[Retour sur la mobilisation en enseignement à l’UQAM]

Par Emmanuelle Boisvert, Anne-Sophie Hamel et Valérie Simard, étudiantes au baccalauréat en enseignement de l’UQAM

Lors de l’adoption du dernier budget provincial, l’annonce de la mise sur pied d’une mesure pour compenser le stage final du baccalauréat en enseignement est passée sous le radar. Hors des médias sociaux, quasi-silence radio. On se serait pourtant attendu à une plus grande clameur de la part des associations membres de la CRAIES[1] qui s’activaient depuis près d’une décennie sur cette unique revendication.

Célébration ou pas, du côté des stagiaires qui faisaient la grève[2] et qui devaient composer avec les menaces de sanctions et les remontrances, l’annonce a été reçue comme un coup bas, une désolidarisation qui compromet la poursuite de la lutte pour la rémunération de tous les stages. Alors que les moyens de pression s’intensifient depuis deux ans, la perspective de perdre le momentum et surtout l’appui des étudiant.e.s en enseignement est une source d’inquiétude.

Mettre fin à la lutte maintenant serait évidemment une erreur. Il y a bien sûr le risque que la promesse d’une compensation s’évapore au lendemain des élections en même temps que le gouvernement qui l’a élaborée. Surtout, la fin de la lutte signifie la réduction de toute la campagne pour la rémunération des stages à une simple revendication corporatiste.

Dans tous les cas, les associations étudiantes en enseignement (ADEESE) et en sciences humaines (AFESH) de l’UQAM et les coalitions régionales pour la rémunération des stages croient qu’il ne faut pas se satisfaire de si peu puisqu’elles ont toutes adopté un mandat incluant un ultimatum qui les conduira à déclencher une grève générale illimitée à l’hiver 2019 si le gouvernement refuse de rémunérer l’ensemble des stagiaires.

L’escalade est un sport de combat

Il s’en trouvera, évidemment, pour dire qu’il est beaucoup trop tôt pour déclencher une grève générale illimitée, que ce n’est pas stratégique de lancer un tel ultimatum au gouvernement maintenant. Pourtant, il faut remonter aussi loin qu’au 2 novembre 2016 pour trouver le premier rassemblement d’étudiant.e.s, stagiaires ou non, qui réclament publiquement la rémunération de l’ensemble des stages. Il y a deux ans, donc, on trouve les premiers soubresauts d’une lutte qui allait faire écho dans toutes les régions du Québec de même qu’à l’international et qui, vice versa, qui s'inspire des mouvements amorcés en Europe, en Afrique et en Australie.

Des actions et des évènements décentralisés se sont ensuite multipliés, jusqu’à la manifestation devant le Rendez-vous national de la main-d’œuvre à Québec en février 2017. Pour l’occasion, quelques 30 000 étudiant.e.s, de Gatineau, Sherbrooke, Québec et Montréal, sont en grève. Puisque le gouvernement préparait une réforme de la Loi sur les normes du travail, la stratégie alors est d’exiger que soient abrogés les articles de loi excluant les stages : il faut rendre illégale l’exploitation des stagiaires! C’est dans le contexte de cette manifestation que la ministre de l’Enseignement supérieur a offert une première réponse sans équivoque à la rémunération des stages : si les étudiant.e.s ne sont pas payé.e.s pendant leur formation sur les bancs d’école, pas question de les rémunérer dans les milieux de stage.

Les visites d’Hélène David dans les institutions scolaires auront ensuite toujours été interrompues par les militant.e.s des CUTE et des CRIS et de nombreuses journées de grèves et d’actions ont été organisées dans plusieurs campus, la contraignant à faire évoluer son discours jusqu’à sa plus récente déclaration lors de la conclusion des États généraux de l’enseignement supérieur, à Montréal.

Un débat de société

À cette occasion, la ministre a affirmé que la question de la rémunération des stages est un débat de société appelé à prendre de l’importance dans les prochaines années et a invité d’un même souffle tout le monde à s’y intéresser. Il faut dire qu’il était difficile de balayer la question du revers de la main alors qu’un groupe de militant.e.s venait d’interrompre son discours en scandant des slogans en faveur de la rémunération de tous les stages et laissait planer la menace d’une grève générale illimitée. Mais il ne faut pas croire pour autant que la ministre se plie aux revendications des stagiaires. En effet, elle juge toujours que chaque programme et chaque stage doit être considéré séparément, maintenant ainsi la hiérarchisation entre les professions, mais également entre les stages, et se gardant le droit de déterminer lesquels mériteraient salaire.

La journée d’actions pour la rémunération des stages qui s’est tenue quelques semaines plus tôt dans plusieurs régions du Québec en réponse à l’appel à la Global intern strike a aussi eu une résonance dans l’entourage de la ministre. Le 20 février 2018, quelques 20 000 étudiant.e.s et stagiaires étaient alors en grève et des occupations de bureaux de circonscriptions, manifestations, piquetages et ateliers se sont déroulés à Gatineau, à Trois-Rivières, à Sherbrooke et à Montréal, mais aussi à Rimouski, à Chicoutimi et même à Moncton. À l’UQAM, des étudiant.e.s ont profité de l’occasion pour interpeller le conseil d’administration et la rectrice, Magda Fusaro, rappelant ainsi la responsabilité des institutions de fournir des conditions favorables à la formation des étudiant.e.s. Devant l’obstination des manifestant.e.s à ce que le conseil d’administration de l’UQAM adopte une position en faveur de la rémunération des stages le soir même, la rectrice a dû se résigner à annuler la rencontre. Depuis, les échanges se multiplient entre les militant.e.s et l’administration de l’université sans toutefois que le dossier n’avance d’un iota. Contre la volonté de la rectrice, un point sur la question a finalement été ajouté à l’ordre du jour de la dernière rencontre avant les vacances d'été, point qui a finalement été mis en dépôt. L’expérience uqamienne témoigne, encore une fois, de la réticence institutionnelle à se positionner en faveur des revendications étudiantes…

Coups de semonce

Les administrations universitaires et collégiales se sont montrées toutes aussi frileuses à intervenir dans les échauffourées opposant les étudiant.e.s en grève et les directions modulaires et départementales. Partout, le mouvement de grève des stages s’intensifie et de plus en plus de programmes dans les domaines de l’éducation, des arts, des sciences humaines, des sciences politiques et du droit répondent à l’appel. En travail social et en enseignement, les directions sentent particulièrement la pression monter et les menaces de sanctions fusent, déstructurées. À l’UQAM, de façon autonome et contre la volonté de l’exécutif de l’association étudiante, les membres de l’ADEESE ont adopté, à la session d’hiver, un total de quatre journées de grève; la faculté des sciences de l’éducation s’est alors sentie dans l’obligation d’offrir une réponse organisée après que toutes les journées de grève se soient écoulées. L’attente est insupportable et certain.e.s acteur.trice.s (maîtres de stage, superviseur.e.s, profs) se permettent de prendre des décisions hors de leur pouvoir, ce qui alimente l’animosité et les réactions désorganisées. Le tout dans un contexte où les étudiant.e.s sont isolé.e.s dans leurs milieux de stage et ont peu d’occasions pour échanger et s’organiser. Ainsi, d’un groupe de stagiaires à un autre, les menaces iront de la perte d’un échelon à la compétence 12[3] jusqu’à laisser planer l’échec du stage. En réponse à ces menaces, les stagiaires en grève co-signent des lettres adressées à leur direction. Finalement, personne n’aura échoué même parmi celles qui auront fait les quatre journées de grève.

Pour se justifier, la faculté d’éducation affirme qu’elle doit répondre aux exigences d’uniformité des programmes, faute de quoi, la formation en enseignement offerte par l’UQAM ne serait pas reconnue. En travail social, les stagiaires se font dire que ce sont les exigences imposées par l’Ordre des travailleuses et travailleurs sociaux qui exercent le même genre de pression. Ces exigences bureaucratiques contraindraient ainsi les directions à faire une distinction entre la grève des stages et la grève des cours. En effet, comment justifier qu’on exige aux stagiaires de reprendre les journées de grève alors que les cours, eux, ne sont jamais repris? Ne s’agit-il pas d’une seule et même formation? Il y aurait donc un statut particulier pour l’étudiant.e en stage, statut que l’on peut justifier par les raisons évoquées par les administrations, mais que nous interprétons plutôt comme une preuve de la valeur du travail effectué par les stagiaires dans les milieux de stage.

Comment faire la grève des stages?

Les journées de grève des derniers mois nous ont permis de constater que les efforts déployés par le gouvernement pour diviser les étudiant.e.s, notamment en enseignement avec l’annonce de la compensation du stage final, reflètent une peur grandissante de perdre une main-d’œuvre gratuite et facile à exploiter. N’en déplaise à certain.e.s, la rémunération de tous les stages est une des solutions pouvant diminuer la précarité dans laquelle vivent un nombre sans cesse croissant d’étudiant.e.s.

Rétrospectivement, les derniers mois ont été très formateurs. En effet, il apparaît évident à la lumière de l’expérience uqamienne qu’il faut trouver de nouveaux modes d’organisations afin de répondre aux défis imposés par le contexte des stages, l’isolement des stagiaires étant sans doute l’un des plus considérables. Si l’association étudiante jouera toujours un rôle important pour collectiviser les risques et revendiquer le même traitement pour tou.te.s les étudiant.e.s peu importe qu’illes aient manqué des cours ou bien des jours de stage, c’est aux stagiaires mêmes que revient la responsabilité de s’organiser afin de se défendre face aux directions, aux employeurs dans les milieux de stages et aux supervisions. Tout en s’appuyant sur le lien qui unit les stagiaires aux autres étudiant.e.s et par le fait même, aux décisions prises en assemblée générale, il semble qu’il sera nécessaire d’organiser des assemblées de stagiaires en grève afin de structurer les réponses aux menaces de sanctions. Les assemblées pourraient ainsi former des comités de négociations responsables de faire le lien avec l’association étudiante et l’administration. On éviterait alors que les séminaires de stage et les rencontres individuelles de supervision soient des espaces propices aux menaces et aux tractations.

L’attitude de la ministre au cours des derniers mois démontre aussi qu’il est infructueux de se cantonner dans une stratégie corporatiste. À de nombreuses occasions, cette dernière a exprimé son souhait de négocier avec chaque programme en vase-clos. Depuis longtemps, tant le mouvement étudiant que les organisations de travailleuses et de travailleurs ont abandonné la perspective d’une lutte unitaire. Alors que dans la dernière année des travailleuses des milieux de la santé et de l’éducation ont multiplié les initiatives afin de dénoncer leurs conditions de travail, il semble encore loin le moment où sera abolie la frontière illusoire entre ces différentes professions et métiers. Pour l’instant, la crainte de perdre des acquis et la croyance en la rareté des ressources à partager freinent les possibilités de faire front commun contre un système exploiteur.
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Depuis trop longtemps, aussi, travailleurs et travailleuses, étudiant.e.s inclus.e.s, sont mal conseillé.e.s par la bureaucratie syndicale et associative. Si des menaces de grève dans différents secteurs ont plané au printemps et à l’été[4] dernier, elles n’ont servies qu’à nourrir l’argumentaire des délégué.e.s assis.e.s aux tables de négociations. Ces mandats de grève « à déclencher au moment jugé opportun » contribuent à déposséder les plus concerné.e.s de leur principal moyen de lutte. Au contraire, la décentralisation de la mobilisation et de l’organisation a démontré son efficacité dans le cadre de la lutte pour la rémunération des stages, l’exemple le plus patent étant sans doute la journée d’actions du 20 février dernier. Étant donné l’ampleur de la diversité des réalités régionales, ainsi que des conditions de stage de chaque domaine de formation, il semble juste de laisser à chacune d’entre elles l’espace pour s’organiser et s’exprimer, tout en partageant une analyse commune.

C’est ainsi que nous en sommes arrivé.e.s à lancer un ultimatum au gouvernement. La grève générale illimitée est à nos portes et cette fois il n’y a pas de recette. Il nous faudra oser, laisser place à l’imaginaire et nous lancer, malgré notre ignorance, afin de tenter une grève au fort potentiel transformateur. Ce que nous nous apprêtons à faire, ce que nous voulons tenter, aura au moins le mérite de ne pas être la copie d’une grève précédente.


  1. Campagne de revendication et d’actions interuniversitaires des étudiant-es en éducation en stage ↩︎

  2. Association des étudiantes et des étudiants de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM (ADEESE-UQAM), Association des étudiant.e.s en travail social de l’UQAM (AETS-UQAM), Association étudiante du module d’éducation de l’UQO (AÉMÉ-UQO), Association étudiante du module des sciences sociales de l'UQO (AEMSS-UQO), Association étudiante du module d’arts dramatiques de l’UQAM (AÉMAD-UQAM), Association des étudiantes et étudiants du baccalauréat en philosophie de l’UQAM (ASSOPHIA-UQAM), Association étudiante du service social de l’Université de Montréal (AESSUM), Association des étudiantes sages-femmes du Québec (AESFQ-UQTR), Regroupement des étudiants et étudiantes en travail social de l’UQO (REETS-UQO), Association générale des étudiants et étudiantes de la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke (AGEEFEUS), Association générale étudiante en éducation physique et kinésiologie de l’Université de Sherbrooke (AGEEP-UdeS), Association générale étudiante de la faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Sherbrooke (AGEFLESH-UdeS) ↩︎

  3. Les futur.e.s enseignant.e.s sont évalué.e.s selon douze compétences professionnelles établies par le Ministère de l’Éducation. La compétence 12 se lit ainsi: Agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions. On doit donc en comprendre que le respect d’un mandat de grève voté en assemblée générale va à l’encontre d’un agir éthique selon certaines administrations facultaires de l’UQAM. ↩︎

  4. L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal a adopté un mandat de grève générale illimitée dans le cadre des négociations pour la convention locale au printemps et le Syndicat des employé.es de magasin et de bureau de la SAQ s’est doté d’un mandat de grève de 6 jours de grève dont la première s’est déroulée le 17 juillet. ↩︎

Cet article a été publié dans le numéro de l'automne 2018 du CUTE Magazine. Pour te tenir informé.e sur la lutte pour la pleine reconnaissance du travail étudiant, pour en discuter ou pour y contribuer, tu peux nous contacter via la page CUTE Campagne sur le travail étudiant.