Un mouvement sain et démocratique n’a jamais été complètement unanime. Il est toujours traversé par des lignes de discordes et des groupes qui, s’ils partagent certains idéaux ou projets, ont pourtant des positions et/ou des manières de faire bien différentes. L’ASSÉ, qui a longtemps représenté la tendance combative et radicale du mouvement étudiant, n’a jamais fait exception. Il n’en demeure pas moins qu’à partir de la campagne qui a mené à la grève de 2012 les tensions ont rapidement augmenté entre les différentes composantes du mouvement jusqu’à ce que la rupture éclate au grand jour lors de la grève du Printemps 2015 et soit consommée (définitivement?) lors de l’expulsion des cégeps de Saint-Laurent et de Marie-Victorin de l’ASSÉ. Depuis, il s’avère nécessaire de reconnaître que le mouvement étudiant au Québec est à son plus bas depuis une bonne décennie.

Une situation déplorable…

Depuis 2014, l’ASSÉ peine à tenir une campagne mobilisatrice. Des campagnes organisées hors des structures du mouvement étudiant, mais s’adressant néanmoins à ce dernier, réussissent le pari de la mobilisation. Pensons notamment à la campagne enthousiasmante du Comité Unitaire sur le Travail Étudiant (CUTE). L’Automne chaud que l’ASSÉ promettait en réponse à la grève du printemps 2015 n’aura jamais eu lieu. Depuis, ce syndicat étudiant peine ne serait-ce qu’à tenir des manifestations nationales annuelles et se limite à relayer les initiatives des groupes communautaires et syndicaux, allant parfois jusqu’à ignorer et/ou invisibiliser les projets des groupes qu’elle semble considérer comme concurrents. Alors que la capacité d’action externe de l’ASSÉ est grandement affaiblie, nous doutons de sa vitalité interne. La suspension de Saint-Laurent et de Marie-Victorin a causé l’effondrement du conseil régional de Montréal de l’ASSÉ. Et pour cause, c’est notamment l’énergie militante de plusieurs personnes de ces associations locales qui le tenait en vie. L’ASSÉ est en si piètre état que même le fait de tenir des instances devient une gageure : les congrès comme les conseils de coordinations sont annulés, faute de participation. Si on peut, avec raison, se réjouir que l’ASSÉ ait réussi à sortir de Montréal, on devrait cependant s’inquiéter de constater que Montréal semble avoir perdu tout intérêt pour l’ASSÉ alors que la présence de l’association sur l’île, historiquement sa power base, flirte dangereusement avec le néant.

… qui tient ses causes dans la rupture du dialogue.

Chaque critique d’un camp à un autre est vue comme une déclaration de guerre. Chaque action est vue comme une trahison ou comme une idiotie. Cela s’explique dans la mesure où, comme dans chaque guerre, on choisit son camp ou on déserte. Une bonne partie de la base a effectivement déserté cette guerre larvée qui ne sert finalement personne. Les courants qui se sont affrontés et se regardent encore aujourd’hui en chiens de faïence ne sont pas nouveaux. Ils préexistaient à la «crise». Seulement, des espaces de dialogues se trouvaient entre des camarades aux idées différentes, mais aux alliances finalement compatibles, ne serait-ce que sur de courtes périodes. Ces espaces se limitent désormais à des commentaires hargneux sous des publications Facebook. Il ne s’agit évidemment pas de l’espace le plus souhaitable afin de détricoter le châle de haine et de suspicion que nous nous sommes collectivement tissé.es. Nous croyons fermement que nous ne serons de nouveau fortes et forts que lorsque nous pourrons travailler ensemble.

Que faire?

C’est sur le socle de ces présupposés que nous appelons au dialogue et au travail collectif:

  1. Un mouvement étudiant radical, progressiste et en bonne santé est un élément nécessaire et souhaitable dans le cadre des luttes au Québec.
  2. Un mouvement sain est toujours pluriel et diversité peut rimer avec unité. Si les conflits du passé ne peuvent et ne doivent pas être oubliés, la transformation de la société reste un enjeu plus important et la gauche radicale fait face à des enjeux majeurs et urgents. Nul besoin de direction unique si nous avançons dans la même direction
  3. L’action de réconciliation et de revitalisation à entreprendre ne peut réalistement se produire à l’intérieur des structures de l’ASSÉ compte tenu de l’état de désertion actuelle dont elle est l’objet.  
  4. La relance du mouvement ne peut se concevoir que dans le cadre d’un mouvement large et mobilisateur.

Convergence ou barbarie

La montée de l’extrême droite au Québec, et dans le monde, est un enjeu d’une urgence qui ne saurait être ignorée. Des décennies de néolibéralisme forment la trame de fond de cette nouvelle configuration des forces. Les vagues de privatisations, d’austérité, de marchandisations et de transformations dans le monde du travail, contre lesquelles nous avons axé nombre de nos luttes passées, ont produit une société marquée par le racisme et la stigmatisation de certaines populations. Ajoutons d’ailleurs que les conséquences de cette exacerbation des discours d’extrême-droite ne se limitent pas aux enjeux antiracistes: on en constate également la portée antiféministe, que ce soit par les nombreuses attaques visant les minorités de genre ou par l’omniprésence de la culture du viol et de ses diverses manifestations. Cet échec du modèle libéral nous signale qu’on ne peut être opposé aux discriminations et oppressions constitutives de notre société sans transformer le monde tel qu’il est.

Une analyse liant l’exploitation et la montée de l’extrême-droite nous semble donc nécessaire. Ces deux axes de mobilisation permettent de réunir les forces vives actuelles du mouvement étudiant et de ses allié-es autour d’un objectif commun.

Sur l’exploitation, la campagne féministe pour la rémunération des stages et plus largement sur la reconnaissance du travail étudiant a su rallier cette année diverses associations étudiantes et groupes féministes. D’ores et déjà, des étudiantes de domaines traditionnellement délaissés par les campagnes étudiantes -travail social, éducation, sage-femmes, etc. – promettent de poursuivre leur mobilisation sur le thème “L’exploitation n’est pas une vocation” au cours de l’année qui vient. Écroulés par le poids des coupures et de la surcharge grandissante des demandes, les services en éducation et en santé, dans le secteur public comme dans le secteur communautaire, profitent du travail gratuit des stagiaires du care pour survivre. En plus d’aborder la non-reconnaissance des diplômes des immigrant.es scolarisé.es et d’intégrer les personnes des techniques dans les revendications du mouvement étudiant, des ponts intéressants peuvent être construits avec les groupes qui militent en faveur du 15$ de l’heure.

Alors que la menace de l’extrême droite se matérialise avec le massacre de Québec et les manifestations d’extrême droite à travers la province, il est grand temps que le mouvement étudiant adresse cet enjeu de front. Comme à l’extérieur de ceux-ci, on observe dans nos campus différentes manifestations de ce racisme, et en particulier du racisme anti-musulman, sur lesquelles nous devons prendre le temps de réagir. Alors que l’heure est à la banalisation de la xénophobie, il est impératif de ne pas oublier que l’extrême-droite menace aussi les acquis des luttes féministes, en faisant la promotion de valeurs conservatrices quant aux rôles genrés traditionnels ou en portant directement atteinte à la sécurité des minorités sexuelles et de genre. Sans enterrer la voix des groupes anti-racistes, anti-coloniaux et féministes qui mènent cette lutte depuis déjà un moment, le mouvement étudiant a un rôle à jouer pour défier la rhétorique des discours conservateurs et d’extrême droite et venir épauler le travail de longue haleine fait par ceux-ci. Cette lutte demande et rend possible la création de liens organisationnels à long terme entre le mouvement étudiant et les autres luttes progressistes.

Proposition de campagne

Considérant l’apathie actuelle au sein de la plupart des associations étudiantes;
Considérant la résonance que rencontre la campagne des Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) sur le travail étudiant et la rémunération des stages;
Considérant la montée de l’extrême droite au Québec et dans le monde, notamment exemplifié par le massacre de Québec et les manifestations organisées ce printemps à travers le Québec par l’extrême droite;
Considérant la nécessité d’un mouvement étudiant fort, actif et combatif;
Considérant la nécessité de poser un discours qui expose que la vraie crise que notre société traverse n’est pas celle de la diversité mais bien celle du capitalisme et des discriminations;

Que l’on appelle à une campagne étudiante contre l’exploitation et l’extrême droite.
Que l’on diffuse cette proposition et que l’on invite les associations étudiantes à prendre des positions similaires.
Que l’on organise une première rencontre d’organisation au début du mois de mai avec les autres associations étudiantes intéressées à y participer.

Nous pouvons ainsi développer un récit visant à faire échec à la montée de l’extrême-droite en lui opposant les véritables causes de ce problème social. Ne nous trompons pas de colère!


Par Étudiant.es pour la relance d’un mouvement étudiant combatif