans «les milieux de la gauche radicale à Montréal». Ailleurs, nous apprenions que le Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement de l’UQAM et le SPVM avaient été mis au parfum de l’existence du zine en raison d’une plainte pour harcèlement. Face à l’ampleur démesurée des réactions, aucune autre copie n’a été distribuée depuis. Nous avons trouvé judicieux de prendre le temps nécessaire pour expliquer notre démarche et soupeser les reproches (de doxxing, de snitchs, de paci-flics) qui nous étaient adressés.

Depuis les débuts de la campagne, les militant.es du Comité unitaire sur le travail étudiant de l’UQAM sont en conflit avec les comités exécutifs d’associations étudiantes sur le fond de plusieurs revendications comme sur la façon de s’organiser. Faisant face à un comité entêté à prendre des décisions et à les mettre en oeuvre, les comités exécutifs et leurs permanences ont été contraints de défendre la légitimité et la nécessité du modèle associatif qu’ils avaient investi. Les militant.es du CUTE UQAM rendaient désormais accessibles des débats stratégiques, autrefois cantonnés dans les instances de l’UQAM, notamment en tenant des rencontres ouvertes, en produisant et distribuant du matériel de vulgarisation, en organisant des ateliers-discussions et en diffusant à l’avance des propositions d’assemblées générales.

À l’automne dernier, plutôt qu’encourager un débat public et pédagogique, le régime de l'UQAM s'est consacré à la création de pages de memes et de zines dédiés à ridiculiser et mépriser les militant.es du CUTE UQAM. Les premières feintes d'organisation en autonomie prenaient forme et des efforts minutieux étaient mis à camoufler les pratiques réactionnaires de plusieurs des adeptes ou collaborateur.trices desdites pages et zines. En ce sens, (Comment) destituer le CUTE s’adresse d’abord à nos détracteur.trices et, ensuite, aux militant.es de l’UQAM. Il compile certains éléments qui contribuent au fameux «climat toxique de l’UQAM» qui, pour des raisons qui nous échappent, tardent à être dénoncés entre autres par les individus qui réclamaient de nos collègues leur dissociation et notre condamnation. Plus encore, il expose les contradictions entre les propos diffusés dans l’anonymat et ceux assumés individuellement sur Facebook, dans les rencontres d’organisation ou lors d’assemblées générales. Le zine n’identifie donc pas les «responsables de l’échec du mouvement», mais rend plutôt visibles les différentes résistances et stratégies qui se sont déployées à l’UQAM. Autrement, il faudrait faire fi des autres régions et établissements où la campagne a pris forme. Il faudrait aussi être d’avis que cette campagne de grève a été un échec. Et, somme toute, il serait erroné de concéder une capacité d’anéantir la campagne à des personnes qui, jusqu’à la toute fin, s’en sont désintéressées.

«Pour vrai, gros fucking zéro en matière de culture de la sécurité»
«Des enquêtrices hors pair»

La seule mention d’une «culture de sécurité» a rallié aveuglément des dizaines de personnes à l’indignation malgré qu’un nombre très limité ait pris connaissance du zine. Il est pourtant difficile de concéder que son contenu pourrait effectivement poser un danger pour les personnes qui y sont identifiées. Pour pouvoir parler sérieusement d’un manquement à une culture de sécurité, il faudrait que le matériel utilisé pour le zine ne soit pas disponible publiquement et, plus encore, qu’il ait été retiré depuis[2]. Dans les faits, les associations entre des personnes et des groupes ou encore les interventions qui s’y retrouvent n’ont rien d’étonnantes ou de choquantes pour quiconque y prête la moindre attention. Sur Facebook, la «famille Banquet» a compté plus d’une vingtaine de personnes dans les derniers mois. Les noms des membres des comités exécutifs sont quant à eux consignés au registraire des entreprises, dont plusieurs sont accompagnés d’adresses personnelles. Occuper un poste du genre n’est pas la meilleure stratégie pour passer incognito.

Mais, les bavures des anonymes en matière de sécurité ne s’arrêtent pas là. À l’initiative des personnes qui apparaissent dans le zine, le contenu de ce dernier a été discuté dans des groupes de plus de 1000 personnes et, bien évidemment, sur des pages de memes. Encore de leur propre initiative, des photos du zine ont été prises et diffusées, jusqu’à se retrouver entre les mains d’un réactionnaire connu en travail social qui offre publiquement de les partager en privé. Par ailleurs, les comptes Facebook de plusieurs exécutant.es sont souvent laissés ouverts dans les locaux des associations étudiantes. Sur les réseaux sociaux, les anonymes s’interpellent par leur nom, notamment aux côtés de photos où illes se retrouvent. Le récit fantasmagorique selon lequel les informations ne seraient pas accessibles pour la police est d’autant plus inquiétant pour les personnes elles-mêmes que pour celles qui militent à leurs côtés puisqu’il n’aide en rien à entretenir une réelle sécurité.

«J’aurais sincèrement trouvé ça de bonne guerre sans un tel étalement d’informations privées. Que ce soit bien clair, ce n’est absolument pas une critique politique de l’anonymat, c’est juste mesquin.»

À l’UQAM, tout au long de la campagne pour la rémunération des stages, l’anonymat a servi à camoufler que les textes d’un journal étaient majoritairement écrits par des hommes blancs, à dissimuler les initiatives d’exécutant.es d’associations étudiantes en initiatives autonomes, à rendre indiscernable les exécutifs et permanences salariés des militant.es étudiant.es, à faire passer des autoritaires pour des libertaires, de la bureaucratie pour de la spontanéité. À chaque occasion où une critique leur était formulée, les protagonistes des zines, des memes ou des Osti de GROS partys se sont défilé.es de répondre. Alors qu’il ne se matérialise pas lorsqu’il est question de participer à un colloque ou à une publication académiques, ou encore au moment d’investir les instances de l’UQAM, on conviendra avec les Ingouvernables que «l’anonymat n’est pas une posture politique». Il est devenu l’outil de prédilection pour se soustraire à toute redevabilité vis-à-vis des autres groupes organisés, comme de la nécessité de questionner ses pratiques et de se situer.

Ce désir d’échapper à toute responsabilité s’est d’ailleurs confirmé par la condamnation aveugle du zine et le balayement sous le tapis des questions qu’il soulevait. Tout doit être détruit: le «plan de guerre» préparé par un exécutant de l’AFESH pour bloquer une proposition de grève du CUTE UQAM lors de la première assemblée générale cet hiver; le sabotage d’une pétition de convocation à une assemblée générale de grève pour s’organiser contre la répression des stagiaires, revendiqué par la «famille Banquet»; le sabotage de procès-verbaux de la Coalition montréalaise pour la rémunération des stages; les délégations chargées de la médiation entre le CUTE UQAM et les associations de l’UQAM; la participation des permanences d’associations étudiantes à l’humiliation des militant.es du CUTE UQAM; les répliques misogynes qu’on nous a servies; l’absence généralisée des producteur.trices de zines lors du travail de mobilisation et d’organisation. «Rendez-nous tous les zines, et on n’en parle plus», nous ordonnaient les messager.ères envoyé.es à la dernière rencontre du CUTE UQAM.

Les actions posées et les stratégies adoptées ne cesseront pas d’être discutées publiquement pour l’unique motif qu’elles sont faites dans l’anonymat. Un réel souci de sécurité et de confiance n’implique-t-il pas aussi l’exposition du rôle de plusieurs dans cette campagne? Les reproches faits «au CUTE» n’étaient-ils pas précisément pensés dans une stratégie de délation? Quiconque défend l’anonymat ne devrait pas résister à l’exposition de ses limitations, mais plutôt s’attarder à y répondre sérieusement. Alors que les stagiaires en grève étaient elles-mêmes dans l’impossibilité de se rendre invisibles et qu’elles s’exposaient à une forte répression, les questions sur l’usage de l’anonymat se sont imposées d’elles-mêmes tout au long de la campagne. Qui y tient à tout prix, dans quelles circonstances et pour quelles raisons? Suffit-il de dire qu’il s’agit d’une stratégie qui «tombe sous le sens»?

«Enfin, vous décrédibilisez le CUTE et le travail de toutes les personnes qui ont planché pour cette grève depuis deux ans, aux yeux d’énormément d’allié.e.s.»

Jusqu’à ce jour, les réactions au zine n’ont pas détonné de la misogynie à laquelle on nous avait habituées. Des excuses et des mesures de réparation nous étaient réclamées. Si les militantes du CUTE UQAM ne voulaient pas subir le même sort, elles étaient sommées de se dissocier publiquement en condamnant notre démarche et en nous excluant des espaces d’organisation, avant même d’avoir pris connaissance du zine. En nous appelant à réfléchir à la portée de notre geste, on nous informait de la fin de toute collaboration avec le CUTE UQAM. Pourtant, cette rupture s’était déjà pleinement réalisée. Ce sont, par ailleurs, les stratégies de sabotage qui avaient déjà cours qui ont motivé une diffusion du zine postérieure à la fin de la grève. Et nous avons bien fait d’attendre puisque rapidement les codes d’impression du CUTE UQAM à l’AFESH et à l’ADEESE étaient supprimés, l’accès à l’adresse courriel de la Coalition montréalaise pour la rémunération des stages a été bloqué et, selon toute vraisemblance, les plus récentes demandes de remboursements seront ignorées. Mais, enfin, ça sert aussi à ça d’être élu.e sur le comité exécutif de son association étudiante.

Les présumées déceptions face aux militant.es du CUTE UQAM relèvent indéniablement d’une minimisation des conflits et des violences dont nous avons été la cible; minimisation souvent commode pour détourner le conflit politique vers des problèmes d’attitudes. On nous réclamait de ne pas «s’abaisser» à répondre, et on nous assurait que les comportements jugés problématiques étaient adressés dans la sphère privée. Les attaques virulentes méritaient une réponse posée, sans quoi on nous invitait à les encaisser en silence. Mais, ce n'est pas juste un slogan, les femmes, à force de marcher dessus, on se les prend plein la gueule.

«Le truc avec la non anonymisation c’est que c’est dangereux un brin»

Force est de constater que le zine ne met pas en danger les personnes identifiées. Nous assistons plutôt à un stratagème pour étouffer les critiques qui pourraient advenir ou les questions qui pourraient être posées. La culture de sécurité, tout comme la prétendue autonomie, est un subterfuge employé pour défendre et dissimuler un régime d’intérêts organisé autour des associations étudiantes de l’UQAM. La réaction spontanée des bureaucraties étudiantes uqamiennes au zine ne ment pas.

Pour résister à ces manoeuvres tout en évitant la panique générale, nous rendrons disponible une nouvelle édition du zine dans laquelle les visages n’apparaitront plus. Par ailleurs, nous avons été informées du mégenrage d’une personne qui s’y retrouve. Des excuses pour cette erreur lui ont été acheminées, puisque d’aucune façon il n’était question de remettre en question l’auto-identification de personnes. L’erreur a été corrigée. De plus, nous avons laissé à la personne concernée le choix de diffuser ou non la lettre d’excuse reçue.

Le contenu du zine pourra donc enfin être vu, discuté et débattu. Nous comprenons que cette distribution entérine la demande d’exclusion des «milieux de la gauche radicale montréalaise». Nous demandons donc à ce qu’ils nous soient communiqués. Nul besoin de nous nommer vos rencontres entre ami.es où notre exclusion, comme celle de nos collègues, est déjà assurée par la réintégration et la protection d’agresseurs connus, et ce, sans consulter les femmes qui les ont dénoncés. Du reste, nous continuerons à nous organiser dans nos milieux de travail, là où la souffrance ordinaire des travailleuses invisibles rend manifeste le néant politique de votre prétendue clandestinité.

Sandrine Boisjoli, Camille Marcoux, Amélie Poirier


  1. Parler «du CUTE» pour désigner le CUTE UQAM démontre à quel point les interventions et critiques sont imprégnées de montréalocentrisme et, surtout, d’uqamocentrisme. ↩︎

  2. En effet, plusieurs des publications et des images utilisées nous demeurent accessibles par l’entremise de Facebook. Autrement, les profils nous ont été bloqués sans que les informations jugées compromettantes ne soient retirées. ↩︎