Le début de la session d’hiver 2017 au cégep de Sherbrooke n’a pas été de tout repos pour la poignée de militant.e.s que nous sommes. En quelques semaines, nous avons créé un Comité Unitaire sur le Travail Étudiant et réussi la mobilisation pour que l’AÉCS (Association étudiante du cégep de Sherbrooke) soit en grève le 16 février dernier, dans le cadre de la manifestation en faveur de la rémunération des stages et la reconnaissance du travail étudiant.

Une collaboration bidon

Un bilan sérieux de la journée du 16 février à peine esquissé, on nous annonce qu’une manifestation nationale de l’ASSÉ est prévue à Sherbrooke le 6 avril prochain. Évidemment, on demande à notre CUTE de collaborer à cette manifestation. Sans surprise, la collaboration en est une fausse: la manifestation étant déjà annoncée et le discours déjà construit (“Précaires et en colère!”), on nous somme de fournir un trajet et bien entendu, d’assurer à nous seul.e.s la mobilisation régionale. En se limitant à assigner aux militant.e.s sur le terrain le réel travail que comprend l’organisation d’une manifestation (la mobilisation, le trajet, le matériel, les contacts avec les médias, etc.) tout en contrôlant le message, l’ASSÉ trahit son mandat anti-montréalocentriste. L’implication active des associations de régions ne passe pas par la délégation de la «job de bras» à celles-ci. Nous ne sommes pas des sous-traitant.e.s!

Pour cette raison,  les membres du CUTE-Sherbrooke, réuni.e.s le 9 mars dernier, ont décidé de boycotter cette manifestation contre la précarité étudiante au nom des principes de décentralisation et d’autogestion.

L’ASSÉ déplore la non rémunération des stages obligatoires; on peut donc bien se demander pourquoi l’ASSÉ, qui se veut solidaire, n’appuie pas de façon active et massive des initiatives comme celles des CUTE qui visent, au fond, à améliorer la condition générale des étudiant.e.s. En effet, la seule association étudiante (le Syndicat étudiant du cégep de Marie-Victorin) à avoir amené un mandat au congrès afin de mettre la revendication de la rémunération de tous les stages de l’avant s’est fait suspendre et a ensuite créé le premier CUTE il y a bientôt un an.

Un appui très symbolique et tardif peut bien sûr se lire en ces mots sur la page de l’événement de la manifestation du 6 avril : «Nous sommes tannéEs d’être exploité-e-s comme de la main d’œuvre à bon marché, notamment via le travail gratuit que nous effectuons dans le cadre de nos stages non-rémunérés.» Cet appui ne signifie cependant rien d’autre qu’une tentative de calmer le jeu et de nous englober sous un slogan ridicule. C’est trop peu, trop tard!

Une lutte renouvelée

Déjà, plusieurs militant.e.s de différents cégeps et universités de différentes régions ont décidé de se joindre à la campagne des CUTE: en plus de Marie-Victorin et Sherbrooke, des comités semblables ont été créés à l’Université de Montréal, à l’UQAM et à l’UQO, et d’autres sont en cours de formation. D’ailleurs, il faut savoir que la lutte mise de l’avant par les CUTE ne s’arrête pas à la rémunération de tous les stages et s’inscrit dans un combat pour la reconnaissance totale du travail étudiant. On entend ici l’obtention d’un salaire, de conditions d’études convenables, ainsi que la fin du rapport hiérarchique maître-élève. Une telle lutte s’insère dans un féminisme revendiquant la reconnaissance du travail reproductif associé traditionnellement aux femmes. En reconnaissant le travail étudiant comme un travail reproductif effectué gratuitement par l’étudiant.e, l’analyse des CUTE se distingue de l’analyse traditionnelle de l’ASSÉ qui réduit l’éducation à un vulgaire service. Étudier, c’est travailler!

Nous cherchons donc à être plus que des client.es et voulons aller plus loin en questionnant ce qui devrait être «gratuit, public, accessible, laïc et de qualité». Pour se renouveler, le mouvement étudiant doit rompre avec une revendication stricte de la gratuité scolaire qui réduit sa vision de l’éducation à un service, en tenant en compte la question de ce qui est produit lors de cette activité et qui mérite pleine reconnaissance à travers un salaire et de nouveaux droits. Sans pour autant revendiquer l’encadrement et les pièges de l’encadrement du travail conventionné, la reconnaissance du statut de travailleuse.eur étudiant.e et de son aliénation dans le système d’éducation contribuerait fortement à une véritable lutte pour l’émancipation, se manifestant notamment par une volonté de prise de contrôle sur son milieu de travail en tant que personnes égales à leurs collègues du personnel enseignant et du personnel de soutien, une prise de contrôle préfigurant celle qu’il ou elle devrait aussi rechercher dans le cadre de ses futurs emplois et qui elle, à grande échelle, pourrait représenter un danger réel pour la classe dirigeante.

Une organisation essoufflée

L’ASSÉ n’a pas le monopole de la gauche étudiante. Une chance, puisqu’elle suscite peu d’intérêt de la part de ses associations membres et des militant.es de gauche depuis un certain temps déjà¹. Les désaffiliations récentes du SECMV et de l’AECSL, faisant suite à leur suspension par l’ASSÉ, et le fait que d’autres associations membres collégiales et universitaires sont en processus de questionnement quant à leur appartenance à l’ASSÉ montrent bien le mouvement de démobilisation qui a cours à l’ASSÉ. Cet hiver, le référendum avorté sur une affiliation à l’ASSÉ d’un ancien bastion de la FECQ, au cégep Édouard-Montpetit, laisse présager peu de renouvellement de ce côté. Plus récemment, le Comité femmes de l’ASSÉ a publicisé sa proposition de suspendre 12 associations membres (soit 30%) considérant leurs absences répétées aux congrès. Nous croyons que c’est une fausse solution! Le problème de participation aux instances de l’ASSÉ ne vient pas seulement de ses associations membres, mais à la fois de la composition et de la structure nationale de l’ASSÉ elle-même.

Le CUTE-Sherbrooke ne souhaite pas non plus s’associer à une institution qui manque de transparence. De fait, les procès-verbaux des conseils exécutifs, congrès et conseils centraux des derniers mois et, bien entendu, les états financiers complets de l’ASSÉ sont encore et toujours invisibles pour les associations membres comme l’AÉCS. Comment les associations membres peuvent alors proposer des budgets alternatifs si les originaux ne sont pas révélés ?

Une alternative viable

Évidemment, le combat contre la précarité étudiante va bien au-delà des divergences de points de vue quant à la façon d’organiser ledit combat. Cependant, si l’ASSÉ veut favoriser l’unité autour d’une cause, elle doit au moins lutter pour cette cause². Or, force est de constater que l’ASSÉ n’a pas lutté contre la précarité étudiante cette année. Sa campagne annuelle brille par son manque de contenu, de matériel et d’enthousiasme. On s’étonnera ensuite des manques de quorum et des suspensions de paiements de cotisations…

En somme, un tas de raisons nous poussent à ne pas collaborer avec l’ASSÉ pour la manifestation nationale du 6 avril à Sherbrooke et à continuer de combattre la précarité étudiante hors de cette association nationale. Nous croyons qu’une alternative à l’ASSÉ doit se bâtir de façon autonome et autogérée par les groupes, comités et associations étudiantes qui sont en mouvement présentement. S’unir à une structure en ruine ne peut que nuire à un mouvement politique naissant et dynamique.

Pour repartir un mouvement, il faut recommencer à la base. Nous considérons que s’organiser de façon autonome à partir de la base militante sur les campus collégiaux et universitaires est souhaitable, possible et même nécessaire. Les militant.es étudiant.es doivent agiter leur campus, forger des alliances et former des instances qui leur ressemblent. Pour cette raison, comme d’autres militant.es qui travaillent sur leur campus et comme nous avons répondu à l’appel de formation des comités CUTE, nous travaillons à mettre sur pied des coalitions régionales regroupant les associations étudiant.es et groupes politiques désirant lutter pour la rémunération des stages à tous les niveaux d’enseignement. Au mépris du narratif selon lequel «le mouvement étudiant est au point mort», qui rend volontairement invisible le travail des CUTE y compris les 25 000 grévistes du 16 février, la meilleure réponse pratique est de poursuivre notre mobilisation et notre travail d’organisation. Des étudiant.es des quatre coins du Québec n’en sont plus à tergiverser sur la prochaine campagne étudiante: elles et ils ont compris qu’une campagne rassembleuse existe déjà et s’y rallient de plus en plus. Les militant.es des associations membres de l’ASSÉ (et d’ailleurs!) y sont toujours plus que bienvenu.es!

Pour plus de détails sur les revendications des Comité unitaires sur le travail étudiant, visitez le travailetudiant.org

Comité unitaire sur le travail étudiant de Sherbrooke


  1. Sans oublier le repli stratégique proposé par l’exécutif national durant le tristement célèbre Printemps 2015. En effet, l’ASSÉ a tenté de saboter un mouvement oeuvrant hors de ses enceintes qui, pourtant, combattait les mêmes choses que ses mandats en luttant, entre autres, contre l’austérité budgétaire en solidarité avec les travailleurs et travailleuses du domaine public. La solidarité de l’ASSÉ s’arrête à la façade que leurs chef.fes et expert.e.s marketing veulent bien lui donner.
  2. S’ajoute à cela la relative victoire des doctorant.e.s en psychologie qui ont obtenu des bourses pour leur internat et les 80 millions de dollars investis en éducation. L’ASSÉ a été invisible sur le terrain, mais n’a pas hésité pas à crier «Victoire!» lorsqu’un gain, aussi mitigé soit-il, a été obtenu.