« LE BOSS: Elles ont tout arrêté: plus de lavage, plus de ménage, plus de repas, plus personne pour s’occuper des enfants… Comprends-tu?
LE PREMIER MINISTRE: Ça veut dire que les femmes ont abandonné leurs maris et leurs enfants? Mais c’est un drame pour notre province! Les femmes, piliers de la famille et éducatrices des citoyens de demain, ont-elles perdu le sens de leurs responsabilités? » ¹
Pour les femmes étudiantes et ayant des enfants, le continuum d’exploitation entre les institutions familiale et scolaire se vit au quotidien comme un frein à l’éducation et à des conditions de vie décentes. Ces mères, plus nombreuses parmi les parents étudiants, doivent donc combattre à la fois la division sexuelle du travail domestique et les grands discours parlant de la maternité en termes de vocation et d’instinct maternel. Dans la plupart des écoles au Québec, il n’existe aucun mécanisme pour répertorier les parents étudiants. Cette invisibilisation nuit grandement à la mise en place de politiques de soutien adaptées à leurs besoins. Pourtant, les dernières recherches estiment leur nombre autour des 20-25% des étudiant.es universitaires.²
« De toute façon, y disent que nous autres on travaille pas… »
En 1975, la pièce « Môman travaille pas, a trop d’ouvrage! » du Théâtre des cuisines nous présentait justement la réalité de ces femmes travaillant au foyer. Comme dans de nombreux milieux modestes, trois femmes, Nicole, Yvette et Rita, s’insurgent contre ces tâches infinies liées à la reproduction: tâches domestiques, courses, éducation des enfants, etc. Épuisées, elles en ont marre de voir leur travail négligé, ce travail qui profite pourtant à leur mari et au patron de celui-ci. « Notre lutte n’est pas contre la coquetterie ou contre les hommes mais contre l’exploitation de notre travail 24 heures sur 24 », disent-elles. Elles décident alors de faire grève de leurs activités, une grève des femmes qui alimentent toujours l’imagination de femmes d’ici et d’ailleurs. Lorsque celle-ci se déploie dans des centaines de foyers, les maris, mais aussi les employeurs et les politiciens, se retrouvent ébranlés par l’arrêt du travail qu’ils avaient réduit au point de l’invisibiliser. « Un drame pour notre province! » s’était exclamé le Premier ministre de la pièce.
Dans le cadre d’une conférence en 2007 tenue à Montréal, la sociologue féministe française Christine Delphy s’est penchée sur le travail parental.³ Sans négliger plusieurs des positions polémiques de cette auteure, celle-ci révèle combien la réalité de Nicole, Yvette ou Rita de l’époque du Théâtre des cuisines est toujours familière aux mères d’aujourd’hui. En effet, dans un couple hétérosexuel, elle démontre que si la répartition des tâches semble plus équilibrée aujourd’hui, à l’arrivée du premier enfant cependant, la distinction des rôles sexuels s’accentue fortement. Non seulement la part de travail ménager des hommes stagne, dans certains foyers elle tend à diminuer. Les femmes font alors environ 80% des tâches liées à la gestion du domestique et à l’éducation de l’enfant.
En même temps, par rapport à l’époque du Théâtre des cuisines, les femmes sont de plus en plus nombreuses à s’inscrire dans des programmes collégiaux et universitaires et à obtenir leur diplôme ou leur grade. Plusieurs d’entre elles doivent donc concilier le travail à l’école et à la maison, sans recevoir de soutien adéquat.4 Constituant environ 70% des parents étudiants,5 les femmes sont donc particulièrement affectées par l’absence d’une politique familiale reconnue au sein des institutions scolaires.
Pour aller à l’école, on ne peut pas garder nos enfants!
L’absence d’une stratégie structurelle laisse donc place au bon vouloir des enseignant.es et de l’université pour accommoder ces étudiant.es. Ainsi, au Comité de soutien aux parents étudiants de l’UQAM, on rencontre des pères et des mères engagé.es dans leurs études faisant face à plusieurs défis de taille: absence de conciliation lorsqu’un parent doit s’absenter pour s’occuper de son enfant malade ou autre imprévu ; rigidité dans les dates limites pour la remise des travaux; manque d’aide pour s’occuper des enfants durant la préparation aux examens; absence de service de garderie durant toutes les heures d’école (soirées et fins de semaine); accès limité aux bourses, etc.6
En plus de représenter des obstacles additionnels à la conciliation des études et de la vie familiale, l’absence de prise en charge collective de la parentalité — notamment à travers des moyens concrets de soutien aux parents étudiants — contribue donc à replier la parentalité à une question de choix personnel et individualise la recherche de solutions. Ainsi, il n’est pas surprenant de constater que les responsabilités parentales influencent certains choix comme celui d’étudier à temps partiel plutôt qu’à temps plein ou de s’inscrire dans un programme court. Reconnaître une responsabilité collective dans la prise en charge des enfants contribuerait au contraire à stimuler l’égalité entre les sexes à l’école, comme à la maison, et à amoindrir les obstacles associés à l’accessibilité aux études et aggravés par d’autres situations « cumulatives », comme la maladie, la monoparentalité et l’immigration.
En effet, au-delà de cette barrière à la formation, il faut aussi considérer l’addition de plusieurs facteurs qui discriminent toujours certains groupes sociaux davantage. Par exemple, surreprésentées parmi les chef.fes de familles monoparentales, les femmes continuent toujours d’obtenir des emplois moins bien rémunérés, même lorsqu’elles ont une formation équivalente à leurs homologues masculins. On peut aussi penser aux parents immigrants pour qui le retour à l’école résulte de la non-reconnaissance de leur formation acquise dans leur pays d’origine ou de la discrimination à l’embauche dans des emplois de qualité.
Ainsi, cette non-reconnaissance du statut de parent étudiant relève d’une discrimination structurelle qui perpétue l’exploitation sexiste et la discrimination raciale liée à la vie familiale et sociale. En reconnaissant la parentalité comme un acte social important, et surtout collectif, les féministes l’identifient donc comme un travail. Et comme tout travail, il mérite rétribution.
Geneviève Vaillancourt et Annabelle Berthiaume
- Tous les extraits de cet article sont tirés de la pièce « Môman travaille pas, a trop d’ouvrage! » du Théâtre des cuisines (1975).
- Bonin, Sylvie (2007). « Le projet ICOPE: prise de vue récente sur la conciliation études-travail-famille », document du CAPRES, En ligne.
- Delphy, Christine (2007). « Le mythe de l’égalité-déjà-là: un poison! », En ligne.
- Statistique Canada. «Les femmes et l’éducation », En ligne.
- Bonin, Sylvie (2007). id.
- Pour aller plus loin, voir le document préparé par le Comité de soutien aux parents étudiants de l’UQÀM (CSPE-UQÀM) et l’Association de Parents Étudiant ou Travaillant à l’Université Laval (APETUL) dans le cadre de la Rencontre préparatoire au sommet sur l’éducation supérieure (2012). En ligne.
Cet article a été publié dans le numéro de l’hiver 2017 du CUTE Magazine.
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