L’attentat du 29 janvier, où 6 personnes ont été assassinées par un étudiant ultranationaliste à la Grande mosquée de Québec, a été suivi d’un certain nombre d’initiatives ici et ailleurs en solidarité avec la population musulmane. Mais une fois la poussière retombée demeure les violences du quotidien, et un nombre alarmant de gens se sont réjouis du geste sordide d’Alexandre Bissonnette, à en voir les réseaux sociaux. Le 29 janvier ne représente qu’un sommet dans le délire identitaire qui non seulement perdure au Québec depuis le référendum de 1995 – prétendument perdu par les nationalistes québécois-es par la faute des “votes ethniques” – mais a considérablement augmenté depuis l’épisode de la Charte des valeurs péquiste à l’automne 2013. La mémoire des victimes du 29 janvier justifie amplement d’entamer une nouvelle étape dans notre lutte contre la xénophobie, y compris au sein du mouvement étudiant.

Nous avons la chance de ne pas avoir à faire face aujourd’hui à des mobilisations à grande échelle pour mousser la nation québécoise sur nos campus, contrairement au milieu des années 1990 où les fédérations péquistes (FECQ et FEUQ) ont ouvertement fait campagne pour le Oui. Cependant, nous avons observé depuis la grève de 2012 que même la gauche étudiante admet des expressions de nationalisme dans son discours et ses actions, peut-être par calcul stratégique (populisme!) ou par conviction sincère. Nous pouvons signaler des progrès réels dans la réflexion et l’action antiracistes de certain-es militant-es étudiant-es, mais nous continuerons à frapper un mur sur cette question tant que les racines locales de la haine – le colonialisme et son avatar culturel, l’identité nationale – demeureront taboues.

Une polémique en cours à l’UQAM nous a encouragé dans notre volonté à affronter le problème à sa source. Un peu de contexte: en novembre dernier, l’assemblée générale de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’UQAM (l’AFESH) a voté en faveur d’une proposition dénonçant “l’instrumentalisation de la «liberté académique» et de la «liberté d’expression» lorsqu’elles servent à justifier le droit de prononcer des discours ou d’exercer des actions haineuses ou dégradantes particulièrement lorsque celles-ci sont racistes, colonialistes, xénophobes, transphobes, homophobes, sexistes, misogynes, antiféministes, classistes ou capacitistes” et soutenant “toute action servant à les dénoncer ou à en empêcher la tenue, lorsque jugé pertinent.” Quelques jours après l’assassinat du 29 janvier, l’équipe de l’AFESH a mis de l’avant ce mandat après avoir été informé d’affichage “nationalis[t]e identitaire raciste” à l’université, en précisant avec raison que de telles affiches et les activités qu’elles annoncent n’allaient plus être tolérées. Suite à un backlash intense des nationalistes vis-à-vis de cette publication, l’AFESH a diffusé samedi dernier un argumentaire anti-nationaliste concis et très intéressant que nous vous invitons à lire. Il explique très bien pourquoi nous pensons que les nationalismes québécois et canadiens sont des idéologies haineuses et rétrogrades.

Après avoir discuté de façon informelle de cette situation, nous sommes quelques camarades qui avons jugé opportun de réfléchir à d’autres moyens de lutter concrètement contre ces nationalistes et d’être ainsi solidaires avec leurs victimes dans le milieu étudiant. Voici quelques idées qui pourraient être appliquées à court terme.

  • Mettre fin à la reconnaissance et au financement des comités étudiants dont la mission centrale ou l’une des missions principales est de promouvoir tout nationalisme colonialiste, en particulier notamment ceux du Québec et du Canada. Plusieurs groupes de ce genre existent dans nos cégeps et universités; certains n’existent qu’en vertu de la régie interne des associations étudiantes et peuvent être éliminés facilement, tandis que d’autres sont des groupes étudiants reconnus et soutenus par l’établissement scolaire lui-même, rendant leur disparition souvent plus difficile. Dans les deux cas, en tant que promoteurs actifs et permanents du colonialisme, ces groupes n’ont pas leur place dans les écoles anti-oppressives pour lesquelles nous militons.
  • Reconnaître systématiquement l’usurpation des terres autochtones lors de chacune de nos activités publiques. L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université a récemment publié un guide pratique à ce sujet. Cette organisation souligne à juste titre que “la reconnaissance du territoire est en elle-même une marque d’hommage et de respect envers les peuples autochtones. Elle atteste de leur présence tant historique qu’actuelle.” Cette mesure est déjà en place à certains endroits, mais gagnerait à être implantée plus largement.
  • Ne plus tolérer les drapeaux québécois ou canadiens lors des manifestations et autres activités étudiantes. Il semblerait qu’au début des années 2000, ces drapeaux étaient beaucoup plus rares, sinon inexistants, dans les manifs par rapport à aujourd’hui. En tant que porte-étendards de la violence raciste, on pourrait donc à nouveau se passer d’eux sans problème, rendant ainsi nos rassemblements et nos communautés plus inclusifs pour les personnes racisées.
  • Exiger que toutes les mesures touchant à l’éducation issues du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada soient mises en oeuvre dès que possible. Il serait particulièrement pertinent de créer des cours et programmes en langues et cultures autochtones dans toutes les régions du Québec et de tenir compte des spécificités locales en le faisant (ex. Atikamekw en Mauricie, Innus en Côte-Nord).
  • Revendiquer une réforme de la reconnaissance des acquis, permettant une intégration complète et rapide des immigrant-es, réfugié-es et sans-statut au marché du travail. Le régime actuel, qui confine d’innombrables immigrant-es avec une scolarité significative à des emplois de subalternes pour des motifs corporatistes, est fondamentalement raciste et reproduit les mythes de notre supériorité culturelle nationale et de l’insignifiance de l’éducation dans les pays à forte émigration.
  • Développer une plateforme de revendications pour régionaliser autant que possible la gouvernance de l’éducation et du mouvement étudiant. Le colonialisme, qui est à la base du nationalisme, ne s’exerce pas seulement contre les personnes racisées mais aussi par la domination économique et socioculturelle des centres urbains sur les autres régions, aussi bien du côté de l’État comme dans les mouvements sociaux. Une régionalisation aurait le double avantage de nous rapprocher du pouvoir et de briser progressivement les référents nationalistes et les problèmes qu’ils exacerbent. (Bien sûr, nous ne parlons pas ici des régions administratives, mais des territoires qui font sens pour les communautés de personnes ayant des liens tangibles entre elles.)
  • Créer des comités antiracistes/anticolonialistes au sein de chaque association étudiante et soutenir leurs activités. Toute action antiraciste ou anticolonialiste sérieuse doit conduire à une certaine forme d’organisation pour passer l’épreuve du temps. À son crédit, l’ASSÉ a d’ailleurs adopté une proposition en ce sens lors de son Congrès d’orientation en décembre dernier.

Les militant-es identitaires (ça sonne mieux que “xénophobes”, n’est-ce pas?) trouveront sans doute ironique que des gauchistes comme nous ne montrent pas d’ouverture et de tolérance envers eux et elles et qu’au contraire, nous cherchions en quelque sorte à les bannir de notre milieu. Ces gens continuent de se fier à la civilité libérale pour ne pas qu’on leur rende les coups qu’eux et elles et leurs ancêtres ont infligés aux opprimé-es (et pas que racisé-es) depuis des années, des décennies, des siècles! Comme collectivité, nous avons hésité assez longtemps pour que les Martineau de ce monde lessivent le cerveau d’une véritable armée de déclassé-es de la mondialisation néolibérale au point où l’un d’eux soit passé de la parole aux actes en flinguant six hommes il y a à peine quelques jours. Pendant ce temps, d’autres adoptent ouvertement les méthodes d’agitation national-socialistes dans nos rues. Malheureusement, il est déjà trop tard pour ces victimes comme pour les xénophobes militant-es. Plus de temps à perdre avant de nous attaquer by any means necessary à la racine nationaliste de ce mal; nous pourrons peut-être éviter ainsi de futures hécatombes.