En mettant de l’avant la question du travail des stagiaires, la campagne actuelle visibilise le travail qu’effectuent les femmes. Ce faisant, la lutte pour la rémunération des stages offre la chance de pousser la réflexion féministe plus loin que ne le propose habituellement le milieu étudiant. Les principes féministes sur lesquels s’appuient la campagne actuelle en font un terrain particulièrement propice à la critique des dynamiques internes du mouvement étudiant et aux rapports de pouvoir le traversant. C’est dans une perspective d’autocritique que nous écrivons ces lignes. Nous espérons qu’elles nourriront la réflexion sur l’organisation décentralisée, thème récurrent du mouvement étudiant.

Cette campagne, extérieure aux structures traditionnelles du militantisme étudiant, a la particularité de s’organiser sans la participation et l’effort de coordination d’une association syndicale nationale. Cette forme organisationnelle permet aux nouveaux et nouvelles militant·e·s de prendre part à la lutte individuellement, sans devoir affronter la lourdeur bureaucratique de leurs associations étudiantes respectives, ce qui facilite leur intégration. Ainsi, des militant·e·s. peuvent s’impliquer au sein des CUTE et participer aux rencontres des différentes coalitions sans devoir préalablement s’assurer de détenir des mandats de leurs associations étudiantes. Or, s’organiser à l’extérieur des structures syndicales étudiantes soulève certains questionnements liés à la légitimité et au mode de décision. En effet, les associations étudiantes sont doté·e·s de codes de procédures afin de permettre que chacun·e s’exprime, mais au sein de comités plus informels, quelles bases doivent encadrer la prise de décision? Sans mécanismes décisionnels clairs, comment peut-on s’assurer que ce ne soit pas toujours les mêmes qui orientent les initiatives? Le «consensus» n’a-t-il pas tendance à ne refléter que l’opinion de celles et ceux qui parlent le plus fort? Ce mode d’organisation apporte aussi son lot de conséquences: s’impliquer au sein des CUTE n’épargne pas aux militant·e·s la tâche de mobiliser leurs associations étudiantes respectives, ni le passage obligé en assemblée générale pour obtenir un mandat de grève. Dans les cégeps, par exemple, la duplication des instances par la juxtaposition des comités de mobilisation et des CUTE peut mener à l’épuisement et à la démobilisation des militant·e·s.

Bien que la lutte autour de la rémunération des stages provoque l’engouement, celui-ci ne doit pas être confondu avec une volonté de récupération ou de détournement du travail qui a été accompli depuis plusieurs années par celles qui luttent en ce sens. Au contraire, le travail politique mené au cours des dernières années, malgré la démobilisation globale, a permis de créer un climat propice à l’organisation en dehors des structures et des méthodes traditionnelles. La lutte pour la rémunération des stages galvanise l’enthousiasme au sein des milieux militants, et procure une expérience de grève pour une nouvelle génération d’étudiant·e·s. En outre, plusieurs moyens sont à notre portée pour faire pression sur le gouvernement. Nous devons faire preuve d’ouverture d’esprit et privilégier la diversité des tactiques. Par exemple, une manifestation dans le cadre d’une semaine de grève est un moyen légitime pour faire entendre la voix des militants et militantes. À Montréal, la manifestation organisée entre autres par l’ADEESE a permis à plus de 2000 personnes de se faire entendre dans les rues, alors que dans les médias, certaines militantes ont pris la parole. Chaque moyen de pression est justifié; il est important de ne pas nuire à la solidarité syndicale et de ne pas créer des barrières entre les militant·e·s, en minant les initiatives autonomes. Dans la même veine, vouloir tisser des liens entre les étudiant·e·s d’un même milieu d’étude au Québec est compréhensible, afin de briser l’isolement qui peut facilement caractériser la lutte à l’extérieur de Montréal.  

Au Collège de Maisonneuve, les militant·e·s se sont senti·e·s délaissé·e·s dès le moment où un plan d’action a été adopté en assemblée générale. En effet, lors des réunions des différents comités liés à la coalition montréalaise, le ton et l’attitude envers les militant·e·s ont changé, nous laissant plutôt désemparé·e·s. Il est vrai que le plan d’action adopté diffère de celui proposé sur le site grevedesstages.info, puisqu’il n’inclut pas la tenue d’une grève générale illimitée à l’hiver 2019, mais ce choix n’est pas nécessairement nuisible et ne diminue pas la décision des autres associations de mettre directement de l’avant la grève générale illimitée. À ce stade, nous craignions la démobilisation qu’aurait entraîné un plan d’action battu en assemblée générale et doutions de nos capacités à organiser une campagne de grève générale illimitée dans les prochains mois. Nous avons donc opté pour la prudence. Il ne s’agissait nullement de désavouer la stratégie proposée sur différents campus, mais plutôt de l’adapter au contexte que nous connaissions, ce que permet l’organisation décentralisée.

Au final, l’assemblée générale de grève à Maisonneuve s’est soldée par un vote extrêmement serré, dont le résultat témoigne de l’effort de mobilisation qui reste à fournir sur notre campus. En revanche, la journée de grève fut une véritable réussite: nous étions 200 étudiant·e·s sur les lignes de piquetage, et face au refus de l’administration de nous laisser l’accès à nos locaux, nous en avons profité pour participer aux activités organisées par le CUTE-CVM, favorisant du même coup la solidarité inter-collégiale. Cette dernière est évidemment nécessaire en temps de grève, puisque les dynamiques de pouvoir néfastes entre universitaires et militant·e·s au collégial sont chose courante au sein du milieu étudiant. Or, dans le cadre d’une campagne féministe, ces dynamiques sont considérablement décevantes: durant la semaine de grève, par exemple, des militant·e·s de l’UQAM se sont permis de conseiller les militant·e·s membres de la SOGÉÉCOM sur leurs stratégies de mobilisation, sans avoir au préalable pris la peine de s’informer sur la situation spécifique au Collège Maisonneuve. Ces conseils, qui n’avaient pas exactement été sollicités, ont été reçus comme une forme de paternalisme de la part des militant·e·s membres de la SOGÉÉCOM.

La démobilisation est pratiquement inévitable quand les initiatives autonomes sont systématiquement découragées. En ignorant les réussites à petite échelle, c’est le travail des militant·e·s qui est invisibilisé. De surcroît, en les rendant personnellement responsables de résultats jugés insatisfaisants, on les accable d’une charge émotionnelle supplémentaire. Le traitement indigne qui a été réservé à nos militant·e·s est, en particulier au sein d’une lutte contre l’invisibilisation du travail, révoltant.

Des militantes et militants du Collège de Maisonneuve