Nous avons initialement partagé cette polémique à l’occasion de la journée de grève étudiante tenue un peu partout au canada en faveur de l’accessibilité à l’éducation et contre les frais de scolarité, journée à laquelle le Mouvement étudiant révolutionnaire (MER) et un grand nombre de camarades ont participé, après avoir contribué à l’organiser.


À propos du salariat étudiant et du rôle de l’éducation dans le capitalisme

Nous désirons, par ce texte, intervenir dans ce débat ô combien étrange et énigmatique qui revient sans cesse lorsque la perspective de l’éducation gratuite est ramenée à l’actualité et que, de stupeur, un peu tout le monde semble avide de faire des jambettes à tout ce qui serait suspecté d’avoir une once de corporatisme et de ne pas tenir une ligne suffisamment à gauche. Étonnamment, à peu près personne ne tente de comprendre le rôle que joue l’éducation dans la production capitaliste, et encore moins de le remettre en question.

C’est un peu dans cet esprit que dans les derniers mois, une vielle orientation a refait surface dans le mouvement étudiant : la proposition que les étudiantEs reçoivent un salaire pour le travail qu’ils et elles effectuent. Cette revendication prend racine avec l’adoption de la Charte de Grenoble par l’Union nationale des étudiantEs de France (UNEF) en 1946, et, depuis, revient sporadiquement sur le devant de la scène. Qu’est-ce donc que cette perspective et qu’implique-telle ?
Avant de nous lancer dans le débat, nous tenons tout de même, malgré les différends qui existent entre eux-elles et nous, à saluer le travail de camarades honnêtes qui ont mobilisé et lutté durant les dernières semaines avec la volonté d’apporter un certain progrès dans cette société pourrie. Nous sommes hautement favorables à l’ambiance générale de débat et de réflexion qui existe en ce moment. Nous espérons par contre que nous pourrons dissiper l’opacité et la confusion entourant la revendication du salariat étudiant et proposer, au contraire, la force, la clarté et la proximité de la lutte pour le socialisme.

À propos de la grève de 2015
La manière dont la grève de 2012 s’est terminée a laissé en bouche juste ce qu’il fallait d’amertume et d’espoir pour pousser une bonne partie de la gauche montréalaise et québécoise à chercher rapidement une façon de retenter l’expérience. La force des choses a fait que progressivement, vers l’automne 2014, poussé par la volonté de s’unir aux syndicats et d’avancer vers une grève sociale, le mouvement étudiant a pu en venir à être suffisamment coordonné pour commencer, du moins publiquement, l’organisation de ce qu’on appellera plus tard Printemps 2015. La campagne et la grève qui s’en ont suivies ont fait l’objet, depuis, de différents bilans tournant habituellement autour de ce qu’il y avait de positif ou de négatif dans le fait qu’elles s’étaient faites, dans une certaine mesure, en dehors de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), et d’autres platitudes similaires.
Pour nous, le grand mérite de la grève de 2015 est d’avoir été une tentative, de la part du mouvement étudiant, de se lier au prolétariat. En effet, la volonté d’organiser une grève qui ne se limiterait pas à un intérêt étudiant quelconque, mais qui au contraire chercherait à s’adresser aux conditions d’existence des masses populaires et à s’unir aux luttes ouvrières (peu importe le degré d’illusions sur le front commun syndical à venir ou la faiblesse théorique de la notion d’austérité) était le point marquant et distinctif de cet événement. Pour les camarades du Comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE), au contraire, c’est cette caractéristique constituait la faiblesse et la limite de la grève de 2015. Il s’agissait pour eux-elles d’une erreur, d’une tentative ratée de dépasser le cul-de-sac propre aux revendications historiquement posées par le mouvement étudiant.
Les organisations étudiantes nationales comme l’ASSÉ et l’ANEEQ ont, en effet, plus souvent qu’autrement cherché à mettre de l’avant une série de revendications immédiates ayant comme objectif l’axe de l’accessibilité et de la gratuité de l’éducation. Aujourd’hui, l’angle d’attaque proposé par nos camarades du CUTE est de chercher à ce que les revendications portées ne soient pas un simple réflexe mécanique ou « corporatiste », mais que, de par leur nature, elles révèlent sans équivoque la condition étudiante. Des revendications qui, de par leur capacité à être en phase avec la réalité, dévoileraient la racine et la nature de la condition étudiante, et donc du rapport social dans lequel elle s’inscrit.
Ainsi en demandant une éducation gratuite, le mouvement étudiant n’a jamais été jusqu’au bout de la réflexion nécessaire. Non seulement cette revendication ne permet pas de comprendre et d’appréhender le rapport social dans lequel s’inscrivent les étudiantEs, mais elle l’obscurcit. D’un autre côté, il est tout aussi problématique, comme l’a fait la grève de 2015, de travailler à mettre en place des perspectives amenant le mouvement étudiant à se lier aux luttes et aux intérêts du prolétariat. Cela viendrait aussi obscurcir le rapport social dans lequel se trouvent les étudiantEs. En effet, selon les camarades défendant ce point de vue, le fait de rechercher une revendication dans un groupe extérieur aux étudiants serait un abandon stratégique et empêcherait, de facto, de comprendre la condition même des étudiantEs : il est inutile, et c’est mal comprendre l’enjeu, que d’aller décrier l’exploitation des travailleur/ses, car l’exploitation se passe ici et maintenant. Ce qu’il faut faire, c’est braquer les projecteurs sur le rapport social dans lequel s’inscrivent les étudiantEs : un rapport de production, et donc un rapport d’exploitation et de spoliation.
De mettre de l’avant une revendication voulant se lier au prolétariat, c’est réactualiser qu’il existerait une barrière entre le prolétariat et les étudiantEs alors qu’elle est arbitraire, virtuelle et fictive. Le fait même de distinguer le prolétariat et les étudiantEs viendrait cacher le rapport d’exploitation que subissent ces dernierEs et le caractère similaire de ces deux groupes, qui seraient tous deux producteurs de valeur. Le premier pas dans cette grande lutte des étudiantEs exploitéEs sera donc le combat pour l’obtention du salariat étudiant.

Valeur, Travail et Production
Prenons la question de front : pourquoi les étudiantEs devraient-ils-elles recevoir un salaire ? Deux grands arguments appuient cette revendication. Premièrement, le travail des étudiantEs serait producteur de valeur et deuxièmement, leur travail serait producteur de valeur parce qu’il est non seulement nécessaire, mais profite à toute la société.
Attardons-nous au premier élément. Dans cette optique, les étudiantEs seraient un groupe parmi tant d’autres, comme le serait la classe ouvrière, ou implicitement n’importe quelLEs acteurs ou actrices fournissant un travail donné, qui aurait, dès lors, automatiquement la caractéristique d’effectuer un travail productif, c’est-à-dire, un travail producteur de valeur, de plus-value. Dans cette conception selon laquelle les étudiantEs produisent de la valeur, l’exploitation qu’ils et elles subiraient serait incroyable, voire même la pire. Elle serait une spoliation complète de toute la valeur produite parce qu’il n’y a pas la moindre compensation pour le travail effectué. Ils-elles ne gardent ni ne reçoivent (i.e. le salaire) même pas ce qui est nécessaire à la reproduction de leur force de travail. Et le comble, c’est qu’ils-elles sont eux-elles-mêmes obligéEs de payer pour aller aux études, obligéEs de payer pour aller se faire spolier. En bref, les étudiantEs seraient les membres les plus exploitéEs de la société. Essayons d’aller au fond des choses et voir ce qu’il en est réellement.
Les références au marxisme sautent aux yeux et, à ce point-ci, n’importe quelLEs lecteurs et lectrices seraient en droit de se demander : mais quel cadre d’analyse nos camarades sont-ils-elles ici en train d’utiliser ? Cette question se pose, car l’ABC des définitions et du sens de la terminologie semble avoir été abandonné pour ne garder que la partie extérieure et esthétique. Rappelons qu’une des premières tâches historiques du marxisme a été de démêler toutes les absurdités que la bourgeoisie avait produites sur l’économie politique et la façon dont les êtres humains produisent. Cette tâche était de permettre à la grande majorité de la population mondiale de pouvoir faire le premier pas sur le chemin de la révolution en appréhendant scientifiquement leur condition d’exploitéEs et leur soumission au capital.
En fait, dans la conception avancée par le CUTE, tout est mélangé. Les raccourcis, en plus des abus de langage, sont nombreux. L’ambiguïté existe à savoir si les auteurEs des textes ont involontairement fait des erreurs ou s’ils-elles se sont simplement amusé à détruire des notions qui ont coûté tant de luttes et de souffrances au prolétariat. Ce qui permettait de comprendre l’exploitation capitaliste ne permet non seulement plus de la comprendre, mais est littéralement volé à la classe ouvrière par le ou la premierE étudiantE venuE se déclarant exploitéE et producteur ou productrice de valeur.
Travail, production, valeur, usage, échange, marchandise, procès, valorisation, capital, force de travail, etc. : ce n’est pas un buffet dans lequel on peut prendre ce que l’on veut et laisser de côté ce qui ne nous intéresse pas. C’est un tout complet et complexe dans lequel il n’est pas possible de parler d’exploitation capitaliste sans expliquer ce qu’est l’exploitation et ce qui est spolié, sans expliquer ce qu’est exactement la valeur, sans parler de travail, des rapports de production, des lois économiques qui les sous-tendent, etc. Cela demande donc une certaine rigueur dans les définitions que l’on met de l’avant.
Il n’est pas vrai, dans le capitalisme, que tout travail est productif. Il est important de distinguer le travail productif du travail improductif. Et ici il ne s’agit de pas jugement ou de connotation morale. Il faut éviter, quoi qu’il arrive, d’assimiler, dans cette conception, productif à utile, ou inversement, improductif à inutile. Un travail productif peut fort bien être inutile, ou nuisible, du point de vue de la société (l’ouvrierE qui fabrique des gadgets, des cigarettes… ou des armes pour la bourgeoisie). De même, un travail improductif peut être très utile (unE infirmierE à domicile, unE cuisinierE, une factrice, etc.). Il s’agit de « productif » non seulement au sens de la façon dont la bourgeoisie conçoit le travail, mais encore et surtout, au sens objectif de la façon dont fonctionne le mode de production capitaliste et des mécanismes sous-jacents à ses rapports de production. Pour saisir ce problème, il faut clarifier certaines choses.
Il est important de comprendre que le capitalisme entretient la confusion autour de ce qu’est la valeur. Pour sortir de cette confusion, il faut se donner une définition scientifique de la valeur et il faut différencier la valeur d’usage de la valeur d’échange. Lorsqu’il est question, dans le capitalisme, de production de valeur, cela réfère non pas à la valeur d’usage (i.e. l’utilité ou l’usage qu’on peut faire d’une marchandise), mais bien à sa valeur d’échange (i.e. la quantité de travail socialement nécessaire pour la production d’une marchandise). La valeur d’échange, c’est ce qui permet d’évaluer le ratio dans lequel s’échangera des marchandises ayant des qualités différentes.
Nous disons donc que c’est ici un abus de langage, car s’il faut déjà distinguer la valeur d’usage et la valeur d’échange, il faut aussi distinguer la production capitaliste des autres modes de production. On ne peut pas se contenter de poser la notion de production dans l’absolu et de façon intemporelle sous peine de tomber dans des banalités triviales et vides de sens. Cela donnerait cette affirmation, à peu de chose près : « Une personne travaille. Il en ressort un produit avec une valeur quelconque. » Encore faut-il répondre à la question qui suit : Quels sont les rapports de production dans lesquels s’inscrit ce travail? À ce sujet la citation qui suit et toutes les prochaines sont de Marx.

“Il faut toute l’étroitesse d’esprit du bourgeois, qui tient la forme capitaliste pour la forme absolue de la production, et donc pour sa forme naturelle, pour confondre ce qui est travail productif et ouvrier productif du point de vue du capital avec ce qui est travail productif en général, de sorte qu’il se satisfait de cette tautologie : est productif tout travail qui produit en général, c’est-à-dire qui aboutit à un produit ou valeur d’usage quelconque, voire à un résultat quel qu’il soit.
*   Du simple point de vue du procès de travail en général, est productif le travail qui se réalise en un produit ou, mieux, une marchandise. NDLR (la valeur d’usage) Du point de vue de la production capitaliste, il faut ajouter : est productif le travail qui valorise directement le capital ou produit de la plus-value. NDLR (la valeur d’échange)”*

Ainsi il est important de se rappeler que nous vivons sous le capitalisme et qu’il ne faut pas confondre la production comme elle est aujourd’hui avec d’autres époques et d’autres modes de production, ou encore avec ce que la production pourrait être dans une société communiste. À une autre époque, l’affirmation « est productif tout travail qui produit une valeur d’usage, un objet ou un bien avec une utilité donnée » aurait pu être vraie. Elle pourrait l’être sous le communisme alors que la loi de la valeur serait brisée. Sous le capitalisme, il en est autrement. Pour être productif, un travail doit augmenter la valeur d’échange d’une marchandise. Que ce qui est produit soit utile ou non n’a que peu d’importance. Ce n’est pas un jugement moral ou individuel ; c’est une loi économique. Pour être encore plus clairEs : s’il n’y a pas l’expectation d’obtenir de plus-value, il n’y a pas de production. Quand le taux de profit tombe ou diminue, quand il y a des crises économiques, la production s’arrête et c’est le prolétariat qui paie. Regardons de plus près la différence entre travail productif et travail improductif.

“Comme le but immédiat et le produit spécifique de la production capitaliste sont la plus-value, seul est productif le travail ou le prestataire de force de travail, qui produit directement de la plus-value. Le seul travail qui soit productif, c’est donc celui qui est consommé directement dans le procès de production en vue de valoriser le capital.
*   La première condition peut se passer de la seconde : un travailleur peut être salarié, sans qu’il remplisse la seconde condition : tout travailleur productif est salarié, mais il ne s’ensuit pas que tout salarié soit un travailleur productif.”*

Il est donc possible de faire un travail salarié sans nécessairement produire de valeur, sans être un travail productif. Et encore, pour déjouer la confusion :

“Toutes les fois que le travail est acheté pour être employé comme valeur d’usage, à titre de service – et non pas comme facteur vivant, échangé contre le capital variable, en vue d’être incorporé au procès de production capitaliste – il n’est pas productif, et le salarié qui l’exécute n’est pas un travailleur productif. Dans ce cas, en effet, le travail est consommé pour sa valeur d’usage, et ne pose donc pas de valeurs d’échange. N’étant pas consommé de manière productive, c’est du travail improductif.
*   Avec le développement de la production capitaliste, tous les services se transforment en travail salarié et tous ceux qui les exercent en travailleurs salariés, si bien qu’ils acquièrent ce caractère en commun avec les travailleurs productifs. C’est ce qui incite certains à confondre ces deux catégories, d’autant que le salaire est un phénomène et une création caractérisant la production capitaliste. En outre, cela fournit l’occasion aux apologistes du capital de transformer le travailleur productif, sous prétexte qu’il est salarié, en un travailleur qui échange simplement ses services (c’est-à-dire son travail comme valeur d’usage) contre de l’argent. C’est passer un peu commodément sur ce qui caractérise de manière fondamentale le travailleur productif et la production capitaliste : la production de plus-value et le procès d’auto-valorisation du capital qui s’incorpore le travail vivant comme simple agent. NDLR (de cacher à travers cette confusion la réalité sanglante de l’exploitation capitaliste.)“*

Tout travail salarié ne produit donc pas nécessairement de valeur. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que même une partie du prolétariat ne produit pas de la valeur au sens strict du capitalisme. Par contre, s’il est possible de faire un travail salarié improductif, cela n’exclut en rien la possibilité de recevoir un salaire de crève faim ou d’avoir des conditions d’existence et de travail horribles. Au début du capitalisme, un grand niveau de confusion a existé pour différentes raisons historiques, de par la persistance d’anciens rapports de production, et donc de vestiges d’anciennes façons de travailler et de produire. Par contre, progressivement, le capitalisme a soumis ces vestiges pour imposer ses propres rapports de production. Les rapports de production capitalistes ont donc fini par tout façonner selon leur logique et ont tout libéralisé pour permettre à l’accumulation de capital de s’effectuer avec toute la marge de manœuvre qui lui est nécessaire. Aujourd’hui, une partie de la confusion provient de la reconfiguration de la production dans les pays impérialistes et de l’accroissement du travail de service. Soulignons que la distinction ne s’effectue pas automatiquement entre « travailleurEUSE de service » et « travail improductif ». La bourgeoisie aimerait bien nous faire croire qu’il n’y a plus de classe ouvrière et que l’exploitation a disparu du Canada. Une partie du travail que nous concevons spontanément comme un travail de service peut être compris comme un travail productif sous certaines conditions.

“Certaines activités communément classées comme « services » sont en réalité une production de marchandises immatérielles, et à ce titre, doivent être analysées de la même manière que les marchandises matérielles. Ainsi, le salarié qui prodigue des soins ou des leçons de plongée sous-marine pour le compte d’un employeur privé est aussi productif que celui qui fabrique des automobiles : leur travail crée de la valeur, s’incarne dans des marchandises et fait fructifier un capital. Inversement, le décorateur d’intérieur ou le plombier qui installe une chaudière pour le compte d’un riche châtelain créent par leur travail des biens matériels. Mais ceux-ci n’étant pas destinés à être vendus par celui qui les acquiert, le travail qui a servi à les fabriquer n’est pas, économiquement parlant, une production de marchandises, mais un service.”

De plus, il existe des mécanismes dans le capitalisme pour permettre par exemple à une partie de la bourgeoisie n’ayant pas les pieds dans la production de s’approprier une partie du profit et de la plus-value. Par exemple le capital commercial obtient, en concession, une partie de la plus-value spoliée dans la sphère de la production en aidant le capital industriel à écouler plus rapidement ses marchandises.
Il est difficile, à ce point-ci, de soutenir encore que le travail étudiant produit de la valeur. Il est indiscutable qu’il y a réellement de l’énergie, du temps, voire du travail dans les études, mais cela n’aboutit pas à de la production de valeur au sens strict de la production capitaliste. Cela aboutit simplement à une valeur d’usage donnée : un compte-rendu de lecture, par exemple. Il faut faire tomber l’idée qu’il est nécessaire pour les étudiantEs d’obtenir un salaire parce qu’ils sont producteurs et productrices de valeur, qu’au minimum, il devrait leur revenir, sous forme du salaire, une partie de la valeur qu’ils et elles produisent. En effet, c’est un peu inévitable, lorsqu’on produit de la valeur, de lutter pour rapatrier totalement ou en partie (la plus grande possible) la valeur spoliée du côté des travailleurEs (i.e. lutte syndicale, augmentation de salaire, etc.). Dans ce cas-ci, il n’y pas de valeur à rapatrier pour les étudiantEs, car ils n’en produisent tout simplement pas.
Alors si le travail des étudiantEs ne produit pas de valeur, pourquoi demander un salaire étudiant? Il reste l’option du service que rend à la population le travail étudiant. Il est en effet possible de faire un travail gratuitement, sans être payéE, alors qu’on devrait l’être. Avec cette considération, ne devrions-nous pas payer les étudiantEs? Les comptes rendus de lecture sont-ils devenus si bons ? Posons-nous d’abord la question suivante : quel est donc ce travail que font les étudiantEs, et qui sert-il ? Et avant de répondre à cette question, prenons un léger détour et regardons dans quel cadre s’inscrit ce travail : l’école capitaliste.

Le rôle de l’éducation dans le capitalisme

Les différentes particularités ayant caractérisé l’école du début du capitalisme à aujourd’hui ont varié selon la période dans laquelle on se trouvait (accumulation primitive, consolidation, crise, expansion, crise de longue durée) et selon les tâches qui étaient primordiales pour la bourgeoisie à différents moments. Au début du capitalisme et au commencement de l’État-nation, il y avait la nécessité d’homogénéiser des vastes territoires et d’avoir une série d’outils, dont l’école, pour effectuer cette uniformisation. Au niveau du développement de la bourgeoisie nationale, il y avait la nécessité, pour la consolidation du capital industriel, d’avoir une main-d’œuvre formée et qualifiée et d’avoir un réseau fonctionnel pour assurer cette formation, etc. Nous reviendrons plus loin sur des débuts de thèses sur le rôle que l’école et le système d’éducation assurent aujourd’hui à l’époque de l’impérialisme et de la crise systémique du mode de production capitaliste. Il en reste que ce qu’il y a de commun à tous ces moments, c’est la fonction de participer à la reproduction de la société capitaliste, et donc de la production capitaliste.
En effet, pour se développer, le capitalisme, en tant que mode de production, doit arriver à se reproduire dans le temps. Qu’est-ce que ce ça veut dire ? Qu’est-ce donc qui est reproduit ? Rien de moins que les conditions immédiates de la production. C’est à dire la reproduction des forces productives (moyens de production, force de travail) de la société, mais aussi des rapports de production existants. De plus, il faut reproduire la production comme elle l’est aujourd’hui, minimalement, et s’assurer qu’il y aura encore des travailleurEs, des machines, des entrepôts, etc. Mais encore, il faut s’assurer que la reproduction de la production capitaliste se fasse en conséquence de l’expansion et de l’élargissement de cette production, par exemple, reproduire la société capitaliste dans l’optique du développement possible dans 6 mois, 1 an, 10 ans. Alors quel rôle et quelle fonction le système d’éducation prendra-t-il en charge dans cette reproduction du capitalisme ?
Est reproduit, par le système d’éducation capitaliste, une partie des forces productives nécessaires pour faire fonctionner le capitalisme. L’éducation capitaliste tient compte de la nécessité d’avoir reproduit la main-d’œuvre pour tous les niveaux de travail et de qualification requis, et donc de l’avoir outillée pour être fonctionnelle (apprentissage de la lecture, arithmétique, géographie élémentaires, etc.) et de l’avoir qualifiée (formation professionnelle, formation de métiers, etc.) selon toutes les nécessités dans la production ; de la nécessité que le niveau de progression de la recherche concernant les sciences et les techniques soit reproduit et progresse ; mais encore, du développement des personnes réelles, des intellectuelLEs, par exemple, ayant la capacité de manier et de jongler avec l’idéologie, les concepts et la vision de la bourgeoisie pour la pérenniser, la développer et la propager.
Mais sont aussi reproduits, par le système d’éducation, les rapports de production comme ils existent matériellement dans la société. Et c’est probablement le plus grand rôle que joue l’éducation dans le capitalisme. Il faut faire accepter, à tous et à toutes, la dure réalité qu’est le capitalisme et ses rapports d’exploitation. Il faut marteler et faire accepter, à tous et à toutes, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, que non seulement l’exploitation se justifie, mais encore, qu’elle n’existe, pour ainsi dire, pas.
Il faut concevoir l’école avec cette nécessité pour la bourgeoisie et saisir que de par ses caractéristiques, de par le fait que tout le monde, sans exception, y participe, de par la durée, de par son importance comme premier contact formel avec la société, elle occupe une place de choix comme outil pour façonner et permettre la reproduction des rapports de production existants. Présenter ces rapport de production comme la chose la plus normale au monde, présenter la société capitaliste comme la fin et le début de l’histoire, prétendre que tout est parfait, que rien est à changer, et ce pour l’éternité : voilà ce que fait l’école capitaliste.
L’école se présente comme quelque chose d’unique alors qu’on sait bien qu’elle est structurée autour d’une loi à l’exclusion confinant les élèves des différentes classes sociales dans des systèmes bien distincts. Il faut s’assurer qu’en fin de compte, le prolétariat reste bien sagement où il est, et bien loin de sa conscience de classe révolutionnaire. Et ce long processus de filtration est, à chaque étape et à chaque niveau supérieur, de plus en plus intense. À travers ce passage, ce sont des milliers d’êtres humains qui resteront traumatisés par leur parcours, convaincus qu’ils et elles sont les seulEs responsables de leurs échecs et de leurs conditions d’existence difficiles.
L’école est un outil qui reproduit les classes sociales. C’est une institution érigée sur des divisions sociales et elle est bâtie pour les entériner. Cette division se fait, entre autres, à travers l’enseignement et les formes d’apprentissage qui sont façonnées en fonction des capacités des élèves d’origine bourgeoise. On peut penser à l’apprentissage de la lecture : les élèves d’origine bourgeoise développent généralement des aptitudes à la lecture plus rapidement et plus solidement que les élèves d’origine ouvrière. Pour éluder ces faits, les idéologues de la classe dominante fabriquent toutes sortes d’explications frauduleuses que nous combattons : il y aurait des gens « plus talentueux », d’autres qui mettraient « plus d’énergie », il y aurait des « intellectuelLEs et des manuelLEs ». On nous sert des répliques telles que « nous ne sommes pas touTEs faitEs pour le même destin », « certainEs ont plus d’ambition que d’autres », « certainEs ont simplement plus de talent », « il faut récompenser les efforts », etc. De plus, le problème n’est pas le fait que l’école ne remplit pas « son rôle » ; elle le remplit très bien, au contraire. Affirmer tout cela n’est en rien une exagération : c’est un fait qui révèle l’opacité des rapports sociaux de cette société que nous travaillons à abattre, notamment en nous attaquant directement à ses institutions bourgeoises qui ne sont jamais neutres, qui transmettent et reproduisent les codes, les valeurs de l’idéologie de la classe dominante.
Nous concevons l’école comme un appareil idéologique d’État. C’est à dire un appareil de l’État bourgeois qui produit, carbure et inculque l’idéologie bourgeoise pour consolider le pouvoir de la classe dominante ; qui instaure, bien solidement, toutes ses idées et les utilises pour se maintenir en place et ainsi s’assurer de son hégémonie. L’école est un appareil idéologique d’État comme le sont la famille, l’Église, la culture, l’information, le droit, etc. Il ne faut pas se laisser tromper par l’illusion que ces outils seraient indépendants ou échapperaient à la mainmise de la bourgeoisie. Au contraire, c’est le fait que leurs relations aux classes sociales sont en partie ”cachées” qui rend la chose compliquée à saisir. Dans tout ce lot, le système d’éducation est probablement l’appareil idéologique le plus important pour le capitalisme. C’est en effet le meilleur outil de par sa capacité à pouvoir pénétrer l’esprit de tous et toutes et à faire accepter les rapports de production capitalistes.
L’idéologie, c’est un peu une représentation erronée ou faussée des rapports dans lesquels nous vivons, des différentes façons de se retrouver confrontéE aux autres dans la société. L’Idéologie bourgeoise cache et déforme ce que sont réellement les rapports entre les humains dans le capitalisme : des rapports de classes, des rapports d’exploitation. Les idées de la bourgeoisie sont vastes et multiples. Il y en a qui lui sont passagères et il y en a qui lui sont plus centrales. La vision que tout être humain est pleinement et sans équivoque enclin au libre-arbitre et que tous les choix sont le fait d’individus libres et en pleine possession de leurs moyens est bien au cœur de ces mensonges. Que tout le monde soit des libres contracteurEs est bien utile pour exploiter la force de travail. Le chauvinisme et le racisme sont aussi des idées bien utiles à la bourgeoisie en moment de crise, tout comme l’idée qu’il y aurait un intérêt commun entre le prolétariat et la bourgeoisie, l’idée que tout est pour le mieux, l’idée que le système de justice n’est pas un appareil de répression, l’idée que dans les prisons, ce sont des criminelLEs, l’idée que les classes sociales ont disparu, etc.
Il y a aussi les dérives omniprésentes dans toutes les sciences bourgeoises que l’école entretient : l’existence des sciences pour elles-mêmes, coupées de la division sociale du travail et du procès de production. « Faisons de la science pour faire de la science, car cela est nécessaire » ou encore, l’idée que se fait unE chercheurE sur son travail : d’une façon ou d’une autre, il profitera à inévitablement au « bien commun ». On s’imagine qu’il est nécessaire de déloger telle ou telle communauté pour pouvoir y installer un nouvel engin fabulatoire utile à la science. Dans l’ensemble, c’est un peu le ramassis de tous ces points de vue qui est sous-jacent à la perspective du salariat étudiant. L’école et l’éducation sont perçues comme un outil neutre et unique comme le seraient les étudiants en leur sein.
Sous ce point de vue se cache principalement l’illusion que les étudiantEs contribueraient, sans restriction ou considération, au bien de tous et de toutes. Où et comment se situe cette contribution ? Est-ce lorsqu’ils et elles sont en formation ou lorsqu’ils et elles seront au travail en train d’appliquer cette formation ? Est-ce quand les étudiantEs lisent des livres ? Lorsqu’ils et elles prennent des notes ? Lorsqu’ils et elles synthétisent leurs apprentissages ? Et est-ce sur tous les sujets ? Que faire lorsque la matière enseignée est réactionnaire ? Et s’il s’agit du travail appliqué, est-ce tous les travails ? Parlons-nous des policiers, des juges, des cadres d’entreprises, des sociologues bourgeois ? Parlons-nous des infirmières, des menuisiers, des arpenteurs ? De qui parle-t-on, exactement?
Mais aussi, vers quoi s’en va cette contribution ? À quoi participe-telle ? S’agirait-il d’une société parallèle existant en dehors du capitalisme ? Est-ce que le monopole de la connaissance et de l’expertise dans les mains de la bourgeoisie a disparu ? Est-ce que la division sociale du travail a disparu ? Est-ce que la division entre les dirigeants et les dirigéEs, l’exclusion et le confinement du prolétariat à des tâches d’exécution, ont disparu ? Est-ce que la faim et la misère ont disparu ? Est-ce que les programmes de recherche pour l’armement des puissances impérialistes ont disparu ? Est-ce que les programmes de recherche pour aider les juntes militaires réactionnaires à la contre-insurrection ont disparu ? Oui ou non ? Posons-nous l’accumulation de connaissances des étudiantEs de façon intemporelle, ou les situons-nous dans la société capitaliste dans laquelle nous vivons ?
Et où et comment le prolétariat en profite-il ? Est-ce lorsque les étudiantEs s’empiffrent de lectures libérales ? Est-ce lorsque les historienNEs crachent sur l’expérience des luttes ouvrières et démonisent toutes révolutions ? Est-ce lorsque les travailleurEs sociaux/sociales jouent à la police avec les éléments mal pris du prolétariat ? Est-ce lorsque que les psychologues et les psychiatres diagnostiquent des maladies mentales à touTEs les travailleurEs qui ont le malheur d’en avoir assez et de ne pas avoir les mots pour le dire ? Est-ce lorsque les ingénieurEs contribuent à des nouveaux procédés pour soutirer plus de valeur aux travailleurEs ? Est-ce comme lorsque les colons et les impérialistes sont venu « aider » les peuples du tiers-monde ? Ou est-ce à travers la péréquation ? Est-ce vraiment toute la population qui en profite ou est-ce la bourgeoisie qui en profite ? Poser la question, c’est un peu y répondre.
Non nous ne croyons pas une seule seconde que le prolétariat en profite. L’éducation ne bénéficie pas à l’ensemble de la société et encore moins au prolétariat. Au contraire, dans une bonne partie, ce qui en sortira sera utilisé contre lui. L’éducation, c’est l’un des nombreux outils d’une classe puissante à liquider et d’un monde odieux à transformer. C’est l’outil d’une classe pour se reproduire, pour former les siens et mater le reste. C’est l’outil pour former, selon les besoins de la production capitaliste, la grande majorité qui reste et de l’avoir humiliée suffisamment pour qu’elle porte les stigmates du capital bien sagement le reste de sa vie.

À propos des stages
Est-ce à dire que nous sommes contre la rémunération des stages non-payés ? Pas le moins du monde. Le principal niveau de tension sur cette revendication est qu’elle est essentiellement utilisée comme hameçon vers la perspective erronée du salariat étudiant. Déjà, il faudra nous expliquer pourquoi les stages, qui sont littéralement du travail, devraient être compris comme étant encore dans la sphère de l’éducation. Cette idée, elle provient de la bourgeoisie. Il faut rompre avec elle et non pas la renforcer.
Il n’y a aucun lien entre la revendication pour la rémunération des stages non-payés et le salariat étudiant. Les stages, qu’ils soient productifs ou improductifs en terme de création de plus-value, sont un travail et devraient être salariés. Ensuite, il est tout à fait légitime et juste de lutter pour l’obtention de stages payés, mais faut-il encore que ce soit un travail socialement utile qui serve réellement le peuple. Non, nous ne nous battrons pas pour que les procureurEs de la couronne ou les policierEs soient payéEs ou payéEs plus cher lors de leurs stages. En effet, en plus d’être un hameçon, le salariat étudiant peux tendre à tout homogénéiser et à de ne pas différencier des travails socialement utiles des travails de répression.
L’un des points forts de l’analyse des camarades du CUTE est la question posée quant au fait qu’une grande partie des stages socialement perçus comme étant plus féminins sont disproportionnément gratuits/non-payés, et ce, comparativement à ceux des milieux plus masculins (droit, médecine, ingénierie, etc).

À propos du travail des femmes
De la même manière, la question du travail gratuit des femmes est aussi instrumentalisée. Il faudrait être pour le salariat étudiant, autrement cela équivaudrait, d’après une logique un peu tordue, à ne pas reconnaître l’oppression des femmes dans la société. En effet ne pas reconnaître le travail étudiant correspondrait, implicitement, à ne pas reconnaître le travail invisible des femmes. C’est un peu fort, non ?
Il est plutôt déplorable d’utiliser le travail de reproduction des femmes pour dire que pareillement à elles, les étudiantEs font un travail qui n’est pas valorisé. De plus, ici aussi, on joue sur une certaine ambiguïté : le terme « valorisé », dépendamment du sens qu’on lui donne, peut référer à un moment précis dans le procès de production capitaliste (réalisation de la plus-value) ou être compris comme un type de travail recevant moins de reconnaissance que d’autres. Accorder de l’importance à un travail, le trouver utile ou intéressant, ce n’est pas la même chose que sa « valorisation » dans la société. Le capitalisme accorde très peu d’importance au travail ne produisant pas de plus-value. On utilise cette terminologie avec imprécision pour renforcer l’idée que les étudiantEs produiraient de la valeur. Utiliser d’autres revendications pour mettre de l’avant ses positions, c’est un peu de la mauvaise foi.
La lutte contre l’oppression des femmes est nécessaire et légitime ; cela est indiscutable. Les différentes revendications de cette lutte peuvent figurer dans la proposition de recevoir un salaire pour les services effectués (tâches domestiques, soins aux enfants, etc.) ou encore, dans la proposition de chercher l’intégration complète des femmes à la production et d’exiger la prise en charge collective du travail de reproduction, et ce, afin de casser la double journée de travail des travailleuses. En ce sens nous sommes, sans retenue, pour la mise en place de CPE, de garderies gratuites et de la socialisation complète du travail quotidien de reproduction, mais il faudra vraiment nous expliquer où se situe le lien entre ces dispositions et le salariat étudiant.

À propos de la recherche
Les diverses dynamiques et les différentes contraintes dans lesquelles se fait la recherche universitaire en ce moment sont aussi amenées pour justifier l’introduction du salariat étudiant. À ce sujet, il faut prendre un temps pour aborder certaines idées. Ce sont des thèses préliminaires qui devront être débattues. Nous avons dit plus haut que certaines fonctions spécifiques de l’éducation pouvaient varier selon la période dans laquelle se trouve le capitalisme. Aujourd’hui, à l’époque de l’impérialisme en proie à une crise de longue durée, quelle est donc cette fonction ?
Nous avançons qu’il faut considérer que, de par la baisse tendancielle du taux de profit dans les pays impérialistes, de par la difficulté à valoriser le capital de façon satisfaisante, de par la concurrence entre pays impérialistes, et de par la lutte pour le repartage du monde, il y aura des conséquences dans les fonctions qu’assure l’éducation dans le capitalisme. Entre autres, la recherche universitaire sera utilisée comme un organe monopoliste pour l’organisation de la recherche afin de mieux concurrencer les autres pays impérialistes. Cette tâche correspond à la nécessité pour la bourgeoisie nationale de prendre en charge, pour lutter entre autres contre la baisse tendancielle du taux de profit, et pour ne pas perdre face à la concurrence des bourgeoisies étrangères, l’organisation et la division d’une partie du travail sur son territoire, soit l’organisation de la recherche et du développement scientifique et technique.
Autrement dit, il y aura une direction et des objectifs beaucoup plus serrés et précis, avec une organisation différente, de la recherche universitaire dans les études supérieures. Contrairement à une période d’expansion, alors que la corde peut être beaucoup plus lousse et permettre aux chercheurEs d’aller un peu dans tous les sens, la recherche sous le capitalisme en crise doit venir donner un coup de pouce important à la bourgeoisie nationale pour aider et améliorer sa production et pour lutter à rehausser le taux de profit et la valorisation du capital. Que ce soit par exemple les ingénieurEs à la maîtrise qui effectueront un travail à rabais, ou que ce soit la filtration des projets acceptés selon les différentes nécessités de telle ou telle entreprise, tout cela provient des impératifs de la situation mondiale.
Un des résultats amusants du choc de la période actuelle avec les idées découlant de la période précédente, c’est qu’il reste énormément d’idéalisme de la part même de la bourgeoisie à propos de la recherche fondamentale. Une partie de la classe dominante est, aujourd’hui, complètement traumatisée par l’idée qu’elle doit se conformer à des demandes spécifiques, et elle s’en insurge, au nom d’une pléthore de principes abstraits. Il existe toute une série d’ouvrages, tous plus endormants les uns que les autres, sur ce qui est appelé l’économie du savoir, ou encore la marchandisation de l’éducation, c’est-à-dire l’abandon d’une certaine flexibilité dans la recherche pour une direction plus ferme de la bourgeoisie, de par l’importance conjoncturelle que prend cet outil qu’est l’éducation.
Le CUTE critique lui aussi cette analyse, bien répandue dans le mouvement étudiant, qui oriente ses positions contre cette économie du savoir. L’argument amené par les camarades, c’est que c’est mal comprendre la situation. La recherche a toujours aidé la production, comme tout travail étudiant. Nous avons déjà exprimé notre opinion à ce sujet. Ici, l’effet recherché est de démontrer que si la recherche aide la production, du même coup, l’on devrait la concevoir comme étant partie intégrante de la production, et, cerise sur le gâteau, relier cela au reste du travail étudiant et d’en faire de facto un travail productif. C’est un peu large, encore une fois, non ?
Ce qui ressort de l’ensemble de ces considérations, c’est le caractère de l’éducation comme outil de la bourgeoisie et son importance spécifiques pour le capitalisme monopoliste dans une crise systémique de la production capitaliste. Mais cela se traduit, du même coup, dans une certaine vision erronée qui conçoit la recherche comme étant exploitée, comme l’est la classe ouvrière, simplement parce qu’elle doit rendre des comptes directs au capital. La chose est à réfléchir, mais cela représente une certaine impossibilité pour la bourgeoisie de se concevoir et de s’unir en tant que classe sur ce sujet. En effet, il s’agit d’un outil monopoliste nécessaire pour lutter contre les nécessités venant de la baisse tendancielle du taux de profits et des concurrences impérialistes, mais ces nécessités ne sont en rien comprises individuellement par certains de ses éléments. C’est aussi le fait de la disproportion d’individus en provenance de la petite-bourgeoisie dans les cycles d’études supérieures qui ont le propre de la conscience petite-bourgeoise, c’est-à-dire l’impossibilité d’atteindre une conscience de classe pour soi, de toujours craindre un possible déclassement, de se confiner dans les remarques empiriques et de ne pas arriver à se greffer organiquement aux intérêts de la grande bourgeoisie.
La crise systémique du capitalisme, dans la période actuelle, s’exprime aussi dans les idées qui sont dominantes dans la société. Dans la période d’expansion qui a précédé, c’était les idées reliées à la modernité qui s’imposaient, c’est-à-dire les idées d’une bourgeoisie vivant dans l’expansion du capitalisme. Aujourd’hui, dans une période de crise de longue durée, c’est l’éclatement des anciennes valeurs bourgeoises et c’est l’abandon des illusions sur le développement illimité du capitalisme. Ce que nous retrouvons un peu partout, ce sont les idées d’une bourgeoisie en décadence et d’un capitalisme pourrissant. Aujourd’hui, c’est le post-modernisme qui est le héraut de cette situation et qui incarne la nouvelle vision de la bourgeoisie en période de crise.
C’est le début d’une certaine crise politique de la société bourgeoise. C’est la perte des objectifs et des repères. C’est l’idée omniprésente que tout est mauvais et que tout sera toujours mauvais. C’est l’abandon de toute possibilité réelle d’une transformation politique. C’est la montée du cynisme et du nihilisme. Chez les forces révolutionnaires, cela se traduit, en partie, par l’idéalisme entourant le refus ou l’incapacité de concevoir le prolétariat comme le sujet révolutionnaire, le vecteur d’un changement social. La position cherchant à concevoir les étudiantEs comme des exploitéEs n’est qu’une version particulière de ces nombreuses tentatives de trouver nouveau sujet apte à transformer la réalité dans laquelle nous vivons. Que les étudiantEs soient producteurs et productrices de valeur et exploitéEs, c’est une proposition qui semble provenir d’une époque caractérisée par un haut niveau de confusion ; c’est une proposition qui est un peu trop perméable à la toxicité de l’idéologie bourgeoisie.

Pour une éducation prolétarienne au service du peuple
Ainsi, l’on voulait démontrer le rapport social dans lequel s’inscrivent les étudiantEs. Encore faut-il avoir analysé scientifiquement le capitalisme et les rapports de production qui le sous-tendent. Il est un peu maladroit de dire que les étudiantEs subissent un rapport d’exploitation alors que l’École et ce qu’ils et elles font en son sein sont des outils de reproduction de l’exploitation de la majorité de la population. Il est un peu poussé de demander à être payéE pour bien se positionner dans le capitalisme. Le travail étudiant ne produit pas de valeur et il est loin d’être, dans son ensemble, profitable pour le prolétariat. Une bonne partie de l’abus de langage sur la notion de valeur est, entre autres, liée à une vision simpliste de l’éducation.
Nous sommes pour que les stages effectués gratuitement soient payés lorsque le travail qui y est fait est socialement utile. Nous sommes aussi pour que le travail gratuit des femmes reçoive une compensation et que le travail de reproduction soit pris en charge collectivement. Mais derrière tous ces paravents, nous avons l’impression que les camarades du CUTE ont honte de leur propre revendication et sentent l’arrogance inhérente à celle-ci. C’est un peu comme s’ils et elles se cachaient derrière ces différentes revendications connexes pour les détourner et les utiliser.
Il ne s’agit pas de bien se positionner par rapport aux rêves que l’on tient à moitié cachés de liquider telle ou telle organisation nationale, et d’atteindre ces objectifs en mettant de l’avant une campagne bidon. Il s’agit de la douleur et de la colère réelle de millions d’êtres humains. Nous n’avons que faire des débats stériles et des enfantillages sur une lutte à finir avec l’ASSÉ. Ce qui nous intéresse, c’est la possibilité d’un mouvement s’organisant autrement et qui amènerait des perspectives nouvelles.
Nous ne pensons pas que tout est mauvais dans la proposition de ces camarades. Au contraire, ce qui y est sous-jacent, c’est la conviction de vouloir servir le peuple en accumulant des connaissances et de vouloir participer du mieux qu’on peut à la société. Nous avons argumenté pour démontrer que les étudiantEs et leurs efforts, dans les conditions actuelles, servent principalement la bourgeoisie. Est-ce à dire qu’il en sera toujours ainsi ? Non, pas du tout. Faut-il attendre patiemment la révolution ? Encore moins ! Peu importe les illusions que peuvent avoir actuellement les étudiantEs sur leur rôle dans le capitalisme, nous pensons que si le facteur subjectif y est, si la volonté de transformation y est, alors l’esprit fondamental qui sous-tend l’idée du salariat étudiant, soit de pouvoir contribuer à la société, est une chose non seulement possible, mais nécessaire.
Il n’existe pas de contradiction fondamentale entre accumuler des connaissances et faire la révolution. Il est tout à fait souhaitable, pour unE révolutionnaire, d’accumuler des connaissances, non pas d’après l’horizon borné de son parcours individuel, tant en terme de qualification que de plaisir et de curiosité personnelle, mais bien pour les mettre au profit du peuple. Il faut mettre de l’avant un nouveau modèle d’étudiantE : les étudiantEs communistes. Pour cela, il faut commencer par être clairEs sur nos objectifs et sur nos perspectives. Il faudra une transformation subjective incroyable. Soyons au moins limpides sur ce qu’est l’éducation aujourd’hui : un mécanisme de reproduction du capitalisme. Un outil dans les mains de la bourgeoisie. Soyons clairEs sur notre rôle et notre participation au sein de l’éducation, afin de ne pas n’être qu’un rouage dans la grande chaîne de l’exploitation capitaliste.
Nous rejetons donc la vision qui place mécaniquement les étudiant(e)s comme étant actuellement des acteurs et des actrices agissant pour le bien de tous et toutes. Nous ne voulons pas demeurer stoïquement des collaborateurs et des collaboratrices du Capital. Nous voulons au contraire que le travail qui est fait, non seulement à l’université, mais dans tous les centres de formation, puisse profiter à la majorité de la population. Nous voulons appuyer le développement de la révolution au Canada et nous y joindre, et cela aujourd’hui, pas dans 10 ans. Nous voulons une éducation prolétarienne et nous voulons que cette éducation serve la majorité de la population, non simplement l’émancipation de celles et ceux qui étudient. Nous voulons, à terme, que la notion même d’étudiantE disparaisse et tombe pour ne laisser place qu’à la formation continuelle de toutes et de tous dans l’intérêt de toutes et de tous. Il y a l’École comme elle est aujourd’hui, avec la place qu’occupent les étudiantEs dans le capitalisme, et il y a l’École comme elle pourrait être demain, avec la place qu’ils et elles pourraient avoir sous le socialisme. Autrement, les étudiantEs ne resteront qu’un rouage dans le fonctionnement et la reproduction des inégalités de notre société. Il n’y a pas de fatalité à cette situation. La réalisation de nos objectifs ne dépend que de nous.
Comme nos frères et nos sœurs de la classe ouvrière, nous voulons aussi participer au procès de production. Nous voulons faire tomber les barrières de la division sociale du travail actuelle. Nous, les étudiantEs communistes, nous voulons travailler, nous voulons aider à la réalisation de tout ce dont la société a besoin. Nous voulons participer à cette grande lutte pour se débarrasser du travail salarié, pour libérer le travail de tous ses aspects oppressifs et aliénants. Nous voulons travailler, mais nous ne voulons pas que cela profite à une minorité de parasites. Nous clamons haut et fort que le travail est la plus belle, la plus riche activité de l’expérience humaine. Le travail, c’est ce qui transforme la réalité, c’est ce qui produit notre société. Nous sommes avides de pouvoir travailler, de pouvoir contribuer à combler les carences qui existent actuellement. Nous voulons aider à produire les ponts, à produire les remèdes à telle ou telle maladie, à produire toute la nourriture nécessaire, à produire les hôpitaux, à produire les systèmes de transport. Nous voulons travailler à ce que tout le monde ait ce dont il a besoin.


* Nous invitons touTEs les camarades, tous les groupes militants et touTEs les révolutionnaires qui souhaiteraient en apprendre plus sur notre travail ou débattre de nos analyses et de nos perspectives de luttes à nous contacter par le biais de notre page Facebook ou en se présentant à nos événements publics.*