Il pourrait paraître anachronique et abusif d’user du terme « centralisme démocratique » pour désigner les pratiques ou les structures des syndicats et associations étudiantes d’aujourd’hui comme l’ASSÉ. Le centralisme démocratique réfère historiquement à l’organisation très centralisée et bureaucratique des partis communistes d’inspiration léniniste au sein desquels les dirigeants se cooptaient et ont fini par interdire toute opposition formelle en leur sein. Le terme « démocratique » de l’expression léniniste n’avait pas davantage de cohérence avec la réalité que le terme «ouvrier» pour décrire l’État bolchevique.
La littérature marxiste-léniniste déborde de longues dissertations sur ce fameux oxymoron. Les querelles idéologiques entre communistes autoritaires tournent essentiellement autour du thème de la dégénérescence bureaucratique des partis communistes. Ils tentent surtout de ne jamais remettre en question les principes du centralisme démocratique en évacuant la thèse qui fait de cette décrépitude une évolution logique, mais s’affairent soit à trouver dans certaines décisions, certaines personnalités, certains moments historiques les causes qui expliqueraient le malheur.
Bien que l’expression soit fortement chargée d’histoire, son utilisation aujourd’hui, pour désigner les organisations syndicales bureaucratisées, n’est pas sans lien avec son contenu original. Ce lien est d’ailleurs le sujet de ce texte. Celui-ci cherche à mettre en lumière le continuum centraliste qui permet d’asseoir toute la structure sociale autoritaire sur toute la gamme d’organisations (famille, école, entreprise, etc.) qui participent à la reproduction de l’ordre dominant (patriarcat, ethnocentrisme, capitalisme, etc.). En particulier, celles qui participent à la perversion des éléments les plus conscientisés de la jeunesse étudiante. Pour rendre à César ce qui lui appartient, ce texte ne traite qu’accessoirement de l’ASSÉ qui, comparativement à de multiples autres organisations de type syndical, n’est qu’infîmement peu bureaucratisée.
Pour éviter d’avoir à produire une thèse complète sur toutes les formes du continuum centraliste, nous allons donc nous concentrer sur une des formes les plus élémentaires de l’organisation de la hiérarchie sociale. C’est de cette hiérarchie sociale qui définit le pouvoir qui est mis en cause dans ce texte. Le pouvoir concentré est ici synonyme de domination et ne doit pas être confondu avec le pouvoir au sens large.
C’est en prenant conscience des premières étapes de la concentration du pouvoir au sein même des organisations qui prétendent la combattre que commence la politique radicale de la rébellion. Faire une critique du centralisme démocratique dans sa définition la plus large, c’est faire la critique de ce qui façonne, à la base, le caractère bourgeois du pouvoir moderne, c’est-à-dire la croyance en la nécessaire délégation du pouvoir. Bien que le centralisme démocratique est l’expression dite prolétarienne de l’organisation du pouvoir au sein du parti, ses principes philosophiques sont les mêmes. Peu importe l’idéologie qui justifie la forme hiérarchique de l’organisation, l’origine révolutionnaire du phénomène et sa structuration étatique est similaire. La finalité historique du centralisme démocratique, comme de la démocratie représentative, est de façonner la plèbe à l’image de l’État tout en lui retirant, sauf exception, l’accès au pouvoir.
Introduction à la psychologie libertaire
Quiconque n’a pas l’expérience pratique du pouvoir ou n’adhère pas aux théories psychologiques libertaires est condamné à vivre dans le mythe de la démocratie représentative et ses formes syndicales délégatrices. Ce mythe vise essentiellement à nier la nature corruptrice du pouvoir, car que le pouvoir corrompe est une constante si forte que toutes les formes structurelles inventées pour la déjouer sans l’abolir n’ont réussi qu’à la faire évoluer avec elles. Malheureusement, comme ce texte se limite aux aspects psychologiques du pouvoir, il n’a pas l’ambition de démontrer les fondements anthropologiques de la corruption du pouvoir.
Ainsi, s’est instituée la croyance populaire qui veut que la révocabilité d’un gouvernement après un certain nombre d’années nous garantisse contre sa corruption. De même, c’est ainsi que l’on croit que la révocabilité absolue d’un-e élu-e syndical-e nous donne les mêmes garanties. Si de telles garanties existaient, nous ne serions pas aux prises aujourd’hui avec les syndicats que l’on connaît. Bien que les causes de cette corruption soient souvent imputées à des facteurs externes au pouvoir hiérarchique comme c’est le cas des contraintes économiques capitalistes ou patriarcales, elles ne peuvent suffire à expliquer un phénomène qui existe peu importe le régime politico-économique en place. Elles démontrent en fait que ces garanties n’existent pas, car ces contraintes externes ne sont pas réellement séparées des organisations.
Mais, enfin, qu’est-ce que cette corruption dont on parle ici? Comme nous dissertons sur les formes les plus élémentaires de l’organisation hiérarchique, nous prendrons comme référence la définition la plus élémentaire de la corruption et nous l’appliquerons au contexte social de l’organisation et aux déterminations psychologiques des individus. En somme, la corruption est une altération du jugement individuel par une décomposition du caractère multidimensionnel et horizontal de l’organisation directe de la démocratie.
La prise du pouvoir, qu’il soit exécutif ou législatif, l’effort qui y est mis, ainsi que toute la charge psychosociale qui se rattache aux responsabilités du poste, transforme l’individu radicalement. Ne serait-ce que l’espace d’une journée, l’individu devient fonction d’un tout organique. Plus il est convaincu de la pertinence de sa place, plus il y tient. Il s’ensuit logiquement que la prise du pouvoir nécessite des individus prédisposés à vouloir se réaliser de la sorte et que la corruption ne débute pas toujours par l’entrée en fonction, mais par une prédisposition.
Le dénominateur psychologique commun de toutes les prédispositions au pouvoir est la conviction d’être supérieur au commun, car quiconque jouit d’un pouvoir, aussi infime soit-il, ne peut tolérer de voir n’importe qui prendre sa place. Ajoutons à ce constat que la prédisposition n’est pas nécessaire et que l’entrée en fonction d’un individu amène de lui-même le développement de cette disposition.
Bref, une délégation révocable en tout temps n’est pas à l’abri de la corruption. Sa fragilité temporelle peut la rendre plus vigilante face à ce qui pourrait menacer son pouvoir et cette fragilité temporelle peut donner à sa fonction un prestige qui flatte sa vanité. C’est d’ailleurs cette vanité qui poussera l’individu à se demander de quelle corruption il est question ici, puisqu’il ne voit pas de problème au monopole qu’il exerce sur sa fonction. Si, alors, la vanité de cette délégation nous importe peu puisqu’elle peut être révoquée sur-le-champ, c’est comme vouloir être condamné à élire pour mieux démettre et rester éternellement insatisfait. Cette indifférence témoigne d’un cynisme décadent qui n’a aucune intention de révocation puisque la corruption est une fatalité. La révocation n’est donc plus une mesure anti-corruption, mais un mirage qui prétend que sans cette révocation cyclique la corruption serait plus grave encore.
Que ces quelques paragraphes n’aient pas la puissance démonstrative nécessaire pour balayer les idées reçues sur la forme délégatrice du pouvoir, cela est fort possible. C’est pour cette raison que nous allons aborder le problème d’une manière plus pratique, en dévoilant des mécanismes trop souvent occultés par les partisans de la forme délégatrice.
La hiérarchie directe
Critique libertaire du syndicalisme traditionnel
Pour faire suite à cette brève introduction à la psychologie libertaire, nous prendrons pour acquis le constat qui considère l’élection d’une délégation comme la construction, à partir d’un moule démocratique direct, d’un pouvoir qui se concentre entre les mains d’une poignée d’élu-e. Voilà comment, à partir du magma populaire, se dresse l’armature de la hiérarchie en une forme moderne fondée sur la séparation des pouvoirs: du législatif émane l’exécutif.
Cette forme proto-étatique représentative cohabite donc, au sein des syndicats traditionnels, avec la « base » incarnée par l’assemblée générale des membres. La contradiction entre ces deux formes de pouvoir n’apparaît pas toujours comme telle, à moins d’avoir affaire à une délégation qui trahit ses mandats de manière évidente. Toujours selon le paradigme moderne, cette contradiction qui traverse toute la structure sociale, a été résolue par le principe de la servitude volontaire qui fonde le pouvoir souverain de l’État par le vote populaire. Selon la logique du continuum, la contradiction se déplace donc entre le pouvoir exécutif et législatif qui se soumet au pouvoir de l’exécutif d’appliquer des mandats flous, larges ou sujets à interprétations.
Pour celles et ceux qui ont l’habitude de baigner dans l’idéologie du syndicalisme de combat animé par l’esprit de la démocratie directe, la présentation qui est faite ici peut sembler simpliste au sens où elle présente le fonctionnement syndical comme un simple collage de la démocratie représentative en occultant ce qui fait sa particularité. En effet, la culture des assemblées générales décisionnelles (législatives) et souveraines, si elle n’existe pas seulement qu’en théorie, nous donne l’apparence d’une différence essentielle. Or, puisque, répétons-le, nous analysons un continuum centraliste, la différence, qui peut apparaître essentielle, n’est que superficielle comme nous allons le démontrer.
Le premier argument qui démontre la mystification idéologique produite par le syndicalisme traditionnel est celui qui dévoile la contradiction inhérente à cette idéologie. Selon le discours officiel, l’assemblée générale est l’instance souveraine à laquelle ont accès toutes les membres de l’organisation. À l’opposé, le comité exécutif, ou peu importe le nom qu’on lui donne, qui est censé exécuter les ordres de l’assemblée, est restreint à une poignée de membre. La logique de la valeur voudrait que le comité exécutif ait un statut supérieur à l’assemblée puisqu’on y restreint l’accès pour des raisons de mérite. Pour contrer cette logique, on a tout simplement statué que l’assemblée est souveraine. Or, malgré cette constitution, l’organisation reste partagée par cette contradiction. Tout ce qui permet alors de rendre l’exécutif, qui est en soi une instance hiérarchique, redevable à la démocratie directe de l’assemblée, est que celle-ci soit vraiment autonome et vivante.
Enfin, c’est un secret de polichinelle, l’assemblée syndicale est encadrée par l’exécutif lorsqu’elle n’est pas tout simplement absente ou passive. L’assemblée traditionnelle reste, en définitive, condamnée à déléguer son pouvoir exécutif, et souvent davantage, à une élite qui ne pourrait tolérer de voir n’importe qui prendre sa place. La responsabilité de cette culture de la hiérarchie directe n’est pas celle de l’élite, car elle ne pourrait obtenir ce pouvoir sans l’aval d’un certain nombre de supporters. C’est pour cette raison que le système syndical classique est une hiérarchie directe; une contradiction entre la démocratie participative et la bureaucratie exécutive.
Le deuxième argument s’attaque au mythe de la supériorité du pouvoir législatif sur l’exécutif. Une fois décomposé le caractère multidimensionnel et horizontal de la démocratie par la séparation des pouvoirs législatifs et exécutifs, les individus en viennent à croire que cette séparation est naturelle ou normale et qu’il n’y a d’autres choix que d’élire une minorité. Par un renversement mystificateur propre à l’idéologie bureaucratique qui nie son propre pouvoir en l’occultant sous les apparences d’un mécanisme objectif et neutre, l’organigramme du syndicalisme traditionnel s’illustre par le positionnement de l’assemblée au-dessus des autres instances. Faire l’analyse objective de la vie organisationnelle des syndicats nous écarte invariablement de cette mystification.
En effet, comme expliqué dans la première partie de ce texte, le pouvoir corrompt. Les prédispositions au pouvoir et la vanité qui caractérisent les élu-e-s ont fait leur oeuvre pour altérer le jugement individuel et contaminer le groupe. La contradiction engendre un conflit structurel qui, en l’absence d’un mouvement populaire, aboutira à la dissolution pratique du pouvoir démocratique et son remplacement par une bureaucratie idéologique. La vie organisationnelle centrée autour des exécutifs pèse suffisamment sur les structures pour que celle-ci devienne le centre du pouvoir de l’organisation. En réalité, c’est l’exécutif qui dirige le législatif, non pas de manière absolue, mais d’une manière qui caractérise les formes les plus élémentaires de la hiérarchie sociale : influence, notoriété, prestige, charisme, éloquence, sophisme, etc. C’est aussi à ce niveau que l’influence des sources “externes” se fait sentir. En particulier le continuum de l’oppression patriarcale qui joue beaucoup sur la création d’un genre de masculinité prédisposé à exercer le pouvoir.
Cette réalité est d’autant plus criante lorsqu’on a l’expérience du pouvoir. Le pouvoir législatif est peu contraignant, car il est de nature sporadique et général. Le pouvoir exécutif vit sur le terrain de la permanence et il acquiert d’autant plus rapidement l’expérience et les connaissances qui fondent son pouvoir. Il se spécialise et devient le détenteur d’un savoir privilégié. L’encadrement du pouvoir législatif sur l’exécutif est court-circuité par l’encadrement exécutif.
La vie organisationnelle de l’ASSÉ ou des organisations du même type, peu importe la ferveur avec laquelle elle dit se fonder sur les assemblées, est encore moins contrainte. Son influence est pire encore, car elle constitue en pratique la concertation des pouvoirs exécutifs pour déterminer les plans auxquels les assemblées devront se soumettre. L’ASSÉ n’est nullement contrainte à faire adopter des mandats avant de prendre des décisions en congrès. Ces décisions prises deviennent des mantras à répéter dans toutes les assemblées mises devant la concertation préfabriquée.
Les assemblées générales sont des épiphénomènes non coercitifs intégrés comme composante spectaculaire à l’idéologie de l’organisation. Le prétendu fonctionnement démocratique du syndicat traditionnel est un processus largement consultatif. Les décisions n’émanent pratiquement jamais de la base et, lorsque cela arrive, elles provoquent toujours énormément d’anxiété et de réaction chez les dirigeants.
Nous n’en sommes pas encore au centralisme démocratique des partis communistes, mais on voit se centraliser le pouvoir. Comme l’explique Bourdet, théoricien de l’autogestion, le culte de la personnalité chez nombre de dirigeants communistes n’est que la conséquence logique de la centralisation. Dépourvues de tout pouvoir, les militantes n’ont d’autres choix que de faire confiance aux chefs. Conditionnées par la société spectaculaire, la base militante elle-même se reconnaît dans l’image d’un chef rassembleur qui officialise sa distance face au pouvoir.
D’ailleurs, la centralisation du pouvoir exécutif aux mains d’une minorité de militant-es éclairé-es est la condition sine qua non de la mainmise des partis sur les syndicats. Il ne peut y avoir d’influence du centralisme démocratique des partis sur les syndicats si les comités exécutifs de ceux-ci sont inondés par les militant-es de « la base », sauf dans certaines circonstances sociopolitiques particulières et historiques où la base adhère à un mouvement populaire en faveur d’un parti. Même dans ce cas, en prenant le contrôle d’un exécutif syndical, les militantes d’un parti vont cristalliser l’emprise du parti sur le syndicat par le biais de la hiérarchie directe.
Pour terminer cette partie sur la critique du syndicalisme traditionnel et introduire la section suivante, nous résumerons le continuum centraliste. D’abord, la forme moderne classique de la démocratie représentative; des députés élus aux quatre ans forment le pouvoir législatif et les boîtes de scrutin sont les instances délégatrices. Ensuite, se superpose toute une gamme de formes corporatives, syndicales, communautaires ou coopératives, plus ou moins bureaucratisées. Elles incarnent des formes politiques dites populaires ou civiles et se caractérisent par un système de démocratie délégatrice, une hiérarchie directe ou une démocratie directe relative par opposition à la démocratie directe absolue dont nous discuterons maintenant.
Réforme de la démocratie centralisée
Démocratisation du pouvoir exécutif
Un des textes fondateurs de l’ASSÉ écrit par Alexandre Marion inclut un passage qui constitue un des plus grands moments révisionnistes de la littérature ASSÉiste et qui concerne directement la critique des militant-es individuel-les au profit des représentants. Il nous semble important de le citer, car il constitue la pierre angulaire d’une culture politique toujours présente :
« (…) les tendances divergentes ont réussi à cohabiter au sein du MDE jusqu’à l’été 1999. Le conflit a éclaté au moment de la préparation de la mobilisation de l’automne suivant, qui fût d’ailleurs un lamentable échec. Certaines personnes voulaient diriger le MDE comme un groupe affinitaire, c’est-à-dire sans se soucier des mandats du Congrès, ou des associations générales membres. Cette vision qu’on pourrait décrire comme «d’élite éclairée» a été vertement décriée par les associations étudiantes membres, donc un grand nombre de militant-e-s ont encore une fois décidé de ne plus s’impliquer au sein de l’organisation.» (p.28)
Contrairement à ce que décrit Alexandre Marion, les militantes qui ont décidé de ne plus s’impliquer dans l’organisation sont essentiellement des membres individuels et des militant-es des comités de mobilisation des associations membres qui ont été trahis par les représentant-es et les bureaucrates du MDE. Ces militant-es avaient d’ailleurs fait adopter en congrès et dans les assemblées générales des associations membres un plan d’action pour l’automne 1999 en vue de déclencher une grève générale. C’est pour ne pas répéter l’erreur de 1996 où la grève avait été décidée durant l’été sans mandat pour ensuite être contestée par le même personnage qu’en 1999. Donc en 1999, les représentant-es et bureaucrates, ont décidé de changer de plan en fonction de leur analyse « éclairée » de la conjoncture. Ce ne sont donc pas les militant-es qui ont voulu diriger le MDE comme un groupe affinitaire sans se soucier des mandats du Congrès. Un groupe affinitaire d’inspiration maoïste appelé la « Brigade Normand Béthune » faisait lui office d’élite éclairée dont certains membres n’hésitaient pas à remettre en question la démocratie du MDE sous prétexte de défendre les intérêts supérieurs du prolétariat. Par la suite, le conflit qui a détruit le MDE a été mis sur le dos des anarchistes et des membres individuels et cette version de l’histoire a servi de motivation pour fonder l’ASSÉ en retirant le membership individuel. Quant à l’échec de la mobilisation de l’automne 1999, en parler de cette manière sans noter au passage le sabotage dont elle a été victime est d’une mauvaise foi absolue.
L’essentiel qu’il faut retenir de cette histoire est qu’il est faux de prétendre que les délégations sont plus soucieuses de la démocratie directe que les militant-e-s des comités de mobilisation. Au contraire, les militant-e-s ne détiennent pas le pouvoir exécutif et ne peuvent intervenir sur l’orientation des associations étudiantes que par l’assemblée générale. De même, au MDE, bien que les membres individuels pouvaient être membres du comité exécutif, ils n’avaient pas droit de vote en congrès et restaient soumis aux dictats des délégations. Sans remettre en question le constat que les membres individuels et les militant-es des comités de mobilisation pouvaient avoir une influence plus grande dans le MDE que dans l’ASSÉ, nous contestons le postulat que les délégations sont plus légitimes de décider sans mandats que les militantes non élues.
Nous proposons donc une réforme du pouvoir exécutif pour que celui-ci ne soit plus la chasse gardée d’une élite. Nous proposons l’ouverture des comités exécutifs à tous les membres de l’organisation comme c’est le cas avec le pouvoir législatif de l’assemblée générale. Nous savons qu’une telle réforme risque de provoquer d’importantes réticences et les forces conservatrices réagiront vertement en brandissant la menace d’un chaos imminent. Pourtant, le seul danger est pour celles et ceux qui y perdront leur privilège. Cette réforme n’est pas dirigée vers l’ASSÉ en particulier, même si elle y aura des répercussions législatives importantes. Elle doit nécessairement être initiée par les assemblées.
Devant le spectre du chaos qui hante l’organisation par la menace d’une telle réforme, notre expérience de ce genre de réforme nous démontre que certaines mesures sont à prendre pour rassurer les irréductibles partisans de la hiérarchie et de la séparation. Par exemple, si l’assemblée mandate le comité exécutif, mais que celui-ci est noyauté par une tendance hostile à ce mandat, il pourrait donc y avoir conflit sans que l’assemblée puisse faire quoi que ce soit. C’est pour cette raison que notre proposition principale est embellie d’un amendement visant à faire élire des «gardiens-iennes» des mandats de l’assemblée, dont le seul rôle est de s’assurer que le comité exécutif exécute conformément ses mandats. Dans le cas où il ne le ferait pas, ce qui risque d’être beaucoup moins fréquent que dans l’ancien système, ces élu-e-s auront le devoir de convoquer l’assemblée pour que celle-ci décide si effectivement le comité exécutif est noyauté par des membres récalcitrants et si c’est le cas et si c’est nécessaire, de leur ôter le droit de siéger à jamais ou pour une période sur le comité exécutif.
Cette proposition et cet amendement permettent d’abolir la contradiction inhérente au syndicalisme traditionnel et de conserver des mécanismes de contrôle pour l’assemblée sans créer un pouvoir hiérarchique, car les élues, dans ce système, n’ont pour seul pouvoir que d’empêcher la création d’une hiérarchie par l’intermédiaire de l’assemblée. Le tirage au sort de ces élues serait donc une avenue à envisager.
Mais ce nouveau mécanisme maintient tout de même une séparation symbolique entre le pouvoir exécutif qui doit être surveillé par des élues (employées ou gardiens-iennes neutres) et les assemblées générales organisées par le pouvoir exécutif. C’est pour cette raison que ce fonctionnement nécessite aussi l’existence d’une vie démocratique nouvelle sans la représentation et l’intermédiaire de chefs.
Nous vous invitons donc à imaginer des associations qui organiseront des réunions sur des enjeux et des tâches différentes où toutes les membres seront invitées. L’assemblée ne sera plus un simulacre présidé par la procédure où les membres atomisés expriment leurs opinions individuelles ad nauseam, mais elle deviendra un lieu de débat entre groupes organisés. Cette nouvelle culture vise essentiellement à saboter la bureaucratisation des assemblées rendue possible par la hiérarchie exécutive. Elle doit finalement éliminer ce qui empêche l’éruption des dialectiques, mais celles-ci doivent d’abord naître et grandir dans et entre les collectifs affinitaires.
Alexandre Despetitsauts
Le texte est également disponible aux formats ebook et brochure à imprimer (novembre 2015).
Note biographique
J’ai milité dans le mouvement étudiant de 1995 à 2003. Je me suis impliqué dans plusieurs organisations locales (comités étudiants et associations générales du Cégep du Vieux-Montréal et de l’UQAM), régionales (Coalition X) et inter-régionales (FECQ, MDE). J’ai participé à plusieurs tâches: porte-parole, grève, occupation, squat, marche, désobéissance civile, édition, journalisme de guerre sociale.