“Feu sur l’école bourgeoise! Matériaux pour une critique de l’école” (en deux parties, pour cause de longueur de l’article…) est le premier texte d’une série de trois, qui paraîtront tout au long de l’automne 2017. Le texte ci-dessous présente les fondements théoriques et critiques de la perspective politique du Mouvement Étudiant Révolutionnaire à propos du rôle de l’école dans la société capitaliste. Les deux textes suivants porteront sur le rôle des étudiant.es communistes et l’annonce d’une campagne politique étudiante pour l’été 2018.


Issu d’une réflexion globale sur l’action révolutionnaire des étudiant.es, ce texte est le premier d’une série de trois; il s’agit d’une réflexion critique qui pose le problème de la place structurelle des étudiant.es dans la société et tente de répondre à la question : quel rôle pour les étudiants dans la révolution socialiste?

Nous sommes des communistes, des révolutionnaires. C’est d’ici que nous partons. Mais nous sommes aussi des étudiant.es. Élaborer une critique honnête et faire l’évaluation de notre place, notre rôle dans la société capitaliste est la première étape; elle détermine des choix politiques, et des stratégies pour l’avenir. Comme point de départ, nous cherchons à répondre à la question du rôle du système scolaire dans la société capitaliste.

Nous avions, dans un texte critique en 2016, mis globalement en lumière le rôle de l’école dans la société capitaliste. Dans ce texte, nous développons et clarifions nos thèses. Loin d’être l’institution méritocratique, neutre et émancipatrice qu’on nous fait miroiter, le système scolaire, principal appareil idéologique d’État de la société capitaliste bourgeoise, reproduit les divisions sociales de classe et transmet, par le biais de son enseignement, l’idéologie dominante, qui sert à justifier les relations d’exploitation qui fondent le système capitaliste. Les étudiant.es au pré-universitaire et à l’université en sont, même malgré eux, les héritiers et les futurs bénéficiaires.

En tant que révolutionnaires, nous voulons faire tomber les barrières de la division sociale du travail actuelle, nous voulons appuyer le développement de la révolution au Canada et nous y joindre. Nous, les étudiant.es communistes, voulons participer à cette grande lutte pour se débarrasser du travail salarié, pour libérer le travail de tous ses aspects oppressifs et aliénants. Nous voulons travailler, mais nous ne voulons pas que cela profite à une minorité de parasites. Nous voulons au contraire que les efforts qui sont faits, non seulement à l’université, mais dans tous les centres de formation, puissent profiter à la majorité de la population. Nous voulons une éducation prolétarienne et nous voulons que cette éducation serve la majorité, non simplement l’émancipation de celles et ceux qui étudient. Nous voulons, à terme, que la notion même d’étudiant.e disparaisse et tombe pour ne laisser place qu’à la formation continuelle de toutes et de tous dans l’intérêt de toutes et de tous.

Bref, il y a l’École comme elle est aujourd’hui, avec la place qu’occupent les étudiant.es dans le capitalisme, et il y a l’École comme elle pourrait être demain, avec la place qu’ils et elles pourraient avoir sous le socialisme. Autrement, les étudiant.es ne resteront qu’un rouage dans le fonctionnement et la reproduction des inégalités de notre société. Mais la première étape pour arriver à nos objectifs est d’avoir une vision claire du rôle de l’école dans la société capitaliste; c’est ce que ce texte cherchera à mettre en lumière.

I. Le système scolaire occupe un rôle central dans la reproduction de la société

Définition provisoire du rôle général de l’école

A priori, que pouvons-nous dire de l’École? C’est un système obligatoire, jusqu’à 16 ans au Québec, par lequel, donc, tout le monde passe, puis se dirige en DEP, en formation technique ou en formation pré-universitaire, sensée mener, elle, à l’université. Tout ce parcours, plus ou moins long, nous permet d’acquérir des compétences sensées nous aider à décrocher un emploi correspondant. On peut donc dire que le système scolaire est un système qui fait partie intégrante de la société capitaliste – sans école, pas de formation, pas de travailleur.euses formées pour remplir les diverses tâches nécessaires au fonctionnement de l’économie.

Le mode de production capitaliste

Or, qu’est-ce que l’économie? Actuellement, c’est celle du mode de production capitaliste; le moteur du régime capitaliste, c’est la « recherche du profit » (1). Ici, nous n’allons pas faire un exposé complet de l’ABC du capitalisme et de l’exploitation; d’autres l’ont fait avant nous, de manière plus claire, plus complète et détaillée (2). Illustrons, simplement pour introduire notre cadre d’analyse, quelques observations accessibles à tous.tes sur la société de classes capitaliste et ses rapports de production.

Les rapports de production capitalistes sont des rapports de classe et d’exploitation

Les rapports de production capitalistes sont des rapports d’exploitation. Pour quiconque est capable d’observer la réalité, nous voyons bien qu’en régime capitaliste, des individus (les patrons/propriétaires, en bref, les bourgeois) détiennent la propriété des moyens de production. L’usine, l’atelier, le lieu de travail, appartient au patron, qui en est le propriétaire légal. Les employés (les prolétaires) y produisent des choses, mais le produit de leur travail ne leur appartient jamais. Ce sont les patrons qui se l’approprient, en en cédant seulement une partie aux employés, sous forme de salaire, pour qu’ils puissent vivre et se reproduire. Ils gardent le reste (qui est, en régime capitaliste, la plus-value, le profit) pour eux. Le fait que d’un côté il y ait possession des moyens de production et de l’autre, non, et que du côté du possesseur des moyens de production, on s’approprie une partie de la valeur du travail, font que les rapports de production capitalistes sont, de facto, les rapports de l’exploitation capitaliste. C’est l’exploitation d’une classe sociale (le prolétariat), par une autre (la bourgeoisie); c’est l’exploitation de l’Homme par l’Homme. Ce sont ces rapports de production qui caractérisent le mode de production capitaliste.

La division technique du travail dans le mode de production capitaliste est une division sociale du travail

Ce sont aussi ces rapports de production qui déterminent la division technique du travail (c’est-à-dire, les postes en emplois que chacun dans la société occupe). Or, nous avons vu que la société capitaliste était divisée en classes sociales. En régime capitaliste, donc, toute division technique du travail est en réalité une division sociale du travail. En effet, les postes manuels, d’exécution, certains postes de techniciens et de petits chefs sont occupés à vie par des membres du prolétariat. Les postes d’organisation un peu supérieure, puis de « conception » et de direction partielle du procès de travail, sont monopolisés par des membres d’autres couches sociales, ingénieurs et techniciens, cadres moyens et supérieurs – la petite-bourgeoisie. Les postes les plus importants, ceux de direction, d’organisation du travail, de gestion de la main d’œuvre, sont occupés par les patrons (les bourgeois) eux-mêmes ou leurs représentants directs. Être un directeur d’entreprise ou un ingénieur est plus reconnu qu’être un cadre, qui lui-même, occupe une position plus favorable tant au niveau social que salarial, à la fois dans le lieu de travail que dans la vie en général, que le simple manœuvre. Que la majorité de ces individus, ingénieurs, cadres supérieurs et même directeurs, soient de plus en plus de simples salariés ne change rien à l’affaire. Il existe entre les salariés des différences de classe, car c’est plutôt la place dans le procès de production qui détermine l’appartenance de classe.

Le système scolaire reproduit les classes sociales via la division sociale-technique du travail

Quel lien avec l’école, donc? Nous avons dit plus haut que l’on allait à l’école pour recevoir une formation nous permettant d’accéder à un emploi – la formation, plus ou moins longue ou courte, correspond en général au poste occupé. Si l’école permet de nous trouver un emploi correspondant à notre formation, et que l’emploi occupé est en lien étroit avec la classe sociale, alors on peut dire que l’école reproduit la structuration des classes sociales. Nous allons voir comment.

II. Comment le système scolaire reproduit les classes sociales via la division sociale-technique du travail

Les réseaux d’éducation « professionnel » et « supérieur »

Nous avons dit que la formation scolaire correspondait généralement au poste occupé dans la division sociale-technique du travail. En effet, le système d’éducation n’est pas unitaire – deux réseaux très différents se dessinent, et divisent, même avant leur division effective, les élèves en deux catégories distinctes; ceux qui passeront à l’université, et ceux qui entreront plus ou moins directement sur le marché du travail.

D’un côté, nous avons le réseau « professionnel » (qui comprend les DEP et certaines techniques) dont la formation est axée sur l’entrée sur le marché du travail. Ce réseau forme une main d’œuvre qualifiée pour occuper différents postes de techniciens ou des tâches manuelles ou d’exécution. C’est surtout par le biais de ce réseau que sont formés les prolétaires de demain. Le réseau auquel on pense le plus souvent lorsqu’on pense à « l’éducation » en général, c’est le réseau qu’on pourrait appeler le réseau « supérieur »; le traditionnel parcours cégep pré-universitaire et université. On y apprend, dépendamment du programme, des tâches d’administration ou de gestion (ressources humaines, comptabilité, etc.). C’est aussi ce réseau qui forme ingénieurs, médecins, avocats; bref, toutes des formations prestigieuses qui débouchent aussi sur des postes de pouvoir. Les formations offertes comprennent aussi celles dans des domaines plus « intellectuels », ou culturels comme la sociologie, l’histoire, l’histoire de l’art, les communications, etc. En bref, on peut voir que les différentes formations permettent d’accéder aux sphères de la division sociale du travail réservées à la petite-bourgeoisie ou à la bourgeoisie. C’est ce réseau « supérieur » qui nous concerne ici car, en tant qu’étudiant.es, nous en faisons partie. Nous allons nous y intéresser un peu plus loin.

Division des élèves : entre reproduction sociale et inégalités scolaires

Un fait est indéniable : ce ne sont pas tous les élèves du secondaire qui prennent le chemin de la formation pré-universitaire et universitaire. Qu’est-ce qui détermine cette division? Certains nous diront qu’il s’agit simplement de choix individuels ou de capacités intellectuelles – mais rien n’est si sûr. En effet, même en s’intéressant superficiellement aux nombreuses études qui pullulent sur l’accessibilité à l’éducation et à la production d’inégalités scolaires, nous voyons que la division des élèves résulte à la fois du mécanisme de la reproduction sociale, mais qu’elle est aussi le fruit d’un système de division à l’intérieur même du système d’éducation.

Le rôle de la reproduction sociale dans la répartition des élèves au sein des deux réseaux d’éducation

De nombreuses études qui s’intéressent au rôle des inégalités sociales dans la reproduction des inégalités scolaires (3) montrent que les jeunes des classes populaires restent moins longtemps à l’école et ont un taux de diplomation plus faible que leurs collègues issus de classes aisées (4). Ils et elles sont sous-représentés aux études supérieures (notamment, dans les programmes collégiaux pré-universitaire et à l’université) mais surreprésentés en formations techniques-professionnelles (5); s’ils et elles entrent en formation collégiale et universitaire, ils le font à un âge plus avancé (6). De l’aveu des sociologues bourgeois et des institutions scolaires elles-mêmes, ces résultats sont grandement dépendants du capital économique et culturel des parents (du niveau d’éducation des parents et de leur profession) (7) et de la fréquentation d’une école plus ou moins favorisée (en 2005, un écart de 20% du taux de diplomation entre les élèves des écoles publiques favorisées et défavorisées existait toujours, situation qui ne s’était pas améliorée depuis 1995, selon Avignon, 2014).

En bref, encore aujourd’hui, le facteur de la reproduction sociale dirige les jeunes issus de milieux prolétariens vers les formations techniques et professionnelles, ou vers le décrochage (mais si les jeunes hommes prolétaires décrochent plus, cela ne se répercute pourtant pas sur leur « viabilité » sur le marché de l’emploi (8) – faut-il y voir une simple coïncidence avec la division sociale et sexuelle du travail, notamment le maintien d’un secteur d’emploi, essentiellement dans la production industrielle de biens manufacturés, qui continue de recruter une main-d’œuvre masculine peu formée?).

Mais il ne s’agit pas que de reproduction sociale. D’un autre côté, l’école elle-même forge des divisions en son sein. L’idéal « méritocratique » de l’école fait que les élèves sont évalués sur leurs performances scolaires, par le biais des notes; c’est ce qui détermine, à priori, leur sélection et leur orientation dans un réseau ou un autre. Qu’est-ce qui « produit » les « bons » élèves et les « mauvais » élèves?

Le rôle des compétences en lecture dans la production d’inégalités scolaires

L’apprentissage de la lecture, dans le cadre de l’école, est l’apprentissage fondamental qui détermine la réussite, parce que ces compétences seront par la suite sollicitées dans toutes les matières. En fait, les compétences en lecture constituent un des plus importants facteurs déterminant le rendement scolaire (9). Christian Baudelot et Roger Establet (1971) ont montré qu’en France, la division des élèves entre les deux réseaux d’éducation se fait dès l’école primaire, et particulièrement en première année et lors de l’apprentissage de la lecture. Nous avons toutes les raisons de penser que le processus est semblable au Québec. En établissant des normes « objectives » que tous les élèves doivent pouvoir atteindre pour être considérés comme « normaux » dans un laps de temps donné, l’école fait en sorte de désavantager systématiquement les individus qui n’atteindraient pas ces standards. Or, ces standards sont basés en grande partie sur les résultats moyens atteints par les élèves issues de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie et non par ceux issus du prolétariat. Par exemple, on suppose qu’un élève au milieu de la première année devrait être capable de lire et d’écrire, ce qui est réaliste pour les enfants (bourgeois ou petit-bourgeois) dont les parents vont les aider à faire leur exercices et commencer à leur apprendre à lire pendant l’année scolaire et avant même l’entrée à l’école (voir, qui pourront payer quelqu’un pour le faire), mais beaucoup moins pour ceux et celles (prolétaires) dont les parents ne pourront pas les aider, par manque de temps, d’énergie, voire parce qu’ils et elles n’ont jamais vraiment appris à lire et à écrire.

D’autres facteurs identifiés viennent jouer un rôle dans l’apprentissage de la lecture, comme la présence de livres dans la maison. Baudelot et Establet notent aussi l’influence de deux obstacles significatifs à l’apprentissage de la langue : (1) les différences entre le langage utilisé par la bourgeoisie et par le prolétariat, le français appris à l’école différant de manière significative de celui appris et parlé spontanément par les prolétaires, qui lui, sera réprimé et qualifié de mauvais français (sans parler des prolétaires dont le français n’est pas la langue maternelle!) et (2) les exemples donnés dans les cahiers d’exercices, calqués sur la réalité bourgeoise et non sur celle vécues par les prolétaires (références culturelles, situations de vie, métiers, hobbys…). Ce sont des facteurs explicatifs qu’il serait intéressant d’approfondir et d’étudier pour la situation du Québec. Les auteurs notent aussi qu’il est très rare qu’un élève qui prend du retard lors de l’apprentissage de la lecture se rattrape plus tard dans sa scolarité.

Nous avons dit que les jeunes issus des milieux populaires ne sont pas seulement moins nombreux à accéder au cégep et à l’université, mais, quand ils y parviennent, ils y entrent aussi un peu plus vieux, et qu’inversement, ceux qui sont issus des milieux bourgeois et petits-bourgeois ont plus de chances d’accéder au collège, et qu’ils y entrent plus jeunes que leurs camarades d’autres milieux. (Eckert 2010, p.158) Ce qui est intéressant par rapport à l’âge, c’est que malgré le désintérêt flagrant des autorités et des sociologues québécois par rapport à cette question, une des rares études du Ministère de l’Éducation à ce sujet (Élèves diplômés au secondaire et au collégial : étude sociodémographique, juin 1998) montre qu’il s’agit de la variable la plus discriminante quant au cheminement ultérieur des élèves au secondaire et au collégial. Au niveau de l’école secondaire, un écart considérable en termes de diplomation et de réussite scolaire existe entre les élèves qui entrent au secondaire avec une année de retard et ceux qui entrent « au bon âge ». Elle montre aussi qu’en matière de diplômes obtenus, les élèves entrés sans retard au secondaire obtiennent dix fois plus de premiers diplômes d’études collégiales en formation préuniversitaire que les élèves entrés « en retard ».

Ce qui est intéressant, c’est que cette relation entre l’âge, la réussite scolaire et, par le fait même, l’accès au réseau « supérieur » est aussi mentionnée dans L’École Capitaliste en France (Baudelot et Establet, 1971). En mettant cela en lien avec la question de l’apprentissage de la lecture, il est légitime de se questionner sur l’effet du redoublement sur le parcours des « mauvais » élèves. Un élève qui n’aurait pas atteint les standards dans le laps de temps donné redouble son année et entre avec une, voire deux années de retard au secondaire; puis, l’on se rend compte qu’entrer « en retard » au secondaire est un facteur qui diminue grandement la réussite scolaire, les chances de diplomation et le passage au réseau « supérieur ».

Ajoutons à cela le fait que nous venons de voir que la plupart des études s’entendent sur quelle population réussit moins bien à l’école, l’effet cumulatif de l’origine socioculturelle et de la structuration de l’école sur les parcours scolaires devient dès lors frappante : dès le début du parcours, leur meilleure réussite scolaire conduit non seulement les jeunes des milieux bourgeois et petits-bourgeois plus loin dans le dispositif de formation, mais les mène aussi plus tôt à ses différents paliers. On se retrouve donc avec une population de « bons » élèves, issus de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie, qui ont les moyens de réussir, et qui réussissent. Quant aux autres, généralement issus du prolétariat, ils restent des « mauvais » élèves, redoublent, et cette situation diminue leurs chances d’obtenir un diplôme d’études secondaire et retarde ou empêche leur accès au réseau « supérieur ».

Autres facteurs influençant la division scolaire des élèves sur la base de leurs « compétences » et apprentissages

Contrairement à la France, le Québec ne regorge pas d’études portant sur la division scolaire des élèves. Pour la majorité des chercheur.es que nous avons consultée, il semble que la division scolaire effective ait lieu au secondaire plutôt qu’au primaire, par l’effet cumulatif des inégalités scolaires produites au primaire par le biais de l’apprentissage des matières de bases et de l’évaluation par notes.

Certains, comme Avignon (2014), mettent en cause les « projets particuliers sélectifs » au secondaire (programmes spécialisés de musique, anglais, art…), dont l’accès est évalué sur la base de compétences scolaires, ou le classement des élèves en groupes de niveau dès les premières années du secondaire. Existe aussi une différence significative de parcours entre les jeunes issus de l’école publique et ceux issus de l’école privée, qui sélectionne ses élèves sur la base d’examens d’entrée, ou se réserve le droit d’expulser les « mauvais » élèves qui ne répondent pas à leurs standards scolaires (en 2008, 64 % des élèves du secondaire dans le réseau public obtenaient leur diplôme après cinq ans, contre 89 % dans le réseau privé, selon Avignon, 2014). L’effet de l’établissement scolaire est aussi significatif selon qu’il s’agisse d’une école en milieu favorisé (bourgeois ou petit-bourgeois) ou une école de milieu défavorisé (milieu prolétarien). En effet, les élèves des écoles privées ou des écoles publiques des quartiers petits-bourgeois et bourgeois ont généralement une trajectoire scolaire qui les mène à l’université en plus grand nombre.

L’accès aux études universitaires au Canada est plus élevé de 20% pour les jeunes ayant fréquenté une école privée (10), alors que selon Sévigny (2003), la probabilité que l’élève entreprenne des études post-secondaires est liée au niveau de défavorisation économique de son lieu de résidence, mais aussi à la catégorie d’écoles qu’il fréquente – plus le secteur de résidence est défavorisé, moins les chances d’obtenir le diplôme d’études secondaires sont élevées. La relation est, de plus, très étroite et inversement proportionnelle, et s’applique tant aux garçons qu’aux filles, aux élèves d’origine québécoise et à ceux d’origine étrangère; le pourcentage des élèves sans DES ou avec diplomation tardive est toujours plus élevé chez les élèves inscrits dans une école défavorisée que du côté de ceux inscrits dans une école favorisée (11).

En bref, pour être un « bon » élève, l’acquisition de compétences en lectures est nécessaire et détermine la réussite scolaire subséquente. Au cours de la scolarisation, une division se crée entre les « bons » et « mauvais » élèves, les premiers pouvant accéder au cheminement « supérieur », les autres, au cheminement « professionnel ». Or, l’acquisition de ces compétences dépendent de nombreux facteurs sociaux qui influencent la performance des élèves, comme la scolarisation des parents, l’origine socio-économique ainsi que le type d’école fréquenté. Les enfants issus de milieux bourgeois sont donc, dès le primaire, en bien meilleure position pour réussir à l’école et achever leur cheminement scolaire à l’université. En bref, accéder au réseau « supérieur », c’est accéder au réseau qui reproduit la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie, mais pour accéder à ce réseau, il faut avoir le bagage pour bien réussir à l’école, et ce bagage est, justement… bourgeois!

Ce que nous voyons, c’est que par le biais de mécanismes propres au système scolaire, l’école produit globalement deux catégories de travailleur.euses : les prolétaires, dont le parcours scolaire en tant que « mauvais » élèves les aura mené au réseau « professionnel », et les « bons » élèves, qui passeront au réseau « supérieur », qui garantit l’accès aux professions de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie, soit les tâches d’administration ou de gestion (ressources humaines, comptabilité), les différents postes de pouvoir et les métiers « intellectuels »; en bref, ceux-ci deviendront l’élite sociale de demain.

L’obsession de la « démocratisation de l’école » et l’atteinte de la réelle « égalité des chances » de la bourgeoisie progressiste

Les chercheurs progressistes dont nous tirons nos études critiquent l’école parce qu’elle n’a toujours pas « réglé » le problème de la sélection, toujours influencée par l’origine socio-économique (de classe) des élèves. Pour eux, qui visent une plus grande mobilité sociale pour les individus, reste le fantasme d’une école strictement méritocratique – où, par des méthodes (pédagogiques, institutionnelles) qui réussiraient à contourner les désavantages d’une origine de classe prolétaire, les jeunes issus de milieux populaires auraient autant de chances de réussir que leurs collègues de milieux favorisés. Ce qui est intéressant, c’est justement de constater qu’aucun de ces intellectuels bien-pensants ne remet en question l’existence des classes sociales, ni la division sociale-technique du travail qui y est liée – bref, la base de l’économie capitaliste et de sa société de classes. Pour nous, c’est justement ce qui constitue la pierre d’assise du « problème » scolaire.

Plutôt que de s’obstiner à faire des pirouettes intellectuelles et chercher à l’intérieur de la société de classe une « méthode » pédagogique magique qui permettrait aux jeunes d’origine prolétaire de mieux « apprendre » (en fait, de se conformer aux normes bourgeoises), il faudrait plutôt remettre radicalement en question l’existence même de ces normes. Pourquoi est-il si important de savoir lire à 6 ans? Si les conditions matérielles objectives d’existence de quelqu’un font en sorte qu’il aura besoin de 1, 2, 3 ans de plus pour apprendre à lire, pourquoi cela devrait-il conditionner son existence entière?

La réponse est évidemment que l’École est une composante essentielle de la société de classe capitaliste, conditionnée par les nécessités de la division sociale-technique du travail. L’apprentissage, plutôt que d’avoir une fonction émancipatrice, a surtout la fonction de diviser. Cette école, que les idéologues bourgeois voudraient unifiée et émancipatrice, est rendue chimère par les faits : divisée en deux réseaux étanches l’un de d’autre, qui recrutent leur population dans des classes sociales différentes, et aboutissent à des classes sociales différentes, l’école a comme rôle fondamental de contribuer à la reproduction des rapports de production capitalistes. D’ailleurs, il est important de rappeler que même si la mobilité sociale reste un fait objectif sous le capitalisme, cette mobilité n’abolit pas les classes sociales pour autant!


Suite du texte dans FEU SUR L’ÉCOLE BOURGEOISE!  Matériaux pour une critique de l’École – Partie 2