À l’occasion de la journée internationale des femmes le 8 mars 2019, près de 40 000 étudiant.es et stagiaires de plusieurs régions étaient en grève pour dénoncer l’exploitation du travail, du temps et du corps des femmes, et exiger la rémunération de tous les stages à tous les niveaux d’études. L’État bénéficie directement de ce travail gratuit qui ne cesse d’augmenter alors qu’il impose systématiquement des compressions budgétaires, précarisant ainsi toutes les travailleuses et les travailleurs des secteurs de la santé, des services sociaux, de l’éducation et du communautaire.

À l’UQAM, le comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE UQAM) organisait ainsi une action au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) pour rendre visible le mouvement pour la rémunération des stages et pour démontrer une solidarité avec les travailleuses du domaine de la santé.

Les conditions difficiles, la détresse psychologique des travailleuses et la non rémunération des stages sont l’objet d’une même lutte : la reconnaissance du travail du care, traditionnellement et encore aujourd'hui accompli par une majorité de femmes. Cette lutte devra s'accompagner du contrôle des travailleuses sur leurs conditions de travail.

Voici le second texte traduit distribué lors de cette action, extrait du texte “ Black Nurses : A Job Like Any Other”, écrit par le Black Women’s Group de Londres, paru dans la revue Race Today et repris dans le Journal of the Power of Women Collective, publié en 1974 en Angleterre.

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AGENCY NURSES

Nous pensons que l’infirmière d’agence a représenté le fer de lance pour la force du changement dans le Service national de santé. Les tentatives pour la victimiser sont racistes et contre la classe ouvrière.

Un nombre important d’infirmières noires travaillent pour des agences. Les agences d’infirmières se sont multipliées dans les deux dernières années et de plus en plus d’infirmières, particulièrement celles qui sont mariées, font du travail d’agence en tant qu’alternative flexible au Service national de santé. Dans la région de Londres surtout, les hôpitaux d’enseignement reposent fortement sur les travailleuses d’agence qui facilitent les problèmes de main d’oeuvre. (...)

Aux points critiques d’une lutte, quand les intérêts de deux groupes différents de travailleurs semblent opposés, le plus fort gagne souvent sa cause temporairement en excluant le plus faible. En Angleterre, les syndicats ont été formés pour exclure les femmes des métiers qualifiés. Aux États-Unis, les syndicats ont été formés pour exclure les femmes blanches et tous les « étrangers » et les noirs des métiers qualifiés. La main d’oeuvre infirmière semble être divisée par différents syndicats et corps professionnels, mais elle ne l’est pas. Dans ce cas, les divisions entre syndicats ne divisent pas nécessairement les travailleuses, et peuvent même être utiles puisque les infirmières se rassemblent au-delà des barrières syndicales. Les travailleuses non syndiquées (ce qui inclut les infirmières des agences) ne sont donc plus exclues par la manière de s’organiser des travailleuses. Les divisions qui sont dangereuses sont, d’abord, entre le personnel soignant et non-soignant, ensuite, entre les infirmières des services publics et celles des agences - des divisions entre les travailleuses de l’hôpital. Elles doivent se rassembler et refuser ces divisions que le gouvernement, les syndicats et la gauche essaient de creuser. Le racisme et le sexisme ne sont pas des attitudes morales abstraites, mais se rapportent plutôt au fait de prendre position ou non avec les femmes noires, d’agence ou non, auxiliaires, de tous les niveaux de formation.

La question de la somme d’argent touchée par une infirmière d’agence est largement exagérée et des agences utilisent des échelles de salaire pour les infirmières blanches et une échelle inférieure pour les infirmières noires. On nous a dit : « À l’agence ils disent qu’il ne faut jamais discuter de ton salaire. Je l’ai fait et j’ai découvert que les infirmières australiennes gagnent plus. »

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L’infirmière d’agence a été mise à l’écart et désignée comme cible à attaquer. L’attaque est venue de l’intérieur de la « profession », de l’exécutif du syndicat des employées de la santé (COHSE) et des organisations à prétention révolutionnaire. Tous ont dit que les infirmières du Service national de santé devraient refuser de travailler avec les infirmières d’agence. Au moment d’écrire, COHSE a retiré l’usage de la grève par ses membres, en attendant un rapport, mais leur interdiction de travailler avec les infirmières d’agence demeure et deviendra permanente. Un groupe trotskiste, qui produit le journal Hospital Worker, a aussi appelé à l’arrêt complet de l’emploi d’infirmières d’agence, et un rapport récent dans Women’s Voice, le journal des International Socialists Women dit : « À notre premier rendez-vous nous avons décidé que la meilleure action serait d’interdire le travail avec les infirmières des agences. Elles sont 300 à l’hôpital King et 12 500£ par semaine sont dépensés pour elles - l’hôpital s’écroulerait sans elles. Bien sûr, c’est dur pour elles, mais si elles sont concernées par les conditions des infirmières, elles devraient être dans le Service national de santé luttant avec nous.»

L’infirmière d’agence est le premier refus d’être attachée à la hiérarchie de l’hôpital, confrontant ainsi le chantage auquel font face toutes les infirmières qui sont des « professionnelles » des soins et celles qui ne sont pas des travailleuses. Les enjeux qui ont mené à la création d’agences d’infirmières sont fondamentaux pour toutes les infirmières et en fait pour toutes les femmes. Mais l’unité nécessaire pour mener un combat viendra seulement lorsque les infirmières du Service national de santé joindront les infirmières des agences pour aborder ces enjeux.

Les infirmières noires ont été accusées de ne pas participer activement dans les luttes actuelles. De telles accusations, comme celles contre les infirmières d’agence, sont basées sur le racisme inhérent à la hiérarchie de l’hôpital. Les infirmières noires ne peuvent pas savoir si l’unité à laquelle appellent les infirmières garantit que leurs griefs spécifiques seront traités. Davantage que les infirmières blanches, elles font face aux indignités sur le plancher de la part des patients et des docteurs, et l’histoire entière et leur expériences les amènent à agir avec précaution. L’attaque sur l’infirmière d’agence a confirmé qu’elles avaient raison d’être prudentes jusqu’à présent quant à joindre la lutte alors qu’elles ne la mènent pas.

Pourquoi elles ne sont pas venues me voir ?

Lorsque j’étais une patiente à Whittington, je suis intervenue pour aider des infirmières qui allaient être rétrogradée de formation. Elles avaient fait sept ou huit sujets et on leur avait dit que leur anglais était mauvais. Elles ne pouvaient même pas parler de leur situation avec le directeur- et ça c’est quelque chose qui arrive tout le temps - tu ne peux jamais atteindre la hiérarchie. Tu dois passer par la soeur tutrice ou la soeur en charge. Elles ont dit qu’elles ont essayé d’avoir un rendez-vous pour rencontrer le directeur et leurs lettres ne se sont jamais rendues.

Elles n’ont pas eu de deuxième chance, et quelques-unes d’entres elles l’ont seulement appris avant le congé, ce que je trouvais injuste. Et les filles ont seulement échoué par un ou deux points. Leur travail pratique était très bon : elles étaient des bonnes infirmières selon les patients de l’unité. Je le sais parce que j’ai été soignée par une ou deux de ces filles.

J’ai fait le tour de tous les patients dans l’unité et je demandais, « Est-ce que tu comprends l’infirmière C***? » Et ils disaient « oh, parfaitement ». Et « elle est la seule qui fait nos oeufs comme on les aime » et « elle est la seule à être attentionnée ». J’ai senti qu’il fallait faire quelque chose. Je suis allée avoir la soeur en charge et j’ai commencé une pétition. Tous les patients ont signé et je suis retournée voir la soeur pour qu’elle signe la pétition. Elle a dit « Oh, pourquoi les filles ne sont pas venues me voir pour commencer? »

Ensuite je suis allée voir le directeur. Il m’a accordé un entretien et j’y suis allée préparée à me battre. Quand je me suis assise il a dit : « Avant qu’on aille plus loin, je veux te dire que les filles vont avoir une deuxième chance. » Cela avait été pris en charge par l’école d’infirmières.

Au moins j’ai senti que j’avais gagné une bataille. Et je suis contente que ce soit arrivé parce que lorsque je vais retourner travailler à temps plein, je vais faire partie du système. Et je ne serais pas capable de fonctionner dans ce genre de système. Je sentirais que mon travail me piège.