Suite à la publication du Manifeste pour une plate-forme médiatique étudiante en 2016, dans lequel était mise de l’avant l’idée de créer un nouvel espace de délibération pour le mouvement étudiant, un texte de réflexion intitulé Un Ultimatum toujours d’actualité a été écrit par un membre du comité journal de l’ASSÉ (qui a depuis démissionné pour un poste rémunéré) afin de répondre aux critiques formulées dans le manifeste à l’encontre de l’Ultimatum. Nous proposons donc à notre tour de répondre aux arguments avancés dans ce texte de réflexion, dans le but de clarifier, d’une part, ce que nous reprochons à l’Ultimatum et à la conception de la politique qu’il présuppose dans sa forme actuelle, et d’autre part, de préciser en quoi la plate-forme médiatique dont nous proposons la création nous semble nécessaire pour réaliser une autre conception — plus juste à nos yeux — de la politique.
L’auteur commence son texte de réflexion en citant des extraits des débats à l’origine de la création de l’Ultimatum. Il rappelle que l’idée initiale était de créer un journal qui présenterait « l’ASSÉ et les sujets discutés en Congrès et son analyse ». Il cite ensuite un extrait d’une édition de l’Ultimatum parue en 2003 et énonçant ce qu’il considère comme la principale raison d’être du journal : « L’information est à la base d’un réel pouvoir. Par la production d’un journal dont le contenu est déterminé par et pour les étudiantes et étudiants (par la pratique de la démocratie directe en Assemblée Générale), l’ASSÉ se dote d’un outil essentiel à la construction d’un rapport de force! » De ces principes de base à l’origine de la création de l’Ultimatum, l’auteur conclut : « Ainsi, il y avait une volonté claire de la part de l’ASSÉ de donner une voix aux revendications, principes et luttes des associations étudiantes telles que manifestées en Congrès, et qui sert à la promotion de ceux-ci à travers le Québec. L’instrument de diffusion de ces positions est donc l’Ultimatum.»
Nous pensons que ces citations proposées par l’auteur en introduction de son texte et sur lesquelles il fonde ensuite sa démonstration demandent une interprétation qui ne se contente pas d’en effleurer la surface. À moins de vouloir en faire des slogans vides et sans histoire, ces citations ayant servi à enregistrer et à conserver la trace de débats marquants au sein de l’ASSÉ doivent être ouvertes aux interprétations conflictuelles que fait surgir tout débat sérieux. Dans chaque procès-verbal écrit afin de conserver des traces de nos délibérations passées se trouve autant la possibilité de faire surgir le conflit à nouveau que celle de le faire disparaître sous la façade d’une unité trompeuse.
Par exemple, s’il est vrai que l’idée initiale derrière la création du journal l’Ultimatum était de présenter « l’ASSÉ et les sujets discutés en Congrès et son analyse », encore faut-il se demander si les sujets discutés en congrès y sont présentés de manière à ce qu’on puisse les replacer à l’intérieur des débats qui leur ont donné vie, ou bien s’ils sont présentés dans l’abstraction d’un message unitaire conçu pour être facilement communicable au plus grand nombre d’étudiants et d’étudiantes possible. Poser la question en ces termes permet d’identifier le lieu précis où se sépare la conception de la politique que nous attribuons à la défense de l’Ultimatum proposée par l’auteur de la conception que nous mettons de l’avant avec la plate-forme médiatique. En effet, l’auteur lui-même, dans son texte de réflexion, offre une réponse très claire à cette question :
En tant que médium qui offre un contre-discours et qui se veut un outil de mobilisation de masse, il s’en suit logiquement que l’Ultimatum s’adresse à la population étudiante au sens large. On pourrait faire l’argument qu’il ne vise pas en premier lieu les personnes les plus mobilisées et/ou les plus radicales au sein d’une association étudiante. Et c’est là l’une de ses grandes forces! L’Ultimatum n’est pas un lieu de débat entre socialistes et anarchistes, ou entre les gens pro-structures et les gens préférant les groupes affinitaires. Comme j’ai dit, l’Ultimatum vise la mobilisation de masse, et s’il était une plateforme de débat entre différentes facettes de l’extrême gauche étudiante (débat qui, entendons-nous, n’intéresse qu’une infime minorité des 80 000 membres de l’ASSÉ), le rôle de mobilisation qui lui a été attribué à sa fondation serait caduc. Un espace de discussion quant aux problématiques existant au sein de la gauche et de l’extrême gauche étudiante pourrait très bien s’implanter, le milieu militant n’étant pas saturé. Cependant, un espace de discussion ne devra jamais remplacer un outil de mobilisation de masse. Ce sont deux raisons d’être différentes.
La fonction de l’Ultimatum, selon l’auteur, n’est donc pas de présenter les sujets discutés en congrès, mais plutôt de sélectionner, parmi ces sujets, les quelques éléments assez consensuels pour qu’on puisse les résumer sans être obligé d’aborder des débats ne concernant selon lui « qu’une infime minorité des 80 000 membres de l’ASSÉ ». En plus d’utiliser la fort malheureuse image de la majorité silencieuse pour minimiser l’importance de débats que lui-seul, si ça se trouve, considère ennuyeux, l’auteur laisse ici transparaître une conception de la vie politique que le Manifeste pour une plate-forme médiatique visait précisément à critiquer. L’idée selon laquelle la raison d’être des médias étudiants est de produire un message unitaire et facilement consommable par des masses de la part desquelles aucune réponse n’est attendue sinon un vote du bon côté en AG, voilà ce dont nous aimerions débarrasser le mouvement étudiant. Nous pensons que la dichotomie établie par l‘auteur entre « outil de mobilisation » et « espace de discussion » trahit une logique hégémonique que l’on peut résumer ainsi : la Vérité parle à travers l’Ultimatum, mais rien ne vous empêche de jaser ailleurs si ça vous chante. Enfin, si la séparation qui existe effectivement entre « les personnes les plus mobilisées au sein d’une association étudiante » et les autres ne peut pas être ignorée, nous croyons que la dernière chose à faire est de l’institutionnaliser sur la base d’une dichotomie entre le débat de fond et la mobilisation de masse. La création d’une plate-forme médiatique où seraient rendus disponibles et susceptibles d’être investis par le plus grand nombre les débats les plus déchirants du mouvement étudiant représente selon nous le meilleur moyen d’en finir avec une telle séparation.
Nous sommes tout à fait d’accord pour dire, avec l’auteur, que « l’information est à la base d’un réel pouvoir ». Mais ici à nouveau, il faudrait dépasser la façade de l’énoncé et préciser la manière par laquelle pouvoir et information s’enchevêtrent au sein de la pratique concrète de la politique. Pour notre part, nous considérons que le fait de centraliser l’information ainsi que les décisions relatives à sa diffusion dans le but de la rendre fonctionnelle au sein d’une logique de communication de masse est indissociable d’une centralisation du pouvoir politique en tant que tel, et donc incompatible avec une logique de démocratie directe. Si l’auteur considère qu’une démocratie directe forte dépend d’un journal martelant un message unitaire et facilement consommable par les masses, nous affirmons au contraire que c’est seulement lorsque les débats qui déchirent le mouvement étudiant et en font un potentiel espace de délibération politique seront menés publiquement et rendus accessible au plus grand nombre que nous pourrons parler sans fausse conscience de démocratie directe. De même, si l’auteur est préoccupé par la préservation d’un « rapport humain » entre les masses et les militants et militantes qui leur fournissent l’information, rapport qui serait selon lui mis en péril par le passage d’un bon vieux journal papier à une plate-forme virtuelle, nous nous préoccupons pour notre part de faire advenir des relations politiques égalitaires entre les militants et les militantes qui s’impliquent dans le mouvement étudiant. C’est-à-dire des relations au sein desquelles la séparation entre les personnes qui produisent l’information et celles qui la reçoivent serait rendue caduque par la démocratisation maximale de la possibilité de prendre publiquement position sur les questions les plus litigieuses de la politique étudiante. En l’absence d’une telle égalité politique, les lamentations sur la perte des rapports humains ne sont rien d’autre que du bavardage tout prêt à se renverser précisément en ce qu’il dénonce.
De plus en plus, l’Ultimatum est considéré désuet par les assemblées générales elles-mêmes. À Saint-Laurent, on s’oppose à sa livraison ; à Marie-Victorin, on souligne son impression abusive ; à Maisonneuve, plus de 70 % de l’AG s’abstient sur le simple rappel de «la pertinence de l’Ultimatum comme outil de mobilisation et d’information essentiel aux luttes étudiantes et populaire.» Il serait temps d’en tenir compte plutôt que d’inciter bêtement à en distribuer toujours plus, comme si de rien n’était. Si la majorité silencieuse à laquelle se réfère l’auteur pour marginaliser les débats de fond qui divisent la gauche étudiante mériterait qu’on la consulte avant de parler en son nom, la parole des assemblées générales, elle, est éloquente et ne doit plus être ignorée.