Lors de la semaine de grève en novembre dernier, plus d’une dizaine de militant·e·s, en grande majorité des femmes, ont pris la parole dans les médias pour présenter la campagne pour la rémunération des stages ainsi que ses revendications. En effet, ni les Coalitions régionales pour la rémunération des stages, ni les Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) ont formellement nommé de porte-parole, privilégiant plutôt d’envoyer des personnes différentes pour répondre aux nombreuses demandes. Cela vise à témoigner d’une volonté que cette lutte ne soit pas associée, pour le meilleur comme pour le pire, à quelques vedettes, comme les porte-paroles et dirigeant·e·s des associations et fédérations nationales en 2012; il s’agit d’une lutte par et pour les stagiaires et les étudiant·e·s qui l’organisent sur leurs campus à travers le Québec depuis maintenant plus de deux ans.

Soyons clair·e·s : la lutte appartient aux militant·e·s et aux grévistes, aux stagiaires, aux femmes, aux personnes non binaires et aux autres personnes minorisées et affectées de façon disproportionnée par la précarité aux études et le travail gratuit. Sa présence massive dans les médias, la réponse immédiate du ministre de l’Éducation qu’elle a provoquée, les nombreux appuis à la campagne qui se sont ajoutés tout au long de la semaine et par la suite, tout cela leur appartient. C’est dans cette optique qu’il importe de rappeler que la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), sortie à plusieurs reprises dans les médias depuis le 19 novembre au sujet de la rémunération des stages, ne représente aucunement les étudiant·e·s et les stagiaires dans cette lutte. Aucune des associations étudiantes de la Fédération n’a été en grève, et son implication dans la lutte s’est limitée à un exercice tardif de lobbying conjoint avec sa grande soeur, l’Union étudiante du Québec (UEQ). D’où la FECQ tire-t-elle sa légitimité en tant que représentante du mouvement? Nous pouvons nous appuyer sur plusieurs éléments lorsque nous l’accusons de ne faire rien de moins que de la récupération politique.

Sur la récupération politique

Que les fédérations donnent quelques entrevues lors d’une semaine de grève qui n’a rien à voir avec elles n’a rien de particulièrement choquant, c’est même la norme de leur part, mais il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg. C’est également au tout début de cette même semaine que la FECQ a choisi de publier une recherche sur les stages, la deuxième d’une série commandée auprès de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), qui contient un lot de recommandations foncièrement déconnectées des revendications qui animent les grévistes. Difficile d’y voir autre chose qu’une tentative ouverte de profiter de la couverture médiatique entourant la grève pour se positionner auprès du nouveau gouvernement caquiste comme interlocutrice raisonnable du mouvement étudiant, prête à entamer des négociations au nom de tous·tes.

Qui plus est, le contenu de ces deux recherches vise clairement à dévaloriser le travail de longue haleine accompli par les Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE), le Comité pour la rémunération des internats et des stages de l’Université du Québec en Outaouais (CRIS-UQO) et les Coalitions régionales depuis 2016. Ainsi, dans l’introduction de la deuxième recherche de l'IREC, il est mentionné que c’est la CRAIES qui a « obtenu gain de cause » en mars 2018 lorsque le gouvernement libéral s’est engagé à compenser le stage final en enseignement. Le texte se poursuit en affirmant que cette campagne « fut suivie » par celle des CUTE, dont la plus récente journée de grève mentionnée dans le rapport fut celle du… 8 mars 2018, soit quelques journées avant l’annonce de la compensation du quatrième stage en enseignement (Duhaime, 2018 : 1). Si cela peut sembler d’emblée comme une simple erreur dans la formulation, une tournure de phrase imparfaite, la première recherche publiée par la FECQ au sujet de la rémunération des stages, parue en mars 2018, ne comporte aucune mention des CUTE, du CRIS-UQO ou des Coalitions régionales parmi les « groupes fortement engagés dans ce combat politique » (Gobeil et Tremblay, 2018 : 1).

Ce genre de propos vise à créer l’illusion que les gains du mouvement étudiant sont obtenus grâce au lobbying corporatiste des fédérations et non par les grèves. En 2016, la rémunération de l’internat en psychologie a été obtenue suite à quatre mois de grève. En 2018, soit deux ans après le début d’une campagne intensive pour la rémunération des stages dans tous les programmes qui a mis en grève des dizaines de milliers d’étudiant·e·s à de nombreuses reprises, le gouvernement a finalement mis en place une mesure de compensation pour le stage final en enseignement. Cela faisait pourtant quatre ans que des associations étudiantes en enseignement avaient lancé la Campagne de revendications et d’actions interuniversitaires des étudiant·e·s en stage (CRAIES) pour porter cette seule et unique revendication, soit six ans après les premières démarches au sein de la défunte Fédération étudiante universitaire du Québec. Cela faisait aussi déjà deux ans que l’UEQ avait absorbé la CRAIES pour en faire un de ses comités de travail. Pourtant, l’IREC tente ici de nous faire croire que c’est grâce au « combat politique » que l’UEQ aurait mené avec Force Jeunesse et la FECQ que le Parti libéral a finalement cédé. La bonne blague!

Voilà donc le contexte discursif dans lequel la récente recherche de l’IREC, « Enjeux et perspectives entourant le statut des stagiaires au niveau collégial », a été publiée par la FECQ. Au-delà de la récupération politique, il importe de dénoncer les recommandations découlant de cette recherche, dont l’impact final sur la rémunération et les protections sociales des stagiaires serait de compenser uniquement les « stages de travail » et de créer une assurance intercollégiale qui serait gouvernée par... la FECQ. Pour ce faire, nous devons tout d’abord rappeler le contexte historique et économique dans lequel ont évolué les stages.

La multiplication des stages, un déplacement du fardeau de la formation au profit des employeurs

Le constat est partagé par l’ensemble des recherchistes ayant traité de la question : les données sur les stages sont rares ou incomplètes, conséquence d’une réglementation laxiste et confuse à leur sujet. Cela est particulièrement vrai pour le Québec, mais on peut tout de même identifier des tendances applicables à notre situation : alors que l’Organisation internationale du travail parle d’une « explosion » des stages réalisés dans le monde depuis les années 1990 (Stewart et al. 2018 : 1, cité·e·s dans Carrier-Plante et Retg, 2018 : 12), des enquêtes menées aux États-Unis et en Europe révèlent une forte croissance dans leur nombre sur la même période, depuis lors accélérée suite à la récession de 2008 (Carrier-Plante et Retg, 2018 : 12).

Sans doute, cette tendance est liée à la montée du néolibéralisme et à l’austérité qu’il apporte, une réalité à laquelle nous n’avons certainement pas échappé ici : afin de soutenir la croissance économique, on s’approprie ainsi une quantité grandissante de travail gratuit de la part des étudiant·e·s, et ce, en s’appuyant principalement sur la division genrée du travail ainsi que la précarité des personnes immigrantes, ces dernières se trouvant souvent déqualifiées puisqu’on ne reconnaît ni leur diplôme ni leur expérience acquise à l’étranger. Cela est particulièrement évident dans le cas de ce que la FECQ nomme les « stages de prise en charge »[1], où les stagiaires doivent « produire ou distribuer un bien ou rendre un service (...) dans un véritable contexte de travail »[2]. Ici, les stagiaires génèrent de la valeur pour l’entreprise de manière patente, et mériteraient donc d’être protégé·e·s par la Loi sur les normes du travail (LNT) selon la FECQ.

Outre les stages de travail, l’IREC identifie deux autres types de stages dans sa proposition de typologie : les stages d’observation et les stages de formation (Duhaime, 2018 : 45). Dans le premier cas, le stage se limiterait à des « apprentissages de nature théorique, des exercices de réflexion ou encore l’exploration d’un milieu donné » : selon une étude du Regroupement québécois des organismes pour le développement de l’employabilité (RQuODE), cela représenterait quelque chose comme 9% des stages (St-Cyr, 2016 : 8). Pour ce qui est des stages de formation, il s’agirait d’activités d’apprentissage réalisées dans le cadre d’un milieu pratique, ce qui peut inclure les actes cliniques réalisés dans le secteur de la santé et des services sociaux (sauf lorsqu’il y a intervention auprès des clientèles données). Implicitement, tout cela revient à dire que les stages devraient seulement être rémunérés s’ils génèrent de la valeur marchande pour l’établissement dans lequel il a lieu; lorsqu’il s’agit principalement d’activités d’apprentissage, ce serait aux stagiaires d’assumer le fardeau de leur formation en l’accomplissant sans rémunération.

Il va sans dire que les nombreuses coupures dans les secteurs de la santé et de l’éducation effectuées par l’État québécois dans les dernières années ont largement contribué à ce déplacement du fardeau de la formation : avec moins de ressources à leur disposition, ces établissements publics ont de plus en plus recours aux stagiaires, non seulement pour effectuer le même travail que les employé·e·s salarié·e·s dans plusieurs cas, mais aussi pour s’assurer que les salarié·e·s nouvellement embauché·e·s soient prêt·e·s à contribuer pleinement au bon fonctionnement des organisations dès leur première journée de travail.

Selon la Commission européenne, la prolifération récente des stages s’inscrit dans une volonté de créer des liens plus serrés entre le secteur éducatif et le marché de l’emploi, facilitant la transition entre les études postsecondaires et le travail salarié (Commission Européenne 2012 : 130-131, citée dans Carrier-Plante et Retg, 2018 : 12). Lorsque nous regardons la situation de plus près, nous arrivons à l’évidence que ce rapprochement vise plutôt à transférer la responsabilité et les dépenses liées à la formation des travailleur·euse·s du côté des entreprises vers celui des établissements scolaires et des étudiant·e·s. Alors que le mouvement pour la rémunération des stages cherche à renverser cette tendance et à faire reconnaître le travail de reproduction sociale que représente la formation, la FECQ choisit plutôt de renforcer les travers de l’État néolibéral.

« On a mis des stages au monde / Qu'on devrait peut-être rémunérer ». Entendu lors de la manifestation du 21 novembre 2018 à Montréal, sur un air d'Harmonium.

Le stage rend gratuit ce qui fut jusqu’alors rémunéré : une bonne affaire pour la FECQ

Rappelons-le : en l’absence d’un stage, une personne nouvellement embauchée doit apprendre à faire son travail avant de s’y mettre, ce qui inclut toujours des activités d’observation et de formation rémunérées. Avec chaque nouveau stage non rémunéré, une partie de ces activités est transformée en travail gratuit; avec chaque augmentation des heures de stage, plus de travail gratuit est exigé. Et lorsqu’on considère que les stages non rémunérés se retrouvent principalement dans les domaines traditionnellement féminins, notamment celui du care, ce fardeau est assumé de façon disproportionnée par les femmes et les personnes immigrantes, alors que les hommes ont beaucoup plus souvent la chance d’être rémunérés pour leurs activités d’apprentissage.

Les dernières décennies ont connu une multiplication des attaques contre les droits des travailleur·euse·s, prenant diverses formes telles que le sous-emploi, la précarité et la stagnation du pouvoir d’achat. Malgré la croissance des inégalités ainsi que la montée fulgurante des salaires des patrons et des profits du secteur financier, la classe politique rejette systématiquement le blâme et la responsabilité sur le dos des travailleur·euse·s lorsque nous revendiquons de meilleures conditions de travail. C’est ainsi que Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, a trouvé bon d’exhorter les jeunes sans-emploi à travailler gratuitement afin d’acquérir des expériences à mettre sur leur CV (CTV News, 2014, citée dans Carrier-Plante et Retg, 2018 : 13). Or, selon le rapport du RQuODE mentionné plus haut (St-Cyr, 2016 : 13), seulement un·e stagiaire sur cinq parmi les sondé·e·s avait reçu une offre d’emploi à la fin de son stage. Plutôt que d’y voir un bénéfice pour les stagiaires, nous devons reconnaître ce phénomène pour ce qu’il est réellement : une chance pour les employeurs d’évaluer des candidat·e·s pendant des semaines, voire des mois, en bénéficiant de leur travail sans avoir à les rémunérer pendant cette période de recrutement prolongée. Voilà le genre d’inversion de la réalité qu’amène l’idéologie de la classe dominante, et contre laquelle nous nous opposons en réclamant le statut de travailleur·euse pour les stagiaires.

Il convient de traiter d’un dernier point, soit les non-dits du rapport. Lorsque le rapport de l’IREC aborde la question des difficultés financières vécues par les stagiaires, il la dépeint comme une situation témoignée par « plusieurs » stagiaires insatisfaits (Duhaime, 2018 : 11) alors que le rapport du RQuODE parle d’une « grande majorité » (St-Cyr, 2016 : 10). Au-delà de cette curieuse façon de paraphraser le rapport, il y a le choix des statistiques citées sur les caractéristiques de la population étudiante collégiale. En effet, alors que l’IREC nous apprend que 42,5% des étudiant·e·s travaillent 15 heures et plus par semaine, il est plus intéressant de noter que, pour la population étudiante travaillant 20 heures et plus par semaine, le taux moyen de 16,9% est éclipsé par celui des étudiant·e·s issu·e·s de l’immigration, dont 24,6% se retrouvent dans cette situation (Fédération des cégeps, 2018 : 55). Que la non-rémunération des stages affecte les personnes immigrées de façon disproportionnée semble donc avoir échappé à l’analyse de l’IREC.

Enfin, le plus grand non-dit du rapport demeure celui de la santé mentale. Alors que la FECQ se propose magnanimement pour gérer une assurance intercollégiale afin de pallier à la non-protection des stagiaires, elle n’accorde vraisemblablement aucun intérêt à la source des problèmes de santé en question. Dans le rapport de l’IREC, le surmenage est lié à la précarité financière et à l’endettement, ce qui aurait comme effet de compromettre la réalisation des stages et des études en général (Duhaime, 2018 : 17), mais jamais il n’est question de la santé mentale des personnes concernées. Encore une fois, nous y voyons une analyse qui est résolument campée du côté du patronat et de l’État : la misère vécue par les travailleur·euse·s est invisible tant qu’elle ne se manifeste pas de façon économique.

C’est à la lumière de ces constats que nous pouvons questionner les vraies allégeances de la FECQ. Comment peut-elle se positionner comme une organisation qui « défend les intérêts, les droits et les conditions de vie de la population » étudiante alors qu’elle se range manifestement du côté des patrons et du gouvernement, émettant des recommandations qui s’opposent aux demandes d’un mouvement autonome en marche depuis des années à travers les cégeps et les universités du Québec? Comment ose-t-elle effacer les traces de cette lutte, s’approprier les espaces de discussion qui s’y sont créés et s’attribuer des victoires qui ne lui appartiennent pas, tout en profitant de cette opportunité pour proposer la création d’une assurance à son propre avantage? Comment arrive-t-elle à commander un rapport anhistorique qui fait abstraction des reculs essuyés par les travailleur·euse·s dans un contexte d’austérité, pour ensuite émettre des recommandations qui auraient l’effet de ratifier ces reculs?

La supposée « formulation originale » de la FECQ n’est rien de plus qu’un amalgame de définitions et d’interprétations issues des lois existantes, comme la LNT et la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles. Elle sert effectivement à « clarifier le statut » des stagiaires, et ce, à leur détriment, car elle cautionne le transfert du fardeau de la formation que représente la multiplication des stages. Pour cette raison, nous affirmons que la FECQ n’a fait qu'interpréter les stages : ce qui importe, pour nous, c’est de les transformer.

Paolo Lapointe-Miriello
Valérie Simard
Pour le compte de la Coalition montréalaise pour la rémunération des stages

Notes explicatives

[1] La FECQ choisit de privilégier « stages de prise en charge » plutôt que le terme « stages de travail » proposé par l'IREC, et ce, « pour éviter d’amalgamer le rôle de formation des stages et demeurer loin de la marchandisation qu’on pourrait faire des stagiaires » (FECQ, 2018 : 4).

[2] Cette citation est tirée de CNESST, Protection des étudiants qui effectuent un stage (stagiaires), 2018, p. 7. De son côté, l'IREC définit le stage de travail comme étant une « expérience de travail à part entière ».

Il importe ici de préciser que ni la FECQ, ni l'IREC fait directement référence à cette définition. Par contre, la FECQ le fait indirectement, de cette manière :
- La sixième proposition de la FECQ inclut « une modification de [la LNT] pour qu’elle se colle au principe de "travail réel" de la LATMP » (FECQ, 2018 : 4);
- Ici, la FECQ réfère au chapitre 2 du rapport de l'IREC dans ses notes en bas de page, sans préciser la page exacte;
- La section 2.5.2 du rapport de l'IREC traite spécifiquement de la LATMP. L'IREC précise que « certains critères fondamentaux doivent être satisfaits pour qu’un stagiaire soit protégé par [la LATMP] » (Duhaime, 2018 : 35);
- Enfin, c'est à la page suivante que nous trouvons la référence au document de la CNESST qui clarifie la définition des « activités réelles de travail » pour un étudiant (stagiaire) parmi les critères à satisfaire (Duhaime, 2018 : 36).
Voilà ce qui justifie notre interprétation : lorsque la FECQ fait référence à la LATMP en ce qui concerne un « travail réel », elle fait référence à la définition des « activités réelles de travail » de la CNESST.

Sources

Carrier-Plante, Charles et Retg, Cécile. Septembre 2018. Les stages et les stagiaires du réseau universitaire québécois : Portraits, enjeux et réalités.

Duhaime, Éric N. Septembre 2018. Enjeux et perspectives entourant le statut des stagiaires au niveau collégial. Institut de recherche en économie contemporaine.

Fédération des cégeps. 2018. Caractéristiques de la population étudiante collégiale : valeurs, besoins, intérêts, occupations, aspirations, choix de carrière.

Fédération étudiante collégiale du Québec. 2018. Le cadre légal et administratif des stagiaires : Note explicative.

Gobeil, Valérie et Tremblay, Alexis. Mars 2018. La compensation financière des stages obligatoires au collégial : Une étude exploratoire. Institut de recherche en économie contemporaine.

St-Cyr, Gabrielle. Décembre 2016. Les jeunes et les stages : Rapport de recherche. Regroupement québécois des organismes pour le développement de l’employabilité.